Le Maroc et le monde après la covid-19 : III. Quelles options pour le Maroc ? Par Ahmed Herzenni

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Le Roi Mohammed VI présidant le 5 juillet 2021au Palais royal de Fès la cérémonie de lancement et signature de conventions relatives à la fabrication et mise en seringue du vaccin anti-Covid19 et autres vaccins

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Dans cette troisième et dernière partie de l’étude d’Ahmed Herzenni dans le cadre de l’ouvrage collectif consacré à la crise sanitaire suite à la pandémie du Coronavirus Sars-Cov-2 et ses conséquences sur le monde, l’auteur s’attelle, but de l’étude, aux options qui s’offrent au Maroc. Cette étude déclinée en trois chapitres a commencé par les l’examen de quelques limites du système capitaliste néolibéral mondialisé. Dans la deuxième partie il a abordé les fractures qui menacent le monde et tente de tirer les leçons de l’un des paradoxes majeurs de la mondialisation (la « mondialisation 2.0 » !) qui s’est finalement soldée par un renversement spectaculaire des rapports de force en son sein sans conclure à un dénouement rapide de l’affrontement planétaire entre le nouvel Est et le nouvel Ouest et sans parier sur une défaite inéluctable, même à moyen terme, du second. 

III. Quelles options pour le Maroc ?

« Identité » du Maroc

On est tenté de crier : Le Maroc (aussi) est une île !

En effet, le Maroc ne s’inscrit réellement, de manière concrète, ni dans un bloc commercial, ni même dans un ensemble ethnico-linguistique et religieux.

Certes, dans la foulée de sa réintégration de l’Union Africaine, il a demandé à rejoindre la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Mais soyons francs : ses chances d’y accéder effectivement sont minces, surtout que certains, à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté, le perçoivent comme une menace par sa puissance potentielle, alors même que ladite communauté reste dépendante d’au moins une ancienne puissance coloniale, surtout au plan monétaire ! D’ailleurs, avec l’instabilité régnant dans la région, rien ne garantit la pérennité de la CEDEAO. 

La communauté qui normalement aurait été le cocon au moins économique et commercial dans le cadre duquel le Maroc aurait déployé tout son potentiel est la communauté maghrébine, peut-être étendue jusqu’à la Lybie et l’Egypte. Mais on sait ce qu’il en est.

Reste l’Europe. Elle nous accorde un « statut avancé » de « voisin », mais il est vain d’en espérer plus.

Le Maroc est donc bien une île. Il l’est aussi dans ses dimensions culturelles. 

On nous classe parmi les musulmans sunnites. Mais en fait nous ne sommes ni sunnites ni chiites. Ou plutôt nous sommes une synthèse singulière des deux. 

En matière de droit et de jurisprudence, nos références sont résolument sunnites. Mais cela ne nous empêche pas de fêter l’Achoura, de privilégier des noms à résonnance alide (Ali, Fatima-Zahra, Zainab, Hassan et Houssein, Idriss, etc.). 

Surtout, notre histoire regorge d’épisodes teintés de chiisme (la fondation de la première dynastie musulmane marocaine par Idriss 1er, l’incursion des Fatimides au nord du pays avant leur émigration vers l’Egypte, l’utilisation par Ibn Toumart du mythe du Mahdi …), et notre système politique, depuis les Saadiens, est incontestablement conforme aux standards chiites, puisqu’il repose sur la notion du pouvoir aux « Ahl al Bait » (les descendants du Prophète).

A strictement parler donc, nous ne sommes assimilables ni aux sunnites, ni aux chiites.

Mais cela nous laisse solitaires … sur notre île enserrée par les eaux des mers et les sables du désert, et davantage encore par l’inimité de nos voisins.

Faut-il en désespérer ?

Il n’en est pas question !

D’abord, la simple proximité et les acquis déjà obtenus, souvent de haute lutte, le long des années, nous imposent de persévérer et de continuer à jeter et élargir des ponts avec l’Europe et l’Afrique.

S’agissant de l’Afrique en particulier, les priorités seraient de construire des rapports privilégiés avec la Mauritanie ; d’insister auprès de la CEDEAO ; et d’être plus présent dans des pays anglophones d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe. Bien entendu, ceci concerne l’Etat mais aussi le secteur privé.

Ensuite, le fait d’être solitaire ne comporte pas que des inconvénients. Il comporte aussi des avantages.

Le premier de ces avantages est de pouvoir se proclamer non-aligné. Et il y a lieu d’en être fier, car non-alignement est synonyme de paix et de coexistence entre les peuples, qui sont parmi les principes les plus nécessaires à respecter pour la survie de l’humanité.

Le deuxième avantage de n’appartenir à aucun bloc commercial ni ensemble ethnico-linguistique et religieux, plus prosaïque, est … de pouvoir commercer avec tout le monde, à condition, bien sûr, d’avoir quoi échanger.

Moins prosaïque cette fois-ci, le troisième avantage de la « solitude », et d’ailleurs aussi d’un non-alignement effectif, est qu’ils permettent d’acquérir un statut de médiateur.

Par médiation nous n’entendons pas ici seulement l’exercice de bons offices pour prévenir ou aider à résoudre un conflit ponctuel, mais également et plus encore en fait la proposition de stratégies globales destinées à préserver la paix et la santé de l’environnement, à promouvoir un développement durable et à assurer la coexistence et la coopération entre les peuples.

En marge des blocs commerciaux et des ensembles ethnico-linguistiques et religieux, il n’est pas interdit d’imaginer la formation d’une sorte d’ « internationale des sages » entre les pays ou morceaux de pays ou confédérations de pays ou de morceaux de pays–-il y en aura certainement–-qui pour une raison ou une autre n’en appartiendraient à aucun. Le Maroc aurait évidemment sa place dans une telle « internationale ».

Voilà pour les grandes orientations géopolitiques. Maintenant, au plan des politiques intérieures, quels sont les défis ?

Préserver l’unité nationale 

Le premier défi est la préservation de l’unité du pays et du peuple. Cette unité n’est nullement menacée en ce moment, surtout pas en ce qui concerne la défense de la récupération de nos provinces sahariennes, qui fait l’objet d’une belle et solide unanimité, mais quelques secousses se font sentir au loin, provoquées par les animateurs zélés de deux thèmes, le thème religieux, d’une part, le thème de l’amazighité, d’autre part.

Les premiers sont divers. On trouve notamment parmi eux, des Wahhabites avec une frange disposée à tout moment à passer au terrorisme ; des Frères Musulmans ; des chiites ; et des adeptes d’un mouvement politico-soufi.

S’il ne s’agissait, à l’exclusion du terrorisme bien entendu, que d’interprétations différentes de l’Islam, et de regroupements de gens qu’unit la même interprétation, pour pratiquer dans la paix leur différence, en acceptant bien sûr les différences des autres, il n’y aurait pas de problème. Les zaouïas (confréries) ont été conçues comme cela et le Maroc regorge de zaouïas, dont certaines relativement récentes. Mais il ne s’agit pas de cela. Nous sommes devant des mouvements qui, ouvertement ou non, contestent la légitimité même de l’Islam marocain tel qu’il s’est construit au terme de plusieurs siècles de débats, de conflits et d’ajustements. Pis, à part le mouvement politico-soufi, ils fraient avec des sortes d’ « internationales » et suscitent donc des doutes quant à leur loyalisme vis-à-vis de leur nationalité.

Un de ces mouvements dirige le gouvernement depuis neuf ans. Cela prouve la sincérité de l’Etat marocain dans son engagement démocratique. Au mouvement concerné maintenant de prouver également qu’il s’est imprégné de philosophie démocratique et pas seulement de l’art des techniques démocratiques, qu’il n’a ou n’a plus de liens avec quelque internationale que ce soit et que son allégeance va, exclusivement, à la patrie.

Lire aussi : Le Maroc et le monde après la covid-19 : I- De quelques limites du système capitaliste néolibéral mondialisé – Par Ahmed Herzenni

S’agissant des animateurs du thème de l’amazighité, précisons d’abord que nous visons une toute petite minorité. La grande majorité des militants de l’amazighité est satisfaite des acquis obtenus et qui ont culminé avec l’octroi à la langue amazighe du statut non seulement de langue nationale mais de langue officielle à côté de l’arabe. Cette majorité de militants se concentre maintenant sur les questions relatives à la mise en œuvre des acquis. La minorité dont il s’agit se comporte, elle, comme si la lutte venait de commencer. Elle ne peut pas prétendre que l’amazighité est l’affaire d’une ethnie ou d’un groupe d’ethnies : biologiquement, l’immense majorité des Marocains, y compris ceux qui ne parlent pas la langue, est amazighe. Encore moins peut-elle revendiquer une base territoriale exclusive ! Que reste-t-il alors ? La culture. Mais elle est ouverte depuis longtemps à toutes sortes d’initiatives. Trop peu pour nos zélotes ! On se demande alors d’où vient leur rage. Seule explication : une haine irrationnelle de tout ce qui est arabe ou lui ressemble. Cette haine nous projette gratuitement, et du mauvais côté, dans des conflits régionaux dans lesquels nous ne sommes pourtant, dans le meilleur des cas, que des acteurs secondaires, et qui risquent ainsi fort de nous atteindre par un effet de boomerang. C’est là le danger que représente la minorité d’amazighistes dont nous parlons. Répétons-le : il s’agit d’une toute petite minorité. Mais les grosses lézardes commencent toujours avec de toutes petites fissures. 

Espérons que les problèmes qui pourraient affecter notre unité nationale seront réglés rapidement, de manière sincère et apaisée, avec la participation de toutes les parties concernées. Car le second grand défi qui nous attend, celui du développement, n’est pas une mince affaire. Comment l’affronter ?

Les propositions qui suivent, tout en n’ayant probablement rien d’original, sont forcément sommaires. Dans ce domaine plus qu’en d’autres, les propositions doivent être harmonisées, leurs prérequis ainsi que leurs probables impacts doivent être identifiés et/ou imaginés à l’avance, leur faisabilité doit être étudiée et testée, toutes choses qui requièrent un travail d’équipe sinon une mobilisation nationale, et du temps ! Ces propositions sont donc à prendre comme de simples signaux indiquant de possibles pistes à suivre.  

Elaborer un schéma de développement

Nous avons délibérément évité de parler de « modèle » de développement car il ne peut plus y en avoir. Les grands modèles (socialisme, néolibéralisme) n’ont plus cours et plus de crédit, et s’en réclamer d’un, serait-ce à un usage exclusif, serait trop prétentieux et trop imprudent. Mieux vaut se contenter d’ambitionner, comme dans les sciences sociales au temps de leur âge d’or, la confection de schémas de « moyenne portée » (en sciences sociales on parlait de « théories de moyenne portée »). Il s’agit de schémas qui permettraient d’organiser les efforts pendant une, deux, trois décades, et qui pourraient être facilement changés dès qu’ils montreraient des signes d’essoufflement (5).

Toutes les nations doivent aujourd’hui se doter de nouveaux schémas de développement économique, y compris les plus puissantes, sous peine d’implosion ou de rechute dans le sous-développement. Et il va de soi que tous les nouveaux schémas de développement économique devront comporter des dosages respectables et de public et de privé. Les pays qui n’étendront pas la sphère du public au moins á tous les secteurs « sociaux » (santé, logement, éducation) en pâtiront. Ceux qui ne favoriseront pas une dynamique significative du secteur privé en pâtiront également.

Mais il ne suffit pas de redéfinir les rôles respectifs de l’Etat et du secteur privé pour construire un schéma de développement. En réalité, il faut revisiter les questions les plus basiques de l’économie politique, á savoir : 

Que faut-il produire ?

Comment le produire ?

Comment répartir le produit ?

Et nous ajouterons, du point de vue de l’économie sociale :

  • Quels filets de sécurité prévoir pour les catégories de la population les plus défavorisées ?

 Que faut-il produire ? 

Evidemment tout ce qu’il est possible de produire de manière rentable, que le marché soit ouvert ou protégé. Pour cela il faut que les ressources soient connues de tous et que tous puissent y accéder. Mais surtout, il faut qu’il y ait des entrepreneurs, c’est-à-dire des gens qui veulent s’enrichir (honnêtement), qui ont des idées d’entreprise intéressantes et qui sont capables de prendre des risques (raisonnables). C’est cette catégorie de la population qui finalement est la ressource la plus rare, et la plus précieuse. Il faudrait multiplier les initiatives pour en faire se manifester les membres potentiels. Des programmes d’éveil à l’esprit d’entreprise devraient être introduits dans les cursus scolaires dès le primaire. Les tiroirs du Ministère de l’Education Nationale recèlent d’ailleurs de tels programmes mais, comme beaucoup d’autres projets, dans le domaine de l’enseignement et dans d’autres domaines, ils semblent avoir été oubliés…

Un autre gisement pour l’esprit d’entreprise et la création effective d’entreprises est … le secteur informel. Maintenant que l’Etat a démontré sa bonne volonté à son égard, en volant à son secours lorsqu’il a été frappé par la COVID-19, l’Etat est en droit d’exiger qu’il se … formalise, quitte bien entendu à l’accompagner dans cette conversion.

Maintenant, quels biens produire ?

La COVID-19 a rappelé au monde entier la primauté de l’agriculture, de la production de biens de base alimentaires. Evidemment, aucun pays ne peut plus se targuer de pouvoir réaliser l’auto-suffisance dans ce domaine, mais un minimum de sécurité alimentaire doit être recherché.

Un autre domaine de production qui mérite une mention spéciale est le domaine culturel. C’est peut-être, à l’échelle globale, le seul domaine qui, du moins au stade de la création,  échappera à l’Intelligence Artificielle, et encore ce n’est pas sûr car la création c’est de  l’innovation, or celle-ci ne résulte souvent que de la combinaison d’éléments anciens, donc emmagasinables dans des mémoires artificielles. Il suffira du geste d’un opérateur pour qu’une multitude de résultats soit générée, parmi laquelle un maître d’œuvre sélectionnera le prototype final.

Même avec l’invasion prévisible de l’IA, qu’il faudra bien tenter de maîtriser, le champ culturel offre aux entrepreneurs culturels potentiels des opportunités quasi-infinies. Au pire, ils peuvent s’atteler à l’emmagasinage de l’existant.

Comment produire ?

Cette question couvre deux volets, le volet énergétique et le volet technologique.

En ce qui concerne l’énergie, il faut privilégier des sources renouvelables, le pays en est déjà convaincu, il faut poursuivre dans la voie consacrée par le projet NOOR de Ouarzazate.

En ce qui concerne la technologie, il y a dilemme. Le pays compte des millions de bras à la recherche de travail, d’une part ; d’autre part il ne s’agit pas de rater le tournant de « l’industrie 4.0 ». Il faudra donc chaque fois arbitrer entre une option fortement utilisatrice de main-d’œuvre et une technologie de pointe.

Questions de répartition 

Ici aussi il y a dilemme, et même double dilemme. 

Primo, en effet, si l’on prétend encourager l’entreprise, et donc l’enrichissement des entrepreneurs, l’on ne devrait pas imposer des limites, en tout cas pas des limites trop étroites ou trop rigides, au profit.

Secundo, si le souci est d’offrir du travail à un maximum de monde, alors pendant longtemps le niveau des salaires ne devrait pas constituer la priorité la plus pressante.

Toutefois, il n’est plus question de céder à l’appel des sirènes du capitalisme sauvage. Les salaires, en particulier, doivent assurer un minimum d’accès aux droits sociaux fondamentaux (alimentation, logement, santé, éducation, etc.). Déjà au milieu du XIXe siècle, un Marx ne posait-il pas que la notion que chaque époque a de ce qu’est une vie décente entrait inévitablement dans la formation des salaires ? (6)

Concernant les profits, il s’agit certes de les légitimer et de valoriser les entrepreneurs qui savent en faire jaillir. Mais l’époque ne tolère plus des inégalités qui frisent le fantastique. Au-delà d’un certain seuil, qui respecte et les besoins de réinvestissement et les besoins de jouissance des concernés, les très grosses fortunes devront être soumises à un impôt conséquent--un impôt progressif, bien entendu, et universel, c’est-à-dire qui n’épargnerait pas non plus les catégories les moins favorisées de la population, quitte à leur réserver des taux symboliques, mais qui raffermiraient leur conscience citoyenne. 

Concernant les travailleurs indépendants, nous n’avons rien de particulier à dire ici.

Enfin, concernant les sans-emploi, sans revenu régulier, leur cas relève du paragraphe suivant

La protection sociale

Avec les restrictions imposées par la COVID-19 et, plus fondamentalement, l’expansion prévisible de l’industrie 4.0, il y aura partout dans le monde une augmentation considérable des individus qui, même jeunes et en bonne santé, auront besoin de protection sociale. Est-il exagéré de dire que dans le nouveau monde qui s’ébauche, la condition humaine sera une condition de protégé, fût-ce par sa propre société, à travers l’Etat ?

Au Maroc en tout cas, durant le confinement, nous avons connu cette situation où une majorité d’employés, de l’Etat et du secteur privé, continuaient de recevoir leurs salaires sans aller au travail, et où un grand nombre de citoyens démunis bénéficiaient d’une assistance de l’Etat. Cette situation, selon toute vraisemblance, préfigurait l’avenir.

lire aussi :  Le Maroc et le monde après la covid-19 : II- vers un globe fracturé – Par Ahmed Herzenni

Outre l’investissement accru dans la santé, le logement et l’éducation, l’assistance de l’Etat va être davantage requise. Alors, ne vaut-il pas mieux anticiper et songer dès aujourd’hui à fondre toutes les formes de protection sociale existantes en une seule : un Revenu de Base Universel ?  

Il ne suffit évidemment pas de jeter cette idée comme on jette une bouteille à la mer. Il faut en même temps penser aux différentes manières d’augmenter les ressources de l’Etat : généralisation de l’impôt bien sûr, mais aussi lutte contre la fraude fiscale et l’évasion de capitaux ; révision, peut-être, de certains salaires et indemnités, etc. Une fois la faisabilité du RBU établie, si elle l’est, alors il faudra en formuler les modalités : montants selon l’âge et l’occupation, rapports avec d’autres composantes du revenu, etc. 

Ce n’est pas le lieu, ici, de s’aventurer à s’étendre sur ces questions. Il est important de souligner cependant qu’elles doivent être abordées avec un esprit positif : il ne s’agit pas que de dépenses, il ne s’agit pas d’aller à l’abattoir ; au contraire, en l’occurrence la protection sociale devient un moyen durable de « relancer l’économie », comme on dit.

Le pire n’est pas inéluctable 

Finalement, la COVID-19 entrera dans l’histoire comme le fourrier d’un monde différent. Un monde marqué par une récession générale et durable, où les pays seront forcés de se replier sur eux-mêmes ou sur des espaces régionaux ; où ils seront exposés à des tiraillements d’ordre ethnico-linguistique ou religieux. Un monde « 4.0 » où l’automation sera reine et où le travail tel que nous le connaissons sera rare. Un monde où les citoyens de tous les pays seront plus dépendants vis-à-vis d’Etats aux fonctions accrues. Un monde, donc, où les risques d’un contrôle social systématisé, voire d’un basculement vers des modes de gouvernement autoritaires, seront très élevés.

Le pire n’est cependant pas fatal. Le monde qui se profile offre aussi des opportunités d’émancipation. Emancipation d’abord par rapport à un mode de production oppresseur qui, si cela était possible, devrait répondre devant le tribunal de l’histoire de l’écrasement et de la déformation de millions et de millions de vies humaines, sans parler des victimes innombrables de ses corollaires, l’impérialisme et les guerres. Emancipation également par rapport à un mode de consommation non moins destructeur, et vis-à-vis de la nature et vis-à-vis de ses adeptes eux-mêmes. L’humanité a aujourd’hui la chance de pouvoir retrouver des modes de consommation plus sains même si — et pas nécessairement — plus frugaux. En même temps elle a la chance, et les moyens, de pouvoir largement compenser des relations sociales trop « fonctionnelles » par des relations sociales plus conviviales, même à distance. La culture sous toutes ses formes offre à l’activité et à la créativité humaines des champs infinis. Et les méthodes pour empêcher les dérives policières et autoritaires ne manqueront jamais.

Ce qui risque malheureusement de manquer, c’est ce que signalait déjà une Susan George au lendemain de la grande crise financière de 2008 : « Nous avons le nombre, nous avons les idées, il nous manque l’organisation, il nous manque d’avoir fait prendre la mayonnaise, il nous manque la conscience de notre force, il nous manque un programme … » (7).

Notes des trois parties. Le lecteur pourra se rapporter pour les deux partie au lien intégré au texte ci-dessus :

  1. Voir l’article de Uma S. Kambhampati, The Whole Idea of Global Value Chains will be Reconsidered after Coronavirus, in The Conversation, April 28, 2020. [The Conversation est une revue électronique].

  2. Sur la mondialisation 4.0 et l’industrie 4.0, voir Subsister et réussir dans la prochaine Ere de Changement, in Urban Hub [Revue électrolique]. 

  3. Kitson, Michael. G20 will be about Donald Trump and his tariffs—but China will dominate the new world order. The Conversation, November 30, 2018.

  4. Huntington, Samuel. The clash of Civilizations. Foreign Affairs, 1993.

  5. La question de la portée des théories et des programmes reste controversée. Un Serge Latouche, un des premiers adeptes de la « décroissance », par exemple, ne croit qu’en le court et le long terme et n’hésite pas à déclarer : « Le moyen terme, en particulier en politique, est la scène où se déroule ce drame plein de bruit et de fureur, écrit par un idiot, joué par un fou et qui ne signifie rien ! » Voir Cochet, Yves, Jean-Pierre Dupuy, Susan George et Serge Latouche, Où va le monde ? 2012-2022, une décennie au devant des catastrophes. Editeur : Les Mille et Une Nuits, 2012.

  6. Marx, Karl. Salaire, Prix et Profit. 1865.

  7. Où va le monde ? Op. citée.

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*Ahmed Herzenni est sociologue. Ancien détenu politique, il est l’un des principaux instigateurs de la mouvance maoïste au sein de la Nouvelle Gauche apparue vers la fin des années soixante du siècle dernier. Il a notamment été secrétaire général du Conseil Supérieur de l’Enseignement, puis président du Conseil Consultatif des Droits de l’homme. Ahmed Herzenni est actuellement ambassadeur itinérant de SM Le Roi. 

 

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