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Le coup de force raté de Abdalilah Benkirane
Il reste à Abdalilah Benkirane une semaine, à peine, pour sortir de ce cauchemar dans lequel ses amis l’ont fourvoyé. Il a les ressources pour sortir, par le haut, de cette crise. Qu’il retrouve juste sa bonhomie naturelle, ses réflexes de bon père de famille, son engagement de monarchiste intraitable et sa posture sympathique de victime à l’insu de son plein gré
Nous sommes, manifestement, en présence d’un coup de force raté de Abdalilah Benkirane et de son parti le PJD.
Nous ne sommes pas sous le joug d’une parti unique pour utiliser une victoire législative, au demeurant indiscutable, et une désignation rapide, par le Roi, au poste de Chef de gouvernement pour verrouiller le débat, écraser ses adversaires politiques, mettre en coupe réglée le futur gouvernement et confisquer les clés de l’Etat
Ce sont là, à l’évidence, tous les attributs d’un coup de force exécuté par l’islamisme gouvernemental marocain saisi d’une ivresse impérieuse à l’issue de sa victoire électorale qui lui fait perdre tous les acquis de la sociologie politique marocaine.
Les trois attributs de la sociologie politique marocaine sont, historiquement, la négociation, le compromis et le consensus. En dehors de ces trois concepts opératoires c’est la porte ouverte à toutes les aventures.
Faire semblant que la constitution marocaine de 2011 a créé un nouveau régime est une erreur politique. Si le coup de force de Abdalilah Benkirane et de ses amis se nourrit de cette analyse c’est qu’il y a une maldonne qui représente un vrai danger pour l’avenir.
La constitution de 2011 réorganise les pouvoirs, les hiérarchise, définit leur périmètre mais elle ne met aucun pouvoir, notamment celui du Chef du gouvernement dans une position de prééminence au point qu’il domine «insolemment» tous les autres.
Le mot insolence, ici, n’est pas une figure de style. Il représente depuis le début de la crise le mode opératoire, au niveau discursif, du Chef du gouvernement désigné et de ses amis.
Cet insolence est le moteur du mépris que l’on lit dans les éditoriaux des affidés du PJD, dans les communiqués du secrétariat général et même dans les communiqués de Abdalilah Benkirane.
Voici les termes fondateurs de cette insolence méprisante: les partis politiques marocains n’ont strictement aucune autonomie et sont tous inféodés à des centres de décision secrets, les hommes politiques marocains sont des marionnettes aux mains du Makhzen, etc. Le vide est ainsi fait.
Cette logorrhée permet de tout faire: un coup de force, un coup d’Etat mais elle ne peut en aucune manière être utile pour construire une transition démocratique sereine et utile. Cette dernière ne peut exister véritablement sans le nécessaire respect des partenaires politique et une strict arrêt de la «confusion» généralisée des pouvoirs.
En clair, et c’est que nous dit Abdalilah Benkirane et ses amis éditorialistes, il n’y aucun parti politique au Maroc digne de ce nom excepté le PJD. Il n’y pas non plus d’hommes politiques dignes dans le pays exceptés ceux du PJD. Et le seul rapport de force — ce qui constitue pour eux le vrai combat,— qui existe est celui qui oppose le PJD au Palais. Cet énoncé récurrent dans la littérature et les prises de positions actuelles du PJD et de ses satellites est dangereux. Il prépare une sorte de « lutte finale » qui est elle-même constitutive du coup de force dont nous parlons
Réduire le PJD à sa fonction primaire d’opposition frontale à la monarchie est un cas de figure historique que nous avons connu par le passé. Et nous connaissons également le prix payé par la nation pour sortir de cette séquence «antagonique» contraire au principe même de transition démocratique et qui ne produit que du malheur.
Pourquoi les amis de Abdalilah Benkirane répètent-ils cela en boucle ? A quelle fin d’exacerbation de la vie politique nationale ? Pour offrir à Abdalilah un destin à la Morsi ? Pour intimider le pouvoir et le pousser à la faute ? Pour fragiliser et mettre sous tutelle Abdalilah Benkirane afin de mieux le faire contrôler par cet entité non constitutionnelle qui s’appelle le secrétariat général du PJD ? Les questions sont multiples et les réponses sont multiformes.
Il y’a un processus qui est en train de s’opérer pour transmuter la fameuse « victimisation » coutumière de Abdalilah Benkirane, face aux puissants, victimisation dont il maîtrise tous les ressorts: larmes aux yeux, regard bas, voix chevrotantes, épaules rentrés et convictions à géométrie variable, en «martyrisation» au nom de Dieu et de la démocratie.
Positionner, aujourd’hui, sur l’échiquier politique marocain, Abdalilah Benkirane face au Palais est une manière, pas très habile au final, et un peu irresponsable, de donner au coup de force, en cours par les islamistes du PJD, son martyr. Une figure incontournable dans la littérature révolutionnaire du passé, la seule à même de lever les masses, croyantes et incrédules, pour prendre le pouvoir. Il est très difficile, à la déception de ses amis commentateurs, de voir Abdalilah Benkirane revêtir ce vieux costume. Depuis l’UNFP il a peu servi.
Parce que, finalement, où est le problème si on évacue les coups de mentons, les postures de bravaches, les saillies verbales et les excès, parfois, de testostérone ?
Prendre ou non l’UC, ou même à la limite l’USFP, comme élément complémentaire de la future majorité ? Donner ou non, par exemple, à Mohamed Sajid, un honnête homme au demeurant, un poste ministériel? Tout ça, pour ça ! Ce n’est pas très crédible !
Maintenant ce qui risque de se passer si le parlement se constitue, — élections de son président et de ses instances exécutives — en dehors de la volonté de Abdalilah Benkirane et de sa majorité introuvable, serait une vraie catastrophe pour Abdalilah Benkirane lui-même. Il perd la main pour de bon !
Une large majorité parlementaire élira, par exemple, Habib Malki, ou un autre, comme président et mettra sur pied les questeurs, les commissions parlementaires et leurs présidences. Avec ou sans l’assentiment du PJD et de ses satellites actuels, l’Istiqlal de Chabat et le PPS.
Le naufrage serait, alors, total pour Abdalilah Benkirane. Il aura payé, ainsi, très cher, les conseils de ses faux amis et son communiqué sanguin de « Intaha Al Kalam » (Fin des discussions).
Un Chef de gouvernement minoritaire sans majorité au parlement. L’image la plus idoine serait celle d’un coq à la tête coupée qui continue de marcher ! Pour combien de temps encore.
Il reste à Abdalilah Benkirane une semaine, à peine, pour sortir de ce cauchemar dans lequel ses amis l’ont fourvoyé. Il a les ressources pour sortir, par le haut, de cette crise. Qu’il retrouve juste sa bonhomie naturelle, ses réflexes de bon père de famille, son engagement de monarchiste intraitable et sa posture sympathique de victime à l’insu de son plein gré.