Les tragédies de la guerre contre le terrorisme au Sahel – Par Hatim Betioui

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Ce n’est pas la première fois que des civils sans défense deviennent les victimes de la guerre contre le terrorisme au Sahel. Mais ce qui est nouveau, c’est que ces crimes ont été documentés en son et en image, et largement diffusés sur les réseaux sociaux

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Au Burkina Faso, des massacres documentés en images révèlent une réalité glaçante : derrière le prétexte de la lutte contre le terrorisme, un nettoyage ethnique ciblé s’installe dans le silence complice de la communauté internationale. Hatim Betioui raconte l’horreur et dénonce le silence de la communauté internationale.

Les récents massacres dans les villages de Kouka et Solenzo au Burkina Faso ne sont pas de simples incidents isolés dans un conflit complexe, mais bien un cri lancé au visage d’une conscience mondiale sourde.

Des scènes horrifiantes

Ce n’est pas la première fois que des civils sans défense deviennent les victimes de la guerre contre le terrorisme au Sahel. Mais ce qui est nouveau, c’est que ces crimes ont été documentés en son et en image, et largement diffusés sur les réseaux sociaux, ce qui a contribué à attiser les discours de haine et à perpétuer la spirale de la violence ethnique.

Dans des scènes horrifiantes, des femmes, des enfants et des personnes âgées ont été ligotés, torturés et exécutés, sous les rires moqueurs de membres de milices soutenues par l’armée burkinabè, qui ont commis le crime avec une motivation ethnique à peine dissimulée, comme si elles voulaient exhiber leur sauvagerie devant les caméras.

L’une des scènes les plus douloureuses montre une femme appartenant à l’ethnie peule  torturée, incapable de bouger ses membres, tandis que son nourrisson est étendu près d’elle.

Le vidéaste la nargue en lui demandant : « Crois-tu que les Peuls vont gouverner le Burkina Faso ? », et elle lui répond d’une voix faible : « Je ne sais rien de ce que tu dis. »

La femme rend son dernier souffle, et les miliciens quittent les lieux en emportant le nourrisson avec eux.

Ces scènes ne laissent place à aucun doute quant à la réalité de ce qui se passe là-bas. Il ne s’agit plus simplement de « violations des droits humains », mais bien d’un génocide méthodique, dissimulé derrière le prétexte de la lutte contre le terrorisme.

Des populations entre l’enclume et le marteau

Les massacres survenus récemment au Burkina Faso ne sont pas les premiers, et peut-être pas les derniers. En février 2024, des images et vidéos ont été publiées montrant des massacres de civils perpétrés par l’armée burkinabè. En mai, l’armée est revenue pour commettre d’autres massacres, justifiant ses actes en accusant les civils de collaborer avec les terroristes, et a froidement tué plus de 200 agriculteurs.

Les mêmes villages attaqués par l’armée ont été repris en août dernier par le groupe Al-Qaïda, qui y a tué 600 civils. Mais des rapports ont révélé par la suite que l’armée avait contraint ces civils à creuser une tranchée à l’extérieur de leur village, puis s’en était servi comme boucliers humains face à Al-Qaïda.

Il est clair que le ciblage des civils, pris entre l’enclume et le marteau, dans la région du Sahel en général, et au Burkina Faso en particulier, révèle un schéma répétitif de violence dirigée contre certaines catégories de la société, notamment la communauté peule, l’une des plus anciennes et respectées du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, accusée injustement, selon de nombreux observateurs, de collusion avec les groupes jihadistes.

Et bien que l’ethnie peule soit présente dans tous les pays de la région, elle est décrite comme la plus exposée aux injustices sociales, politiques et économiques. Ce sont justement ces vulnérabilités que les groupes terroristes ont exploitées, en plus de la faiblesse de l’État et de son autorité. Cela a permis à l’organisation Al-Qaïda de recruter, ces dernières années, d’importantes figures issues des Peuls, comme Amadou Koufa, chef du Front de libération du Macina, qui mêle dans ses discours la rhétorique jihadiste à la dénonciation des injustices subies par les Peuls, convainquant ainsi des centaines de jeunes de rejoindre ses rangs.

Selon plusieurs rapports et statistiques, la communauté peule est celle qui souffre le plus des exactions d’Al-Qaïda au Mali et au Burkina Faso. Pourtant, les armées de ces pays traitent tous les Peuls comme s’ils étaient affiliés à Al-Qaïda, les exécutant sans enquête ni procès.

Une communauté internationale silencieuse

Cette situation dramatique n’a trouvé aucun écho dans le monde. Les gouvernements concernés gardent le silence, se contentant de défendre leurs armées et d’interdire à toute entité médiatique ou organisation de défense des droits humains de révéler ou d’enquêter sur ces massacres.

Quant aux organisations régionales, elles restent muettes. L’Union africaine n’a émis aucune condamnation officielle, tandis que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) continue d’ignorer totalement la situation. Même l’ONU, qui a longtemps revendiqué la protection des civils dans les zones de conflit, et qui était encore fortement présente dans la région du Sahel il y a quelques années, observant de près les atrocités et les massacres, s’est contentée de suivre les événements dans un silence pesant.

Mais l’institution la plus silencieuse demeure la Cour pénale internationale, qui n’a jusqu’à présent pris aucune initiative, alors même que les crimes commis relèvent clairement de sa compétence.

Ce qui se passe au Burkina Faso est une illustration flagrante de l’effondrement de l’État. Quand des institutions supposées souveraines se retrouvent impliquées dans des opérations de tueries systématiques, quand le nettoyage ethnique devient une politique de fait, et que l’armée se transforme en milice politique, parler d’un gouvernement légitime devient une illusion.

Le capitaine Ibrahim Traoré et ses compagnons d’armes portent une responsabilité directe dans ce qui se passe, que ce soit en tant qu’ordonnateurs, complices ou simples spectateurs ayant fermé les yeux. Mais le problème ne réside pas seulement dans les auteurs de ces massacres, il réside aussi dans l’environnement international qui leur permet d’échapper à toute sanction. Le silence de la communauté internationale n’est plus une simple absence de position, il est devenu une forme de complicité indirecte.

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