La polémique Toufiq Vs Benkirane, une aubaine pour ce dernier – Par Bilal Talidi

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M. Benkirane a esquivé le débat intellectuel que lui a proposé M. Toufiq, déjà content de se retrouver ainsi en centre des projecteurs et de se retrouver momentanément au-devant de la scène.

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Les répercussions des déclarations du ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, lors d'une session parlementaire concernant la laïcité des Marocains, ne cessent de susciter des réactions. Cette fois-ci, le débat a pris une nouvelle tournure avec la révélation d’un échange entre le ministre et son homologue français de l’Intérieur. 

L’’intensité du débat a monté d’un cran lorsque le secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Abdalilah Benkirane, a indirectement répondu, avec sa véhémence habituelle, aux propos du ministre, affirmant lors d’un meeting à Ouled Berhil, près de Taroudant, que le Maroc est un État islamique et non laïque.

Pourquoi Toufiq a-t-il écrit cette lettre ?

De manière inédite, le ministre des Habous a choisi de répliquer publiquement aux propos de M. Benkirane en publiant une lettre intitulée Chakwa ila Allah (Plainte à Dieu), qu’il a adressée à l’ancien chef de gouvernement. Dans cette missive, M. Toufiq exprime son mécontentement de voir M. Benkirane critiquer ses propos dans un discours public au lieu de le contacter directement. Il réfute catégoriquement avoir déclaré que le Maroc est un État laïc et évoque subtilement ses véritables intentions lors de son entretien avec le ministre français. M. Benkirane, quant à lui, a réagi rapidement.

La question se pose sur les raisons qui ont poussé M.Toufiq, si peu habitué à ce genre d’exercice, à répondre directement à M. Benkirane, ainsi que sur l’absence de réaction explicite de ce dernier face au contenu de la lettre, bien que celle-ci comporte des remarques implicites critiquant la compréhension limitée des concepts philosophiques complexes par certains leaders politiques.

Depuis qu’Ahmed Toufiq est à la tête du ministère des Habous et des Affaires islamiques, il est rare qu’il réponde directement, par discours ou lettre, à un dirigeant politique, encore moins en le nommant explicitement. Dans sa lettre, M. Toufiq aborde plusieurs dimensions : une clarification conceptuelle sur la laïcité, des rappels de discussions antérieures dans le cadre de ses fonctions, et une mise en avant des enjeux sensibles liés à la structure et à la légitimité de l’État. Il rappelle également qu’il a servi avec dévouement dans la gestion des affaires religieuses depuis plus de deux décennies, tout en exprimant un reproche personnel quant à l’absence de respect de la bienséance dans la gestion de ce désaccord.

L’État en toile de fond

Contrairement à la lettre de M. Toufiq, la réponse de Benkirane a été courte, presque lapidaire. Il a rappelé les relations personnelles qui les unissent, clarifié que son discours ciblait plutôt ceux qui avaient exploité les propos du ministre, et repoussé sine die le débat intellectuel sur la laïcité. Enfin, il a présenté des excuses publiques mi-figue mi-raisin.

Ces échanges ne sont pas de simples débats publics. Ils touchent un domaine extrêmement sensible : la nature de l’État marocain. Les clarifications répétées de M. Toufiq sur ses propos, faites à trois reprises, pourraient suggérer qu’ils ont été mal accueillis par certains cercles décisionnels. Bien que ses propos aient pu être admissibles dans un dialogue privé avec un responsable français, les exprimer au Parlement serait de nature à être considéré comme un franchissement d’une limite en raison de la potentielle confusion qu’ils peuvent créer autour de la légitimité et la nature politique de l’État marocain. Une position que sa lettre n’a d’ailleurs pas reniée en s’attardant sur, entre autres, tout ce que dans les pratiques gouvernementales ou dans l’exercice de la vie est « importé d’États laïcs », renvoyant ainsi M ; Benkirane, qui a été chef du gouvernement, à ses propres contradictions. De là à croire que sa lettre est une « lettre autorisée », il y a qu’un pas concevable.

Une opportunité pour Benkirane

Pour M. Benkirane, qui se présente comme le chantre de la référence islamique, cette polémique peut être comprise comme une occasion d’affirmer son rôle en tant qu’allié de l’État dans sa lutte contre les adversaires de son identité religieuse. En ciblant les « interprétations déviantes » des propos de M. Toufiq, le SG du PJD se positionne comme un défenseur loyal de la légitimité islamique de l’État. Cela n’a pas été sans irriter M. Toufiq, qui a perçu cette sortie une tentative opportuniste d’exploiter ses déclarations pour servir les intérêts politiques du PJD en même temps qu’une tentative de creuser entre la ministre des Affaires islamiques et le centre de l’Etat au moins un sillon.

La colère perceptible dans la lettre de M. Toufiq, visible même dans le style rapide et agacé de son écriture, traduit un enjeu dépassant la simple émotion personnelle. Cette réaction semble répondre à une nécessité politique : empêcher le SG du PJD d’exploiter ces débats sensibles pour renforcer sa légitimité politique.

M. Benkirane, ayant compris l’avertissement, a maintenu sa position de défense de l’identité islamique de l’État tout en présentant des excuses à M. Toufiq pour le dégager de toute responsabilité face à ses critiques. Il a également esquivé le débat intellectuel, déjà content de se retrouver ainsi en centre des projecteurs.

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