Tollé en Argentine pour une amende de la justice américaine de 16 milliards USD – Par Rachid Mamouni

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‘’Basta buitres" d (assez des vautours), dans les rues de Buenos Aires

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Par Rachid MAMOUNI (MAP)

Buenos Aires - « Folie destructrice » ; « sentence catastrophique ». Les superlatifs apocalyptiques n’ont pas manqué ce vendredi en Argentine pour qualifier la sentence rendue par la justice américaine dans une affaire liée à l’expropriation en 2012 de la compagnie pétrolière nationale YPF, et qui oblige l’Etat à s’acquitter de 16 milliards de dollars, un chiffre équivalent à la capitalisation totale de cette entreprise publique.

La nouvelle est tombée comme un couperet en ce vendredi pluvieux à Buenos Aires, à un moment où tous les esprits sont occupés par les stratégiques électorales en prévision des élections générales du 22 octobre prochain et dans une moindre mesure par les manifestations de la crise de change et de l’inflation dans le pays.

Plus tôt dans la matinée, un tribunal newyorkais avait ordonné le paiement par l’Argentine d’une pénalité au profit d’un cabinet d’avocats américain, sans en fixer le montant.

Les 16 milliards de dollars sont vite apparues comme un chiffre plausible établi par les avocats de l’Argentine sur une base de calcul telle que déterminée par le tribunal américain.

La justice américaine reproche au gouvernement d’avoir procédé à l’expropriation de YPF sans respect pour les droits des actionnaires minoritaires et devra donc en payer le prix. Tout le pays semble avoir été pris de court. Assommé!

La porte-parole de la présidence argentine, Gabriela Cerruti, a immédiatement annoncé que le gouvernement va faire appel de cette sentence auprès de la justice américaine, sans que cette annonce parvienne à calmer le barrage de feu lancé par l’opposition contre le gouvernement actuel, d’autant que la nationalisation avait été décidée par l’ancienne présidente Cristina Kirchner, qui est l’actuelle vice-présidente et présidente du Sénat, et par un de ses dauphins et actuel gouverneur de la province de Buenos Aires, Axel Kicillof.

Le premier à ouvrir le feu a été l’ancien président Mauricio Macri (2015-2019) qui s’est dit peiné de voir que " la majorité (au gouvernement) se soit laissée emporter par cette folie destructrice".

Mauricio Macri, qui semble avoir obtenu sa revanche après plus d’une décennie sur sa prédécesseuse pendant deux mandats, Cristina Kirchner (2007-2015), a tenu à lui rappeler ses reproches à l’opposition pour avoir "voté contre la récupération" de YPF à l’époque.

Patricia Bullrich, présidente du parti (Proposition républicaine-PRO) fondé par Macri et candidate de l’opposition aux présidentielles d’octobre prochain a vertement interpellé le gouvernement. "Les K (en référence aux partisans de Cristina Kirchner) coûtent trop cher aux Argentins ! Je me suis toujours opposée à la barbarie de l’expropriation sans respecter la Constitution. Maintenant, qu’ils paient de leur poche » les 16 milliards de dollars.

Le candidat à la vice-présidence sur le ticket de Bullrich, Luis Petri a estimé que « l’improvisation coûte à tous les Argentins 16 milliards de dollars, qui devraient être payés par Kicillof et CFK (Cristina Kirchner)".

Un député du PRO, Cristian Ritondo, a lui aussi reproché au gouvernement de l’époque, notamment au ministre de l’économie d’alors, Axel Kicillof « d’avoir payé 6 milliards de dollars pour 50% de YPF et, nous sommes condamnés à payer 16 milliards de plus, pour une entreprise qui vaut aujourd’hui 4 fois moins », accusant l’actuel gouverneur de la province de Buenos Aires d’être « l’idéologue des pires décisions économiques du pays : une machine à générer de l’inflation, de la pauvreté et de la dette".

Les critiques contre la majorité actuelle au gouvernement se sont enchaînées à partir d’un autre parti historique, l’Union Civique Radicale, dont un éminent député, Mario Negri, a pointé du doigt « l’accord minable conclu par Kicillof avec Repsol », la compagnie espagnole qui détenait à l’époque une partie des actifs de YPF, en écartant de cet accord des actionnaires minoritaires qui viennent de gagner le procès contre l’Etat argentin.

Toujours dans les rangs de l’opposition, le parti ultralibéral « Libertad Avanza » (Liberté en avant) s’est montré lui aussi intransigeant et corrosif avec l’ancien ministre de l’économie.

Le candidat de ce parti pour la mairie de Buenos Aires, Ramiro Marra, a rappelé qu’en 2012, « Kicillof a dit en riant que cela ne nous coûterait rien, et maintenant c’est tout le pays qui doit payer pour son inutilité. (…) 16 milliards de dollars que va nous coûter le désastre que le kirchnerisme a provoqué lorsqu’il a exproprié YPF".

Dans le monde des affaires, la réaction la plus virulente a été exprimée par Marcos Gaplerin, fondateur de la plus importante entreprise technologique du pays « Mercado Libre » qui pèse plus de 50 milliards de dollars dans la bourse de New York.

Dans un post publié sur les réseaux sociaux, Gaplerin s’interroge sur « combien d’écoles cette somme permettrait-elle de financer ? Combien d’hôpitaux ? Combien d’infrastructure? Cela fait mal au cœur ».

L’homme d’affaires argentin se demande encore si les responsables de son pays sont condamnés à « apprendre seulement à travers les sentences rendues par des juges aux États-Unis et cesser d’être autoritaires et irresponsables ».

La principale cible des attaques de l’opposition et du monde des affaires n’a pas tardé à sortir pour défendre la décision du gouvernement dont il était ministre de l’économie et cheville ouvrière de l’expropriation de YPF.

Axel Kicillof a mis en cause l’opposition et le système judiciaire américain, en parlant d’une surprenante « coïncidence » entre la sentence « folle en faveur des fonds vautours » et la campagne électorale en Argentine.

Il a aussi accusé l’opposition de droite et les médias argentins de se positionner « toujours du côté des vautours étrangers ».

Ces tirs croisés sur la scène politique se sont intensifiés à cause de la sentence de la justice américaine, mais il est encore tôt de savoir quel serait son impact sur les résultats des prochaines élections présidentielles.

 

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