Smartphones contre lacrymo: au Kenya, la ''génération Z'' se mobilise

5437685854_d630fceaff_b-

Un manifestant rejette une bombe lacrymogène sur des policiers anti-émeutes kenyans lors d'une manifestation contre les hausses d'impôts alors que les membres du Parlement continuent de débattre du projet de loi de finances 2024 dans le centre de Nairobi, le 20 juin 2024. (Photo par Tony KARUMBA / AFP)

1
Partager :

Les gaz lacrymogène et les canons à eau des premières manifestations antigouvernementales n'ont pas dissuadé Sarah Njoroge, mobilisée comme de nombreux jeunes Kenyans hyperconnectés.

Mardi, cette étudiante en psychologie de 21 ans descendra à une nouvelle fois dans les rues de la capitale Nairobi pour faire entendre la voix de la "Génération Z", au cœur d'un mouvement de contestation inédit dans ce pays de d'Afrique de l'Est.

Ces dernières années, la jeune femme originaire du bidonville de Kangemi avait vu ses parents interdire à ses frères et sœurs aînés de manifester, craignant la répression policière.

Quand le mouvement "Occupy Parliament" ("Occuper le Parlement") est né, elle n'a pas hésité. "Je n'avais pas besoin de la permission de ma mère pour venir", lance-t-elle, lors d'une manifestation jeudi dernier, dans une ruelle de la capitale aux murs couverts de graffitis anticorruption.

Ce mouvement contre les nouvelles taxes prévues dans le projet de budget 2024-25 est né et s'est propagé de manière fulgurante et imprévisible sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, le préféré des jeunes de la "génération Z" (nés après 1997).

Dans les manifestations comme dans leur vie quotidienne, les manifestants, originaires de tous milieux, ne lâchent pas leurs smartphones, faisant selfies et retransmissions en direct.

Une manifestation de quelques centaines de jeunes à Nairobi le 18 juin s'est transformée en un mouvement national, avec des cortèges dans de nombreuses villes le 20 juin. Mardi, l'appel est à des manifestations et à une grève générale.

Le mot d'ordre antitaxes se transforme en remise en cause de la politique du président William Ruto, aux cris de "Ruto must go" ("Ruto doit partir").

"Ils (les dirigeants) ont instillé la peur chez nos parents, nous ne voulons pas en hériter", affirme Jeremy Mwangi, étudiant en relations internationales de 19 ans: "Nous voulons nous défendre, nous voulons décider de notre avenir".

Pris de court

Le gouvernement a été pris de court.

Après avoir initialement qualifié "d'ignorant" ce mouvement mené par des "enfants cools", il a annoncé le 18 juin revenir sur la plupart des taxes prévues, notamment une TVA de 16% sur le pain, sans parvenir à enrayer la contestation.

Les manifestants dénoncent un tour de passe-passe visant à compenser l'annulation de certaines mesures fiscales par d'autres, notamment une hausse des taxes sur les carburants.

Dimanche, le président Ruto, élu en août 2022, s'est dit ouvert au dialogue. "Je suis très fier de nos jeunes (...) Ils se sont affirmés de façon pacifique et je veux leur dire que nous allons discuter avec eux", a-t-il assuré.

Une des leaders du mouvement, la journaliste et militante Hanifa Adan, lui a demandé de "répondre publiquement" aux demandes d'annulation des nouvelles taxes.

"Le président Ruto ne peut pas prétendre nous soutenir pendant que sa police brutalise des manifestants pacifiques", a-t-elle déclaré dimanche, affirmant se cacher par peur d'une arrestation.

Les deux premières manifestations ont fait deux morts et des dizaines de blessés.

Le Kenya a une longue histoire de mouvements de contestation - et de répression - notamment durant les années 1980-90, où de nombreux militants pour l'instauration du multipartisme furent emprisonnés.

Lors des décennies suivantes, les manifestations, qui rassemblaient généralement des habitants des quartiers pauvres payés par les partis politiques, ont souvent donné lieu à des violences.

L'an dernier, une série de rassemblements contre la vie chère, à l'appel de la coalition d'opposition Azimio, avait parfois dégénéré en pillages et affrontements meurtriers avec la police.

Les manifestations actuelles sont restées largement pacifiques, les manifestants répondant souvent aux tirs de gaz lacrymogène et de canons à eau par des gestes, danses et chants provocateurs.

Cette jeunesse hyperconnectée utilise ses smartphones pour se protéger et filme les policiers, régulièrement accusés de violations des droits humains.

"Mûr pour une révolution" 

Le Kenya est l'une des économies les plus dynamiques d'Afrique de l'Est. Mais plus d'un tiers de ses 52 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté, selon les chiffres officiels.

"Le Kenya est mûr pour une révolution", affirmait le 17 juin l'éditorialiste Macharia Gaitho dans le journal Daily Nation, avertissant que le mouvement pourrait "ébranler les fondements d’un État qui n’écoute pas le peuple et ne se soucie pas de ses préoccupations".

La "génération Z" entend briser le cliché d'une génération apolitique, vivant derrière des écrans. Elle a entraîné dans son sillage ses aînés "millenials" (nés dans les années 1980-1990) qui ont rejoint les cortèges.

"En tant que Génération Z, nous allons bouger et ils (le gouvernement) vont être choqués", lançait jeudi dernier Ivy, 26 ans, promettant: "Ce n'est que le début". (AFP)

lire aussi