Maroc et France : de l'accord de La Celle-Saint-Cloud à la visite d’Etat de Macron - Par Hatim Betioui

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Le Roi Mohammed VI recevant à Rabat le président français le 28 0CTOBRE 2024 _Depuis l’indépendance du Maroc en 1956, les relations entre les deux pays ont toujours été ainsi marquées par des hauts et des bas. Elles n’ont jamais été solides, mais jamais faibles non plus, évoluant selon des cycles plus ou moins longs, sans être affectées par l’idéologie du locataire de l’Élysée

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Le discours du président français Emmanuel Macron au Parlement marocain, mardi dernier, a été fort et percutant, soulevant en profondeur les questions qui méritaient d’être abordées. Macron a réaffirmé la reconnaissance de son pays de la souveraineté marocaine sur le Sahara. 

Son discours devant le Parlement marocain a aussi introduit une nouveauté : un accord franco-marocain visant à renouveler le rapprochement stratégique et à redéfinir une vision nouvelle des relations bilatérales, bien au-delà du partenariat conventionnel, dans la foulée de l'accord de La Celle-Saint-Cloud de 1955. Cet accord, signé entre le gouvernement français, dirigé par le Premier ministre Pierre Mendès France, et des représentants du roi Mohammed V, avait préparé le terrain pour la fin du protectorat français au Maroc.

Le Maroc, porte de l’équilibre dans le sud de la Méditerranée

La France est convaincue qu’après la guerre russo-ukrainienne, elle aura besoin de relations solides avec le sud de la Méditerranée, car elle est confrontée à des défis majeurs en Méditerranée orientale, une région stratégique mais sensible et riche en ressources, qui deviendra bientôt le principal corridor énergétique.

La Turquie, acteur clé dans la région, défie les ambitions françaises en s’appuyant sur la Grèce, membre de l’Union européenne, ainsi qu’Israël, qui possède d'importantes réserves de gaz, et l’Égypte, dotée elle aussi de grandes ressources gazières. Ainsi, la France accorde une grande importance au Liban et essaye de s’assurer qu’Israël ne menace pas sa stabilité, voyant en lui une potentielle porte d’entrée dans la région pour contrebalancer l’influence turque.

La France aura besoin de la rive sud de la Méditerranée, une région marquée par le différend entre le Maroc et l’Algérie au sujet du Sahara. En choisissant de soutenir le Maroc, la France pourrait trancher sa position dans ce conflit et agir en même temps pour favoriser un équilibre dans la région.

La récente visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune en Égypte s’inscrit dans ce contexte. Sa déception était palpable après que le président Abdel Fattah al-Sissi ait exprimé son souhait de préserver la stabilité de la région sans ingérence dans les affaires intérieures des pays voisins, un message implicite pour Tebboune quant aux tensions entre l’Algérie et le Maroc. Par ailleurs, l’Algérie est consciente que les équilibres stratégiques autour des réserves de gaz se concentreront dans l’est méditerranéen et non au sud, ce qui impactera son marché qui ne restera plus essentiel.

La France, bien informée de la situation régionale, est aujourd'hui plus convaincue que jamais que le Maroc est la porte d’entrée principale pour établir un équilibre dans le sud de la Méditerranée. En effet, l’Algérie, imprévisible, pourrait contrer les ambitions françaises en exploitant la situation au Mali, en Libye et même en Tunisie, rendant ainsi le Maroc central dans la stratégie française pour l'avenir de la région.

La visite de Macron au Maroc revêt également une importance économique, la France cherchant à retrouver sa place dans le pays, investie ces dernières années par l’Espagne. Une intense rivalité franco-espagnole est donc à prévoir. En mars 2021, l’Espagne a modifié sa position sur la question du Sahara en faveur du Maroc, mais, il faudrait le rappeler que la France avait devancé cette décision en 2007, sous la présidence de Jacques Chirac, étant ainsi le premier pays au monde à soutenir publiquement l’autonomie proposée par le Maroc.

Le Royaume devra gérer la compétition économique franco-espagnole avec délicatesse et un certain équilibrisme, les deux pays soutenant l’intégrité territoriale marocaine. C’est un grand succès diplomatique pour le roi Mohammed VI, qui a déjà affirmé que « la question du Sahara est le prisme à travers laquelle le Maroc perçoit le monde ». La visite de Macron à Rabat dépasse ainsi le simple cadre franco-marocain pour revêtir une dimension régionale et internationale.  

Une constante des relations : des hauts et des bas

Il est également important de rappeler que tous les présidents français ont eu, au fil des années, des relations houleuses avec le Maroc. À commencer par Charles de Gaulle, sous lequel les relations ont connu de grandes difficultés avec l’enlèvement et la disparition de l’opposant Mehdi Ben Barka en France. Les relations se sont réchauffées avec l’arrivée de Georges Pompidou, effectuant toutefois un rapprochement prudent.

La véritable ouverture s’est concrétisée avec le technocrate de droite, Valéry Giscard d'Estaing. Puis le président François Mitterrand, un homme de gauche qui avait des préjugés à l'égard du Maroc. Son arrivée à la présidence française a d’abord suscité un gel non déclaré des relations, jusqu'à sa visite au Maroc en 1984, qui a donné un nouvel élan économique en inaugurant un grand barrage financé par la France dans le Moyen Atlas, aux côtés du défunt roi Hassan II.

Le second mandat de Mitterrand, les relations entre les deux pays ont connu un renouveau avant de subir un nouveau coup d’arrêt pour diverses raisons. Sous Jacques Chirac, les relations ont atteint leur apogée grâce à ses liens personnels avec le roi Hassan II, un état qui a perduré sous Nicolas Sarkozy. Sous François Hollande, les relations se sont refroidies de nouveau, les observateurs marocains le jugeant « pro-algérien », notamment après sa visite en Algérie, exploitée médiatiquement par cette dernière, avant qu’il ne se rapproche du Maroc à mi-mandat.

L'ancien ministre socialiste marocain, Abdelkrim Benatiq, m’a confié qu’après avoir quitté l’Élysée, Hollande lui avait raconté qu’il se faisait vivement critiquer par le Maroc lors de ses déplacements en Algérie, et par l’Algérie lors de ses déplacements au Maroc.

Avec Emmanuel Macron, nous avons vu comment sa relation avec le Maroc a évolué lors de son premier mandat, la plaçant au cours de ces trois dernières années au bord de la rupture.

Depuis l’indépendance du Maroc en 1956, les relations entre les deux pays ont toujours été ainsi marquées par des hauts et des bas. Elles n’ont jamais été solides, mais jamais faibles non plus, évoluant selon des cycles plus ou moins longs, sans être affectées par l’idéologie du locataire de l’Élysée. Leur fondement a été l’accord de La Celle-Saint-Cloud, puis les intérêts communs et les complexités géostratégiques, qu’elles soient d’ordre régional, compte tenu de la proximité du Maroc avec l’Europe, ou mondial, dans un contexte de tension internationale.

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