chroniques
AFFAIRE BOUTHIER : LA PAROLE LIBÉRÉE DES VICTIMES - Par Mustapha SEHIMI
Vue des participants à la conférence de presse
Il faut revenir sur la conférence de presse tenue le jeudi 22 juin à la Maison des Avocats du Barreau de Paris, dans le 17ème arrondissement de la capitale. Organisée par l'Association Marocaine des Droits des Victimes (AMDV), présidée par Me. Aicha GALLAA, qui l'a ouverte, elle a été marquée par d'autres interventions : Mes. Fatimzohra Chaoui, présidente de l'Association Marocaine de Lutte contre les Violences aux Femmes (AMLVP), Anne-Claire Le Jeune (barreau de Paris), Nezha Khobeza (vice-présidente de 1’(AMDV) et le signataire de cette chronique.
Les multiples aspects de ce dossier criminel mettant en cause Jacques Bouthier ouvier- PDG d'une filiale marocaine du géant du courtage ASSU 2000 rebaptisé Vilavi - à Tanger, ont été rappelés pour ce qui est des incriminations pénales pour lesquelles il est poursuivi tant à Tanger qu’à Paris, notamment pour "traite humaine", "harcèlement sexuel", attentat à la pudeur" et "violence verbale et morale". Mais le moment fort de cette rencontre de plus trois heures a été sans conteste celui des témoignages des victimes.
Le visage flouté, une prise de vue sombre, cinq d'entre elles ont raconté ; une autre (I.R.) a tenu, elle, à être présente, à visage découvert et à parler; enfin, le mari d' une autre victime (A.H) de Toufik Bouachrine, a fait part de sa vie de "cauchemar". Son épouse a vécu un drame après à la suite d’un viol de l'ancien directeur d'un journal où elle travaillait. "On a voulu refaire notre vie et élever notre fille ; un garçon est né, mais ma femme est morte il y a treize mois. Le condamné a été sanctionné en appel une peine de prison de 15 ans mais nous, notre peine, notre condamnation est à perpétuité... ".
Autre récit : celui d'une employée du même journal, tout aussi poignant. Une exploitation de sa situation sociale : "j'avais grand besoin de travailler, il le savait parce qu'il m'a demandé souvent quelle était ma situation de famille ; j'étais exploité et je recevais 500 DH par mois ; j'ai été violé. Il a commis le même acte contre une femme enceinte. Vous ne pouvez pas savoir ce que j'ai enduré ". Elle précise qu'il a été condamné mais qu'elle est toujours poursuivie et traumatisée par des " menaces et des insultes dans les réseaux sociaux". Son abattement est total : " Je n'ai pas réussi à me reconstruire, à me retrouver. C'est çà ma vie aujourd'hui..."
Une jeune femme, victime elle aussi, a décrit le climat et les pressions qui pesaient sur elle dans son travail: un harcèlement moral et sexuel continu, des attouchements. Elle explique qu'elle avait été repérée dès le début par Bouthier et qu'elle ne savait pas comment y faire : " J'étais jeune, je ne savais pas à quoi j'allais m'exposer. C'était difficile pour moi. Mais aujourd'hui, j'ai franchi le pas, je le fais pour moi et pour les autres victimes en France et au Maroc. C'est une délivrance," conclut-elle en larmes...
Traumatisme
Dans ce même registre, si l'on ose dire, la "technique "Bouthier se vérifie avec le cas d'une victime qui a subi de véritables affres durant pratiquement un an et demi. Le harcèlement téléphonique. La demande de photos nues. Un marché sexe contre cadeaux. Il lui demande de lui présenter sa sœur ou sa cousine comme "plan B". Elle refuse. Elle informe ses supérieurs, peine perdue : "C'est Jacques, il est comme çà, c'est le président. Ce qui lui vaut une mise au placard. Il n'a pas de considération pour elle ni pour sa dignité de femme. Elle est une "proie". Elle se résout à déposer plainte avec l'appui et le soutien de l'AMDV.
C'est de "traumatisme" que parle une autre victime. Elle fait état elle aussi de la violence de campagnes médiatiques contre elle, de nature injurieuse et même diffamatoire." Cette étape -là, confie-t-elle, est difficile pour moi, pour la famille, les amis". "Ma souffrance n'est pas comprise, ajoute-t-elle. J'ai peur de tout, de tout le monde, je suis terrorisé. J'ai un suivi psychologique et je prends des somnifères... ".
Un diagnostic de la même veine pour cette autre employée sans cesse dénoncée par certains médias : "J'ai perdu ma santé, mon travail, j'ai fait trois tentatives de suicide... ". Si les affaires Bouachrine, Radi et Raissouni ont été jugées en dernier ressort, tel n'est pas encore le cas de celle de Jacques Bouthier.
Le 17 mars dernier, 8 accusés ont été renvoyés devant la cour criminelle de Tanger, des collaborateurs, six Marocains dont deux femmes et deux Français. Quatre sont en détention et quatre autres en liberté. Quant à Jacques Bouthier, il a été mis en examen et écroué le 17 mai 2022 pour traite d'être humain et viol 4 sur mineur, et ce par suite d'une plainte d'une jeune marocaine dans un commissariat parisien deux mois auparavant, en mars. Voici trois mois, le 20 mars, il a fait l'objet pour des "raisons médicales" d'une libération sous contrôle judiciaire et une caution de 500.000 euros. Une décision que les associations des victimes jugent" choquante" "inacceptable " et ""injuste", elle constitue " une grave atteinte à la sécurité et à la dignité des victimes"...