chroniques
Le Roi réfléchi et le Président bavard (2/2) – Par Naïm Kamal
Inauguration par le Roi Mohammed VI et le Président E. Macron du train LGV. Le principal handicap d’Emmanuel Macron, à l’intérieur comme l’international, qui remonte à la surface dès ses premiers mois à l’Elysée, est sa fâcheuse tendance à tout miser sur sa capacité à absorber les dossiers et son penchant pour les débats où le monologue prime sur l’écoute.
Par Naïm Kamal
La première partie de l’article s’est attachée à montrer en quoi le positionnement africaniste, indépendant et souverain du Roi Mohammed VI, dérange et indispose la France. Non seulement le Souverain marocain rejette l’idée même d’un Maroc ‘’chasse gardée’’ d’un quelconque partenaire, mais instaure une politique africaine proactive et féconde, et œuvre à ouvrir économiquement le pays à de nouveaux partenariats stratégiques. Ce souverainisme éclairé, qui reste attaché aux partenaires traditionnels, mais se réserve le droit légitime de se tourner vers d’autres horizons, déplait à des intérêts vautrés dans le confort de l’exclusivité et du monopole. Paris, d’agresseur patenté, tente ensuite de passer pour la victime de l’intransigeance d’un ‘’partenaire ingrat’’, en réduisant la crise à l’exigence marocaine de la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara.
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Dans les faits, dès son accession au trône en 1999, fidèles à leurs habitudes, la France officielle et ses relais, en dépit d’un Jacques Chirac à l’Elysée, présumé ami du Maroc et de sa royauté, ne peuvent s’empêcher d’essayer d’affaiblir, pour le réduire, un roi qu’ils cernent mal et échappe à leur grille de compréhension, mais dont certainement ils soupçonnent déjà la culture souverainiste. Un ouvrage, Le dernier roi, commis par un obscur journaliste dont il ne reste pour la postérité que le souvenir vague d’un prétentieux hargneux, témoigne des menées françaises de ces premières années agitées du règne de Mohammed VI.
Sarkozy ou l’embellie provisoire
Néanmoins, les avancées politiques et sociales opérées par Mohammed VI, parmi lesquelles l'instance Équité et Réconciliation et le code de la famille sont les réalisations les plus emblématiques, les progrès économiques symbolisés entre autres par le port de Tanger Med, l’adhésion populaire que suscite Mohammed VI, sa capacité à saisir le sens de l’histoire, forcent les milieux les plus hostiles en France à concéder l’exception marocaine. Naturellement, le rééquilibrage des relations économiques en faveur de l’Espagne et l’ouverture de Rabat à des partenariats stratégiques avec Moscou et Pékin continuent de susciter bien plus que la méfiance de Paris. Cependant, le bilan remarquablement positif des premières années du règne de Mohammed VI réussit à tempérer les ardeurs belliqueuses de ses adversaires.
L’élection en 2007 de Nicolas Sarkozy, plus cordial, à la présidence française, fera le reste pour installer les relations maroco-françaises dans une nouvelle embellie. Comme toutes les autres, provisoire.
Le faux printemps signe la déception des officines
Avec François Hollande, président improbable, les rapports vont vite se dégrader de nouveau. Le printemps arabe vendu comme un élan démocratique selon une illusion d’optique savamment concocté - de l’aveu même de l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, dans les laboratoires américains - crée l’espoir d’en finir avec les régimes arabes qui gênent et/ou déplaisent.
Au Maroc, ce faux printemps ne prend pas. Au grand désespoir des contempteurs de la monarchie marocaine. Réactif, le Roi Mohammed VI réussit rapidement à maitriser un ‘’mouvement du 20 février’’ qui, d’ailleurs, ne réclamait pas plus qu’une monarchie parlementaire. Déçus, les services du renseignement et d’autres officines renouent avec leurs recettes classiques de l’affaiblissement du régime.
La crise culminera en 2014, avec l’impensable et diplomatiquement inconcevable tentative d’inculpation à Paris du patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST). La crise durera près d’un an. Elle aurait pu prendre ses aises n’eut été les attentats de 2015 survenus dans la capitale française, incitant une certaine France, plus mature et plus consciente du rôle du Maroc dans la sécurité même du royaume de leur pays, à monter au créneau.
Le tonitruant face à l’histoire
En 2017, François Hollande quitte la rue du Faubourg-Saint-Honoré sur la pointe des pieds laissant la place à un tonitruant jeune homme que personne n’attendait. Forcément, il épate et étonne. Il séduit même malgré son exubérance qui flirte avec l’extravagance. Seulement voilà, il se vante de ne rien à voir avec l’ère coloniale de son pays et veut s’en affranchir pour n’en garder que le beurre sans passer par la caisse. Cette méconnaissance du poids de l’histoire et de ses pesanteurs durables, l’empêche de faire la bonne analyse et ne se rend pas compte que de l’autre coté de la Méditerranée aussi les élites ont beaucoup évolué, sans rien perdre, elles, de leur mémoire.
Dans son dernier ouvrage, Le temps des Combats (*), Nicolas Sarkozy évoque la Franceafrique et note que la ‘’désaffection’’ pour l’Afrique qu’il a ‘’pu observer chez tant de jeunes politiques français, toutes familles confondues’’, proviendrait en quelque sorte ‘’ du ressentiment qu’ont suscité chez eux les critiques et les campagnes contre cette Franceafrique. C’est une façon de voir depuis Paris, mais le fait est là : ‘’le phénomène s’est traduit, ajoute l’ancien président français, par une méconnaissance profonde et générale de ce continent, et de ceux qui maintenant le dirigent’’. Il n’est pas seul à le penser.
Six ans avant ce constat d’ignorance, le Roi Mohammed VI, de l’autre coté de la Méditerranée, attirait l’attention, dans l’autre sens, sur cette réalité. S’élevant contre ce qu’il a explicitement défini comme le ‘’tropisme’’ colonial, il appelle les Africains à se ‘’tourner vers notre continent’’, et fait remarquer que ‘’L’Afrique est aujourd’hui dirigée par une nouvelle génération de leaders décomplexés’’.
A l’épreuve de la nouvelle réalité africaine
Lorsque le Souverain marocain fait ce constat dans son discours devant l’UA en janvier 2017, Emmanuel Macron, peu enclin à la loyauté, denrée déjà rare en politique, est encore tout à sa campagne électorale où il est en train de damer le pion à l’ensemble la classe politique française. Ce n’est que six mois plus tard qu’il fera son entrée à l’Elysée après un passage théâtral par le Louvre. Enivré par son ‘’braquage du siècle’’, et par le pouvoir, pressé de jouer dans la cour des grands, Emmanuel Macron n’avait vraisemblablement pas eu le temps de regarder de plus près cette réalité africaine, ni d’en prendre toute la mesure. Le résultat de cette insouciante indifférence n’en est pas moins là.
Cette nouvelle réalité africaine ne va pas laisser indifférents les différents services français et il faut compter sur et avec eux pour déployer les menées auxquelles ils nous ont habituées, pour en modifier les conséquences. Ces opérations de déstabilisation des Etats qui font défection, sans doute déjà en cours (**), plongeront fort probablement les pays africains les moins immunisés au sein de cette sphère de la moribonde Franceafrique, dans davantage de problèmes. Toutefois, elles ne changeront rien à la situation.
La seule puissance du verbe
Le principal handicap d’Emmanuel Macron, à l’intérieur comme à l’international, qui remonte à la surface dès ses premiers mois à l’Elysée, est sa fâcheuse tendance à tout miser sur sa capacité à absorber les dossiers et son penchant pour les débats où le monologue prime sur l’écoute. Il tente cette approche avec le président américain Donald Trump aussi bien qu’avec son homologue russe Vladimir Poutine. Sans grand succès. Le même procédé est appelé à la rescousse en politique intérieur quand il est confronté à l’inédit mouvement des Gilets jaunes, ou encore, actuellement, avec les forces politiques de son pays. Une façon de faire que son deuxième mandat a empirée. Parce que l’intelligence collective de l’électorat français l’a réélu en 2022 par défaut tout en le plaçant sous tutelle par manque de majorité parlementaire à l’assemblée nationale comme au sénat, il persiste à croire que par la seule puissance du verbe, il parviendrait à rallier ses opposants. Et c’est encore à la même technique qu’il recourt en s’adressant après le séisme aux Marocains par-dessus les institutions du pays, pour leur dire combien la France les aime. On peut multiplier à l’infini les exemples. Mais s’il est vrai que ‘’Parlez, parlez, il en restera quelque chose’’, ce qui en reste dans tous les cas de figure précités, est plutôt gazeux.
C’est là précisément l’une des fortes oppositions de tempérament et de méthodologie qui le différencient du Roi Mohammed VI : plus volubile qu’éloquent, quand Mohammed VI, pour qui ‘’l’action ne se réalise pas à coups de réunions et de discours’’, est dans le réserve et la retenue. Il est cavalier et excité quand le roi du Maroc est dans la courtoisie et la subtilité. Pourtant, au début, on a l’impression que le courant était passé entre les deux hommes. Mais visiblement il est difficile d’entretenir un bon contact avec un personnage qui s’autorise d’interpeler un chef d’Etat au téléphone, ou qui s’oublie, comme avec l’ancien président du Burkina Faso avec cette ridicule blague de climatisation et de panne d’électricité.
L’élève de théâtre
Tout cela serait dérisoire, si Emmanuel Macron n’avait pas été le président d’une puissance, moyenne certes, mais nucléaire et volontiers interventionniste. Le drame avec ce président est qu’en élève assidu des cours de théâtre, il se voit en personnage shakespearien sur la scène internationale. Dans un ouvrage-portrait sur Emmanuel Macron, Président cambrioleur(***), dont on sort sans savoir s’il est figue ou raisin, la journaliste Corine Lhaïk raconte comment le locataire actuel de l’Élysée se réjouit que ‘’ l’histoire […] redevient tragique’’, et dit son bonheur que ‘’ ce vieux continent [l’Europe] de petits bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s’invite’’.
Au vu de cette déclaration, qui transpire une certaine nostalgie pour l’Europe de la barbarie, pour reprendre une expression de Nicolas Sarkozy, comment ne pas craindre que cet homme ne précipite son pays et avec lui une partie du monde dans une nouvelle tragédie. Le seul bémol qu’apporte l’auteure à ce profil aventureux est qu’Emmanuel Macron, à l’épreuve de la ‘’pratique’’, apparait ‘’à l’opposé de ce président dominateur’’. Il est hésitant. Il n’empêche que dans son épilogue, elle fait ressortir que cet homme ‘’qui a savouré le silence tranquille des dimanches avec sa grand-mère s’épanouit dans le désordre qu’il crée, dans les clivages qu’il suscite’’. Comment dès lors dormir sur ses deux oreilles avec un président qui frôle le divan.