société
Le maghrébin ; l’étranger « éternel » de la laïcité crispée
D?s que la parole sur les ?l?ments clandestins ou les ?migr?s en g?n?ral, s'intensifie, la r?pression se mobilise et les m?dias en font leur sujet privil?gi?
Nul ne doute que la question migratoire maghr?bine est un enjeu politique majeur dans les soci?t?s d'accueil. Elle provoque des inqui?tudes, des passions, des d?bats ? tous les niveaux de prise de parole.
Comment l'immigr? est-il per?u par le discours politique ? Comment l'acte de nommer change-t-il avec les fluctuations de la politique ?
Le discours sur l'Autre ne concerne gu?re l'Autre exclusivement. Il r?v?le, aussi, certains aspects de la subjectivit? de la soci?t? d?accueil. Ainsi, les soci?t?s europ?ennes qui accueillent l'immigration formulent des appellations diff?rentes ? l'?gard des ?trangers, surtout maghr?bins, selon le contexte social, la conjoncture ?conomique, le climat politique, psychologique et le traitement m?diatique. En effet, le lexique utilis? change de termes, conna?t des glissements s?mantiques ? la lumi?re des mutations qui caract?risent le ph?nom?ne migratoire.
Il est connu que le mouvement d'?migration maghr?bine vers l'Europe commen?a pour des raisons purement ?conomiques. Il devient, avec le temps, un ph?nom?ne social, jusqu'? ce qu'il s'impose comme question politico-culturelle d'une grande complexit?. L'attitude ? l'?gard de l'immigration prend l'aspect d'un grand pari dans la politique fran?aise depuis plus de quatre d?cennies. Elle devient un facteur de manipulation discursive et communicationnelle, ? tel point que l?extr?me droite utilise ce sujet comme un grand pr?texte dans les conflits politico-?lectoraux. Le danger du discours de droite consiste dans le fait d'investir une id?ologie toute faite, presque ?vidente, mais elle poss?de une force consid?rable quant ? sa capacit? d'influence et de mobilisation. Elle compose des valeurs simples ? des ?motions fortes, comme la d?fense de l'origine, la puret? du sang, le rejet de l'Autre, et pr?che la n?cessit? de le refouler ? cause de sa ??diff?rence sauvage ?, sa concurrence face aux gens du pays, alors qu?en ce moment la gauche traverse un malaise r?el. Elle se trouve incapable de formuler un discours coh?rent sur l'immigration, partag?e entre un ?conomisme qui d?fendait le r?le utile du travailleur immigr? et un humanisme qui r?clame plus de compr?hension ? son ?gard. Le traitement de ce sujet est li? aux impasses que conna?t l'id?ologie de gauche en g?n?ral, aux ?checs des politiques de d?veloppement dans les pays du sud m?diterran?en, et aux diff?rentes formes d'in?galit?s au niveau international.
A cause des d?structurations socio-?conomiques que les pays du Maghreb connaissent, et des blocages politiques, une majorit? de jeunes maghr?bins songent, toujours ? ?migrer. Aller ? l'aventure, quelles que soient les cons?quences. L'essentiel c'est de vivre l'exp?rience, en esp?rant sortir de la mis?re. Les moyens ne d?terminent gu?re la d?cision, bien que l'Europe ne cesse de construire des murs autour de ses fronti?res sud et orientale.
Tous les moyens sont investis aux temps des marchandages politico-m?diatiques, puisque le discours politique, dans le contexte de mobilisation, a besoin d'intensification, de provocation des ?motions et du spectacle, par l'?vocation de sujets qui touchent la vie quotidienne, comme l'emploi, la couverture sociale, la s?curit?. Toute une dialectique s'est construite, progressivement, entre la parole sur les immigr?s, ou les jeunes issus de l??migration, et les op?rations de contr?le et de r?pression. D?s que la parole sur les ?l?ments clandestins ou sur les ?migr?s en g?n?ral, s'intensifie, la r?pression se mobilise, et au moment o? la r?pression r?ussit sa besogne les m?dias en font leur sujet privil?gi?, en particulier quand ils manipulent des termes de port?e dramatique, comme ? clandestin ? , ? ?tranger ? , ou ??djihadistes??, qui provoquent la peur et la prise en compte des dangers qu'ils peuvent cr?er pour la stabilit?, la s?curit? de la soci?t? d'accueil.
Cet amalgame concerne m?me des responsables politiques issus de l?immigration. Les d?bats d?clench?s par la nomination de Najat Vallaud- Belkacem ? la t?te du grand minist?re de l??ducation nationale, de l?enseignement sup?rieur et de la recherche scientifique est symptomatique d?une crispation profonde ? l??gard des ??citoyens?? fran?ais issus de l?immigration. La droite et son extr?me ont mobilis? tout le lexique x?nophobe et haineux contre cette jeune ministre parce qu?elle est d?origine marocaine, musulmane et qui risque d????islamiser?? l??cole la?que?!!! A l?occasion de cette pol?mique, symptomatique d?un malaise r?el dans la soci?t? fran?aise, Driss Ajbali, un des grands connaisseurs de la question de l?immigration, observe que Najat Belkacem ??incarne l?aboutissement de nos combats d?antan (les ann?es 80) pour l??galit? dont la France manque tant, et de plus en plus, en ces heures de d?litement et de fractures. Dans une soci?t? qui a mal ? son immigration et qui, depuis 1989 avec l?affaire du foulard, a fait de ce sinistre fichu un marqueur de l??chec de l?int?gration, il aurait fallu voir dans cette belle femme une banni?re de modernit? et un quitus d?une parfaite int?gration. Car quoi de plus que l?int?gration politique, stade ultime de l?int?gration tout court???.(In Quid.ma 10-09-2014)
Le probl?me de la France, au fond, consiste dans le fait qu'elle se consid?re un pays la?c, la nation des Lumi?res et des Droits de l'Homme, mais elle se trouve ? ??l'avant-garde?? des pays europ?ens qui r?sistent toujours contre la reconnaissance des droits fondamentaux des immigr?s, particuli?rement les droits politiques et culturels, comme Alain Touraine ne cesse d?observer.