L’Amérique donne la priorité aux intérêts israéliens sur les siens* 

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Un pacte de défense entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite n’a pas pour seul objectif la protection contre l’Iran.  Son objectif stratégique est de bloquer l’influence de la Chine, le rival mondial de l’Amérique.  Non seulement la Chine est l’allié économique le plus important de l’Iran, mais elle ne cesse d’étendre sa présence au Moyen-Orient et aspire à l’hégémonie dans la région.

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Ce texte a été traduit et adapté d’un article de Haaretz Par Mohamed Chraibi

Dans un article précédent (l’Amérique ne dirige plus le monde, Quid.ma), l'auteur écrit à propos de la perte du leadership des États-Unis : « Une partie du problème réside dans la tendance du président à s’identifier de manière excessive aux partenaires des Etats Unis ». Bien qu’il usât du pluriel tout le monde aura compris qu'il visait particulièrement Israël. L’article de Haaretz (1) qui suit convainc de la pertinence de cette hypothèse. Voici ce qu'il dit : 

« Cette guerre était nécessaire pour la région, car elle a contrecarré les tentatives de normalisation avec l'entité sioniste et son contrôle sur la région », a déclaré au début du mois le guide suprême iranien Ali Khamenei, montrant l'importance stratégique qu'il attribue à la guerre dans la bande de Gaza.

Mais les propos de Khamenei ne s'adressaient pas uniquement aux Palestiniens en général, ni au Hamas – qui avait déclaré que l’un des objectifs de son attaque du 7 octobre était de contrecarrer la normalisation entre Israël et l'Arabie Saoudite – en particulier.

L’opposition à la normalisation des pays arabes avec Israël n’est pas uniquement de nature idéologique, elle fait également partie d’une stratégie pour dessaisir l’Amérique de l’hégémonie régionale.  Cette rhétorique iranienne n’est pas nouvelle ; Khamenei ayant ordonné à l'ancien président Ebrahim Raisi, d'annuler une visite en Turquie en novembre dernier en signe de mécontentement à l’égard d'Ankara pour n'avoir pas rompu ses liens avec Israël.

Mais en même temps, Khamenei reconnaît les limites du pouvoir diplomatique de l’Iran.  Ainsi, malgré ses critiques sévères à l'égard de l'accord de paix entre les Émirats arabes unis et Israël en 2020, il n'a pas conditionné la reprise des relations entre Téhéran et Abou Dhabi à l'annulation des accords d'Abraham.  Il a également ordonné aux responsables iraniens de continuer de travailler au rétablissement des relations avec le Caire, rompues après la paix entre l'Égypte et Israël en 1979. 

Avec l'éloignement de la normalisation entre Riad et Israël désormais liée à la résolution conflit israélo palestinien, l’Iran cherche à contrecarrer l’accord de défense actuellement en discussion entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. L'opposition d'Israël à cet accord en fait un partenaire de l'Iran dans sa stratégie. Cette perspective (subitement réalisée par les E.U. ?) a provoqué la mise au point de Sullivan (conseiller américain à la sécurité nationale) qui a déclaré au Financial times que Washington ne signerait un tel pacte avec Riyad que si Israël en faisait partie.

Un pacte de défense entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite en ferait le seul État arabe à bénéficier de ce statut.  Mais tout accord de ce type nécessite l’approbation des deux tiers du Sénat.  

Et tant qu’Israël ne fait pas partie de l’accord, il ne semble y avoir aucune chance d’obtenir cette approbation. 

Le refus d'Israël d'envisager sérieusement la création d'un État palestinien, même si ce n'est que dans un avenir très lointain, est ce qui pourrait causer le plus grave préjudice aux intérêts américains au Moyen-Orient et à sa politique mondiale ainsi qu'à la sécurité d'Israël.  

 Un accord de défense avec l'Arabie saoudite n’entraînerait pas seulement le redéploiement possible des troupes américaines dans le royaume, qu'elles ont quitté en 2003 pour la base aérienne d'Al Udeid au Qatar.  Cela ne concernerait pas non plus uniquement un système de défense aérienne régional, qui existe déjà dans la pratique et a même prouvé son efficacité et son caractère essentiel lors de l’attaque de missiles et de drones iraniens contre Israël en avril.

Un tel pacte signifie un engagement américain à défendre, par la force si besoin, l’Arabie saoudite en cas d'attaque notamment par son ennemi le plus probable : l’Iran.

 Mais la protection contre l’Iran n’est pas le seul objectif de l’accord.  Son objectif stratégique est de bloquer l’influence de la Chine, le rival mondial de l’Amérique.  Non seulement la Chine est l’allié économique le plus important de l’Iran, mais elle ne cesse d’étendre sa présence au Moyen-Orient et aspire à l’hégémonie dans la région.

La visite du président chinois Xi Jinping à Riyad en décembre 2022 a fait impression y compris à Washington.  Il a été accueilli par une garde d'honneur, des coups de canons et tout l’apparat digne d'une grande puissance amie. Certes, ce n’était pas sa première visite en Arabie Saoudite :  il s'y était également rendu en 2016 pour discuter d'alliance stratégique, de coopération nucléaire…

Trois mois plus tard, en mars 2023, la Chine a parrainé un accord entre Riyad et Téhéran pour le rétablissement de leurs relations diplomatiques, réalisant ainsi le vœu d’Obama (Voir « l’Amérique ne dirige plus le monde » dans Quid.ma). Ces derniers temps, elle affiche des positions pro-palestiniennes et travaille à l'unification des mouvements de résistance palestiniens. 

L'intrusion  chinoise dans une région qui, depuis l'accord du Quincy en 1945, a été  une chasse gardée des Américains constitue un grave et imminent danger pour ces derniers qui nécessite le recalibrage de la politique de Washington à l’égard de Riyad voire une volte face depuis l'arrivée de Biden à la Maison Blanche : M.B.S. le prince héritier de jure du Royaume et son souverain  de facto, ne pardonne pas à Biden ses propos de campagne sur « l'Arabie Saoudite, état  paria » et lui-même qualifié de « boucher » suite à l'assassinat odieux de Kashodji par les services secrets saoudiens à Ankara. Il le lui a fait clairement sentir, en juillet 2022, lorsque Biden a effectué son premier voyage en Arabie saoudite.  Le but officiel de ce voyage était de persuader le royaume de pomper davantage de pétrole pour atténuer la crise énergétique mondiale due à la guerre en Ukraine. Tentative qui s'est soldée par un refus cinglant de MBS et une gifle magistrale administrée à Biden.

Mais la visite de Biden avait également un autre objectif : Environ un mois auparavant, le Wall Street Journal rapportait qu'en mars, des hauts gradés de l'armée d'Israël, d'Égypte, du Qatar, d'Arabie saoudite, de Bahreïn, des Émirats arabes unis et des États-Unis s'étaient rencontrés à Charm al-Cheikh pour discuter de coopération en matière de défense collective contre la menace de missiles et de drones iraniens.

Par conséquent, il n’est pas inconcevable que Biden et le prince héritier aient également discuté de la possibilité de transformer cette coopération en une feuille de route pour une alliance régionale plus large, au-delà de l’alliance de défense aérienne du Moyen-Orient déjà opérationnelle.  On peut supposer que Ben Salmane n'a pas rejeté l'idée, mais exigé de Biden un prix supplémentaire : la coopération américaine pour le développement du programme nucléaire civil saoudien.

 En 2016, Riyad avait signé un protocole d’accord avec la Chine pour la construction d’une centrale nucléaire, tout en ayant une nette préférence pour la technologie et l’assistance américaines.  L’« option chinoise » n'aurait été qu' un signal adressé à Washington pour l'inciter à la prise d'une décision toujours en suspens.  Par ailleurs, la signature d'un pacte de défense augmenterait sensiblement la probabilité que l’Amérique approuve l’aide américaine au programme nucléaire saoudien.

À l’instar d’un pacte de défense saoudo-américain, un programme nucléaire saoudien sous supervision américaine – au lieu d’un programme sino-saoudien – est d’un intérêt vital pour Israël.  De plus, ces deux mesures restent pleinement justifiées, même si elles n’incluent pas une normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël.

Pourtant, cette grille d'intérêts semble emprisonner les acteurs (israéliens et américains) dans une sorte de Matrix (2) dans laquelle les accords et les alliances qui serviraient à la fois la sécurité d'Israël et la stratégie américaine se heurtent aux vues messianiques de ministres d'extrême droite israéliens, qui  tiennent en otage Netanyahu.

La question qui reste sans réponse est de savoir quand l’Amérique, sortira de la Matrix (3) et décidera que ses propres intérêts stratégiques – qui, comme dans le cas du pacte de défense régional, servent également Israël – sont plus importants que la normalisation saoudo-israélienne, qui ne sert que les seuls intérêts d’Israël. 

  1. American Interests in Saudi Arabia Are Being Sabotaged by Israel's Far-right Messianic Ministers par Zvi Bar’el , journaliste et professeur des universités. Haaretz 13/06/24. Traduction et adaptation : Mohammed Chraibi
  2. Série américaine de science fiction initiée en 1999 qui traite de plusieurs questions philosophiques notamment en relation avec l’émergence de l'Intelligence artificielle. Le thème  principal étant le sens de la réalité.  Le film explore un futur dystopique où les humains vivent sans le savoir dans une bulle de réalité virtuelle appelée Matrix, créée par des machines intelligentes pour dominer les humains.  
  3. À l'instar du Néo de la série Matrix qui s’échappe de celle-ci pour mener une insurrection de la réalité contre la dystopie. 

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