National
Rien ne va plus avec la France ! Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
Au moment de l’adoption des lois sur le ‘’séparatisme’’, j’avais signé une longue chronique dans laquelle je mettais en garde contre « l’inexorable glissement vers une société d’apartheid ». Est-ce que nous y sommes déjà ? En plein apartheid ? Si ce n’est pas encore le cas, il y a tout lieu de craindre qu’en cédant aux instincts grégaires d’une opinion en plein désarroi, les dirigeants ne transforment le glissement en véritable plongeon (AIK)
Les Marocains ne sont les plus les bienvenus en France. Ils auront de moins en moins de visas pour s’y rendre. Les plus hautes autorités françaises l’ont clairement signifié à un Maroc qui se plaît à devenir autiste chaque fois qu’il est face aux incartades de la France. Cette mesure brutale serait la conséquence au prétendu « manque de coopération des autorités consulaires marocaines » qui délivraient parcimonieusement les permis de rapatriement pour nos ressortissants déclarés indésirables en France. La mesure devait en principe frapper les principaux dignitaires du régime marocain pour les obliger à plus de coopération.
Les officiels français savent que ce qu’ils avancent est totalement faux, et le pire est qu’ils savent que tous les Marocains le savent aussi. Une provocation, à la fois grossière et indigne, qui n’ose pas dire son nom !
Au-delà de la provocation, l’Ambassade de France choisit des fois l’humiliation méchante. Imaginez un ancien procureur général, ancien directeur général de la Sûreté nationale, ancien Wali qui s’est vu refuser le visa alors que le personnage de près de 85 ans est retiré de la vie publique depuis longtemps et qu’il n’a plus aucune prise sur les événements. De plus la visite devait le conduire à faire des contrôles médicaux.
À ce propos, il y a de nombreux Marocains qui avaient l’habitude de se soigner en France et qui n’arrivent plus à avoir de visa pour aller revoir leurs médecins dans l’hexagone. En ne prenant pas en compte leur détresse, la France rajoute à la provocation gratuite et l’humiliation méchante ce côté délibérément inhumain. La France est-elle en passe d’effacer des frontons de ses édifices publics le mot Fraternité ?
Je fais usage d’un ton incantatoire pour réveiller les Marocains frappés d’autisme quand il s’agit de la France. Mais, si je dois m’adresser à ceux de mes compatriotes qui sont prêts à poser sur ce pays un regard, serein, sans émotion, il suffit de montrer que le pays de Macron est dans une opération fortement attentatoire à l’intérêt du pays.
Lire aussi : Chronique d’un divorce annoncé – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
On peut parfaitement admettre que France ait décidé de ne plus délivrer qu’un visa sur deux pour satisfaire son opinion publique qui a massivement manifesté sa franche hostilité au Maghreb lors des dernières élections présidentielles. Mais comment peut-elle s’arroger le droit de refuser des visas juste pour brider notre développement.
Nous avons tous en tête le cas de l’OCP qui en aurait fait les frais. Qu’importent les dénégations de ses responsables, qui sagement ne voulaient pas jeter l’huile sur le feu. Il semblerait toutefois qu’ils auraient réussi à sauver la manifestation à Paris grâce à des agents qui avaient des visas en cours de validité. Nous sommes en droit d’imaginer qu’un fleuron de notre économie a été volontairement visé. L’idée est largement accréditée par l’opinion, laquelle opinion assimile cet acte comme une forme d’agression contre le pays.
L’inquiétude des Marocains est-elle fondée ? Oui si on s’en tient juste aux chiffres : un peu plus de 30 000 visas délivrés en 2021, soit à peine 8% de 2019. Covid est passé par-là, mais il n’y a pas que … Fallacieux prétexte qui semble imposer un nouveau rythme de délivrance des visas. S’il est vrai que la baisse était générale dans les autres ambassades de l’UE, l’effondrement statistique côté français, laisse augurer des développements bien plus inquiétants.
L’inquiétude est palpable quand on prête attention à un faisceau d’indices qui laissent penser que la France procède à un discret repli du Maroc. Après le départ de sociétés prestigieuses spécialisées dans les services aux municipalités, comme la Lyonnaise des Eaux (Lydec), nous assistons au retrait de certaines banques. Le Crédit du Maroc vient d’être cédé au groupe Bensalah, et la BNP chercherait (conditionnel de rigueur) à se défausser de son fleuron au Maroc, la BMCI.
Le repli de gros intérêts français, s’il devait se confirmer, risquerait de banaliser la sournoiserie de l’affaire des visas, mais conforterait l’idée de l’existence d’une crise profonde entre les deux pays. Qu’est-ce qui ne va plus entre eux ? Côté Maroc, rien n’a changé. Au contraire il y a une complaisance coupable dès lors qu’il a affaire à la France. Une complaisance qui tient à des raisons économiques, politiques, historiques, culturelles, affectives. Bref, tant de considérations qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.
On peut cependant rappeler que, malgré l’extrême sensibilité des Marocains à l’affaire du Sahara, ils ont eu beaucoup de scrupules pour n’avoir jamais cherché à brouiller la France avec l’Algérie en exigeant une reconnaissance formelle de la marocanité du Sahara, à la manière des Américains. Certes, le soutien de la France est empreint à la fois de subtilité et d’efficacité. Le jeu d’équilibriste qu’elle affectionne est largement plébiscité par les Marocains car il permet en même temps de préserver les intérêts de l’Hexagone.
Le traitement énergique réservé par le Maroc à l’Allemagne et à l’Espagne en rapport avec le Sahara, est à l’opposé du traitement privilégié fait à la France. Autant dire que notre pays fait preuve d’une remarquable constance pour préserver la position privilégiée de ce pays. Mansuétude à toute épreuve !
Peut-on en dire autant de la France ? Aucunement ! Les faits sont là, têtus, qui rappellent à ceux qui continuent à en douter, qu’elle a manifestement changé de politique à l’égard du Maroc. Pour les plus pessimistes, la France est en passe d’enterrer définitivement la bonne entente qui a prévalu depuis des lustres entres les deux pays.
On pourrait comprendre les gouvernants français qui ont pris acte de l’hostilité grandissante de leur opinion contre l’immigration, trahissant ainsi la montée manifeste de la xénophobie dans le pays, lesquels gouvernants ont donc été amenés à entraver drastiquement la circulation des personnes en provenance du Maghreb.
Au moment de l’adoption des lois sur le séparatisme, j’avais signé une longue chronique dans laquelle je mettais en garde contre « l’inexorable glissement vers une société d’apartheid ». Est-ce que nous y sommes déjà ? En plein apartheid ? Si ce n’est pas encore le cas, il y a tout lieu de craindre qu’en cédant aux instincts grégaires d’une opinion en plein désarroi, les dirigeants ne transforment le glissement en véritable plongeon.
Plus haut dans ce texte, je disais qu’on « pourrait comprendre les dirigeants français ». Oui, malheureusement on ne les comprend que trop ! Aujourd’hui, en plus d’entraver la circulation des hommes, la France s’ingénie à bloquer la circulation des capitaux. Pour asphyxier le Maroc, elle ne pouvait pas trouver mieux que d’empêcher les MRE à transférer leurs économies vers leur pays d’origine. Les manœuvres dilatoires des autorités françaises viennent comme pour sanctionner la performance de 2021 qui a vu les transferts vers le Maroc atteindre des sommets avec 9 milliards d’Euros, devenant ainsi la principale composante de notre balance des paiements.
Faut-il rappeler que les tracasseries dressées par la France n’obéissent à aucune règle de quelque nature que ce soit. Le MRE transfert de l’argent à partir d’une ressource préalablement imposée par l’Etat Français. Si avec cet argent il réalise au Maroc un projet qui lui rapporte, les profils seront imposés au Maroc. Compte tenu de la Convention de non-double imposition entre les deux pays, notre MRE est en parfaite conformité avec la législation de chaque pays.
La violation de cette règle quasi-universelle serait dommageable pour la crédibilité de la France. Pour la contourner, les autorités françaises jouent sur le registre du blanchiment de l’argent pour décourager les transferts des MRE. C’est la mauvaise foi érigée en arme de démolition massive de notre économie.
Il est de notoriété que ce n’est pas chez les gagne-petit qui transfèrent quelques centaines, voire parfois quelques milliers d’Euros, qu’on va rencontrer les gros trafiquants qui ont des besoins de blanchiment infiniment plus importants. Les Français le savent très bien, et c’est à dessein qu’ils élargissent les persécutions contre les MRE pour nourrir un climat de suspicion généralisée contre les Maghrébins en général et les Marocains en particulier.
Le pauvre bougre qui envoie quelques sous à sa famille restée au bled risquerait d’être fiché comme trafiquant. Tant qu’à faire pourquoi ne pas rajouter, comme c’est de rigueur dans le cas d’espèce, la présomption de terrorisme ?
La France dévoile, chaque jour un peu plus, sa franche hostilité au Maroc. La Monarchie continue à se maintenir pudiquement derrière ce voile, car elle appréhende la réaction de ses sujets face à la duplicité française.
Pourtant dans ce bras de fer que nous impose l’hexagone, nous ne manquons pas d’atouts, et pas seulement pour faire jeu égal. Au vu de la déliquescence de la Vème République, c’est la France qui se fait le plus de mal en tournant le dos à un pays sérieux qui sait alterner audace et sagesse ! Mais le retour de manivelle n’est jamais loin !