chroniques
Cette étrange ressemblance de l’Algérie et de l’Afrique du Sud – Par Naïm Kamal
Le Roi Mohammed VI recevant à Abidjan en novembre 2017l’ancien président sud-africain Jacob Zuma
‘’L'Afrique du Sud se retrouve du mauvais côté de l'Histoire". La sentence, en guise de commentaire de l’accueil réservé par le président sud-africain Cyril Ramaphosa au chef de la milice du Polisario, est du ministre des Affaires étrangères marocain à l’issue de son entretien avec son homologue belge Hadja Lahbib. Qui ajoute aussitôt : ‘’Qu'un torchon ou un tapis rouge ait été dressé n’altère en rien le dossier mais exprime plutôt l’incapacité [de Pretoria] d’influer" sur l’évolution de l’affaire du Sahara à l’international.
On savait Nasser Bourita doué pour les sarcasmes qui font grincer des dents par-delà les frontières marocaines de l’est. Dans cette déclaration il s’est surpassé. (Voir verbatim).
En souvenir de Madiba
N’empêche. Dans les accents du ministre des AE il y a comme un relent de regret, notamment lorsqu’il fait remarquer que le comportement de Pretoria "nuit aux relations bilatérales et à tout ce qui a été construit, notamment dans les milieux économiques". Nasser Bourita avait fort probablement en tête la fameuse rencontre entre le Roi Mohammed VI et l’ancien président sud-africain Jacob Zuma en novembre 2017 à Abidjan en marge du Sommet UE-UA. Rabat, passant outre l’a priori sud-africain, s’est, depuis, investi dans cette relation, nourrissant l’espoir de voir le pays de Nelson Mandala, qui connaissait et témoignait publiquement de l’apport marocain au renforcement del’African National Congress (ANC), rejoindre la dynamique de soutien africain à la sortie honorable proposée par Rabat pour en finir avec un conflit qui n’a que trop duré.
Nelson Mandela au pouvoir faisait barrage aux velléités de reconnaitre une entité, la RASD, qui n’a ni droits historiques ni les fondements d’un Etat selon les termes du droit international. Mais lui parti, les militants de l’ANC biberonnés au sein boumédienniste et formatés FLN algérien ont franchi le Rubicon pour reconnaitre en 2005 la maquette d’une république.
Le rapport Zondo
Pour autant, ce n’était pas une surprise tout comme aujourd’hui n’est pas étonnant le zèle des responsables sud-africains au plus haut niveau dans leur adhésion à une cause à contresens de l’histoire et leur empressement dans la défense des thèses algériennes. Il suffirait de superposer le parcours des deux pays et de leurs deux partis pour saisir combien est identique leur évolution respective. A la confiscation du legs révolutionnaire en Algérie répond en Afrique du Sud la captation de l’Etat par l’ANC et son détournement au profit d’une oligarchie partisane corrompue.
Le récent rapport du juge Zondo sur la corruption rampante qui a gangrené les institutions publiques, en fait la démonstration. Il recoupe les similitudes entre les deux Etats dans leur accaparation du pouvoir malgré la contestation, les émeutes et les révoltes dans deux pays dotés de richesses qui n’ont d’égales que les disparités sociales. Le rapport Zondo décrit et dénonce un système où les contrats publics se négocient contre sonnantes et trébuchantes, où les hauts fonctionnaires sont désignés pour vider les institutions de leur sens et substance, où la compétence est marginalisée et où la contestation est persécutée par ce qui s’apparente bien à des escadrons de la mort. Relatant ce rapport, la presse sud-africaine aussi bien qu’étrangère évoque un système qui a détruit les services publics et vidé les caisses de l’Etat ‘’au profit d’une clique de politiciens et d’hommes d’affaires tout-puissants’’. Toute ressemblance, diront les cinéphiles, n’est pas le produit du hasard.
Le leurre Ramaphosa
L’arrivée en 2018 de Cyril Ramaphosa à la tête de l’Afrique du Sud sur les décombres laissés par son prédécesseur Jacob Zuma empêtré dans des affaires de corruption, pour prétendument sauver ce qui peut l’être, va très rapidement toucher son plafond de verre. Se dévoile ainsi un leurre qui, pas plus de deux ans après son élection, se retrouve à son tour englué dans une affaire comico-tragique de cambrioleurs qui tombent dans sa ferme sur 4 millions de dollars cachés dans un canapé dont il ne pourra pas justifier l’origine. C’est le début de la fermegate.
Pris la main dans les caisses, le président évite de déclarer le cambriolage à la police. C’était compter sansl'ancien chef de l’Agence de sécurité de l'État, proche allié de l'ancien président Jacob Zuma, qui a déposé en juin 2022 une plainte pénale contre Cyril Ramaphosa pour avoir commis des infractions à la loi sur la prévention du crime organisé et la loi sur la prévention des activités de corruption.
Dans tout autre pays véritablement démocratique, le président aurait démissionné ou serait destitué. Mais dans le simulacre de démocratie qui perpétue la ‘’captation de l’Etat’’ par l’ANC, dénoncée par le rapport Zondo, le système continue de faire prospérer une kleptocratie politico-affairiste qui fonctionne à huis clos et détourne en circuit fermé, s’auto graciant sans retenue. Pas plus tard que cette semaine, le protecteur public par intérim [sic], Mme Kholeka Gcaleka a trouvé le moyen de blanchir le président de l’utilisation de l’argent public dans les campagnes électorales. Sans se soucier des enregistrements qu’elle avait à sa disposition, largement relayés par les réseaux sociaux, dans lesquels Cyril Ramaphosa reconnait la malversation. Certainement sans s’apercevoir qu’il était enregistré, il a déclaré : ‘’Chacun de nous sait qu'une bonne partie de l'argent utilisé dans les campagnes du parti, pour transporter les gens et faire toutes sortes de choses provient des ressources publiques de l'État’’.
L’ADN partagé
Comme dans l’Algérie du FLN, probablement en moins vulgaire, l’ANC s’est accaparé l’Etat et ses richesses, réduisant les élections à de faux-semblants. La libération dans l’un, la fin de l’apartheid dans l’autre n’ont finalement servi qu’à une caste clientéliste et réseautée. L’affranchissement de l’Afrique du Sud de l’abomination de la ségrégation raciale n’aura servi in fine qu’à substituer des noirs à des blancs tandis que la majorité de la population qui a payé de sa lutte le démantèlement de l’apartheid pouvait continuer à croupir dans de vastes townships miséreux et misérables, livrée aux violences, aux viols et au Sida.
Ce partage avéré d’ADN entre le FLN et l’ANC une fois établi, y compris leur présomption commune à faire accroire avoir été élu pour une mission unique dans l’histoire de l’univers, trouve sa résonnance dans la bravacherie de Cyril Ramphosa déclarant assumer ‘’sans état d’âme’’ le soutien du Polisario, dévoilant dans le même temps sa qualité de sous-traitant pour le compte d’autrui.
Cette fonction dévolue à Cyril Ramphosa, et le vacarme fait autour de l’accueil officiel de Brahim Ghali, un observateur averti les explique par la proximité de l’adoption de la résolution sur le Sahara par le conseil de sécurité avec l’organisation du prochain sommet arabe en Algérie. La coïncidence des deux évènements contraindrait le pouvoir algérien en sa qualité d’hôte à une réserve par rapport à ses excès habituels pour ne pas compromettre une rencontre arabe qu’il conçoit comme une grand-messe de réhabilitation. Situation intenable pour Alger à la veille d’une résolution fort probablement défavorable au Polisario à en juger par les accusations de Brahim Ghali à l’encontre d’Antonio Guterres et du Conseil de sécurité. En prenant le relais et en assurant le spectacle, l'Afrique du Sud ne fait que soulager l’Algérie de postures trop bruyantes susceptibles d’indisposer les chefs d’Etat arabes.
Organisation terroriste
L’autre explication possible sans être forcément plausible prend appui sur le sommet arabe pour supposer que l'Algérie est appelée de ce fait à une plus grande réserve. Cette hypothèse se fonde sur des rumeurs laissant entendre que des acteurs poids lourds chercheront une difficile réconciliation entre le Maroc et l'Algérie, étalée dans le temps, qui inciterait Alger à ne pas trop souffler sur les braises, un éventuel comité de suivi étant prévu pour veiller au respect d’une sorte de modus vivendi transitoire.
La perspective d'un classement du Polisario comme organisation terroriste en liaison avec l'intrusion de l'Iran dans la région, n’est pas non plus à écarter dans la compréhension de la fièvre sud-africaine autour de la visite de Brahim Ghali. La décision américaine de faire figurer le Maroc parmi les pays à soutenir, ainsi que la déclaration de cinq pays arabes réunis récemment apportant leur solidarité au Maroc contre les intrusions iraniennes couvrent d’une certaine vraisemblance cette hypothèse. En "exportant" le Polisario le plus loin possible, l’Algérie chercherait à externaliser son soutien aux milices séparatistes pour ne pas se retrouver en pied-à-terre d’une organisation terroriste, et, d’une pierre deux coups, arrangerait ses envies d’exploitation des richesses de Tindouf contrariée par la présence des milices du Polisario. En poussant un peu plus loin, ce scénario pourrait déboucher sur des investissements partenaires du Maroc, notamment des Etats du Golfe, si par inadvertance le travail de réconciliation portait ses fruits..
Scénario, il faut l’admettre, si beau qu’il en devient invraisemblable. Mais quoi qu’il advienne, il faudrait attendre la résolution du Conseil de sécurité et les réactions qu’elle susciterait, peut-être même la fin du sommet arabe prévu en novembre en Algérie, pour prendre la mesure des vents. Pour l’instant, le sûr et certain est du coté de Nasser Bourita qui a déclaré à propos de ce que les gens attendent d’un pays crédible. Qu’il " distingue un Etat d'une milice, un drapeau d’un torchon", et ‘’une solution basée sur la légitimité internationale’’, sachant que "le Maroc continuera à défendre ses intérêts, et à user [à cette fin] de tous les moyens en sa possession."