Le sauveteur noyé ? Par Samir Belahsen

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Le président polonais Andrzej Duda (2e à droite) et son épouse Agata (à droite) recevant le président ukrainien Volodymyr Zelensky (2e à gauche) et de son épouse Olena (à gauche) dans la cour du château royal de Varsovie, en Pologne, le 5 avril 2023. (Photo Wojtek Radwanski / AFP)

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Volodymyr Zelensky a fait samedi une escale imprévue en Pologne pour remercier et décorer deux bénévoles polonais, au moment où les relations entre Kiev et Varsovie connaissent de vives tensions. 

Sur son chemin de retour des États-Unis, il s'est arrêté à Lublin, il n'y aurait rencontré aucun responsable polonais. « J'ai eu l'honneur de marquer à Lublin les efforts des citoyens polonais, des bénévoles, des cœurs attentionnés», a-t- il twitté.

La semaine dernière, la Pologne avait prorogé son embargo sur les céréales ukrainiennes pour protéger, selon elle, les intérêts de ses agriculteurs, suscitant une crise ouverte avec Kiev, pourtant un partenaire proche. L'Ukraine a porté plainte à l'Organisation mondiale du commerce contre la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie ont, elles aussi maintenu leurs restrictions sur les céréales ukrainiennes malgré les décisions de Bruxelles.

Devant l’AG de l’ONU, mardi, le président ukrainien avait déclaré que «certains pays feignent la solidarité en soutenant indirectement la Russie». Il a même plaidé pour un siège au Conseil de sécurité pour l’Allemagne.

Varsovie qui a convoqué immédiatement l'ambassadeur de l'Ukraine, a par la suite annoncé qu'elle ne livrerait plus de nouvelles armes à Kiev. Elle assurerait toutefois les livraisons engagées antérieurement.

Le président Andrzej Duda, explique : «L’Ukraine se comporte comme un noyé qui s’accroche à tout ce qui lui tombe sous la main. Une personne qui se noie est extrêmement dangereuse, elle est capable de vous entraîner dans les profondeurs et de noyer tout simplement le sauveteur.» 

La Pologne compte parmi les principaux alliés de Kiev dans son conflit armé contre la Russie (son ennemi adoré) et l'aide militaire occidentale transite pour l’essentiel par son territoire.

S’agit-il de simples gesticulations électorales ? De l’usure d’une guerre qui dure ? Ou bien de quelques vieux ressentiments, historiques et plus profonds ?

La période électorale : 

A quelques semaines de législatives incertaines, le parti populiste au pouvoir en Pologne devait réagir aux critiques ukrainiennes. Les élections parlementaires polonaises se tiennent le 15 octobre 2023 afin d'élire les 460 députés de la Xe législature de la Diète et les 100 sénateurs de la XIe législature du Sénat, pour un mandat de quatre ans. 

Le gouvernement populiste mené par Droit et Justice, dispose aujourd’hui d'une majorité absolue des sièges à la Diète mais pas au Sénat. En Juin 2020, Duda n’avait remporté les présidentielles qu’avec un peu plus de 51 % des suffrages exprimés dans un contexte de nouvelle hausse de la participation. Cette élection présidentielle fut alors la plus serrée de l'histoire de la Pologne.

De l’usure d’une guerre qui dure : 

Une guerre qui dure use les économies, les électorats et aussi les coalitions. L’histoire nous renseigne que le risque de défections et de « trahisons » augmente avec le temps.

Les ressentiments historiques :

Les relations entre les Ukrainiens et les Polonais ont été marquées par différents événements historiques qui ont contribué à nourrir des ressentiments entre les deux peuples.

1. Partage de la Pologne : au XVIIIe siècle, la Pologne a été partagée entre la Russie, la Prusse et l'Autriche. Une grande partie des terres ukrainiennes se trouvait sous contrôle polonais à cette époque. Les Ukrainiens se sont souvent opposés à la domination polonaise, cherchant leur autonomie et leurs droits, tandis que les Polonais les percevaient comme une menace à leur propre pouvoir.

2. Politique d'assimilation : Pendant la période où la Pologne et l'Ukraine étaient sous domination autrichienne, les autorités polonaises ont mené une politique d'assimilation forcée des Ukrainiens. Cela a suscité un fort ressentiment de la part des Ukrainiens, qui se sont sentis opprimés et privés de leur identité culturelle et linguistique.

3. Massacres de Polonais en Volhynie : pendant la Seconde Guerre mondiale, la région de Volhynie en Ukraine a été le théâtre de violences entre les nationalistes ukrainiens et les Polonais. Entre 1943 et 1945, des massacres ont eu lieu, où des milliers de Polonais ont été tués par des «  » ukrainiens, ce qui a entraîné une profonde animosité entre les deux communautés.

4. Les frontières contestées : Après la Première Guerre mondiale, la Pologne a recouvré son indépendance et a revendiqué des territoires ukrainiens. Cette revendication territoriale a conduit à des conflits frontaliers entre les deux pays, ce qui a encore exacerbé les tensions.

5. Le souvenir de l'Holocauste : pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux juifs ont été persécutés et tués en Ukraine et en Pologne. Les Ukrainiens et les Polonais ont souvent des interprétations différentes de ces événements.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre d'Ukrainiens s’étaient ralliés aux nazis. Beaucoup d'Ukrainiens ont vu l'Allemagne nazie comme un moyen de se libérer de la domination soviétique. Certains Ukrainiens ont adhéré aux forces nazies en raison de leur idéologie nationaliste ukrainienne. Ils considéraient l'Allemagne nazie comme un allié potentiel pour atteindre l'indépendance de l'Ukraine.

Beaucoup de polonais ne l’ont pas oublié.

Après l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie en 1941, certains Ukrainiens ont vu l'occasion de s'opposer aux Soviétiques. Pour ceux qui ont pu oublier, les médias pro-russes ne cessent de le rappeler…
Il reste que la plupart des Ukrainiens ont été plutôt victimes de l'occupation nazie et ont souffert des atrocités commises pendant la guerre.

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