ALGÉRIE: SAID ET CHAFIK CHENGRIHA AND CO - Par Mustapha SEHIMI

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CHAFIK CHENGRIHA (entouré de rouge), fils du general éponyme, à Paris, juste derrière Anne Hidalgo, maire de la capitale française

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RENTREE: MAUVAIS DOSSIERS… Par Mustapha SEHIMI

La visite du chef d'état-major de l'armée algérienne, Saïd Chengriha, à Paris la semaine dernière traduit bien des évolutions: celle d'un recadrage des deux pays dans le droit fil de la visite de président Macron à la fin août dernier à Alger; celle aussi d'un rapprochement accentué dont l'illustration va être l'invitation officielle faite au président Tebboune à une visite d'Etat en mai prochain; celle enfin de questions d'achat d'armement, d’un contrat futur de gaz et d'une relance des affaires des entreprises françaises.

Mais l'inédit, au-delà de cette visite "symbolique" tient à la lumière jetée sur le patron de l'ANP en cette occurrence. Agé de 78 ans, sa carrière militaire a été sans éclat. A la différence de son prédécesseur, Ahmed Gaïd Salah - imposant, autoritaire et d'un tempérament colérique et sanguin - il est discret et effacé. Le leadership qu’il a aujourd'hui tient-il à ses qualités personnelles ? Personne ne le croit vraiment, il a été servi en effet par des circonstances qui continuent toujours à voir la lutte des clans au sein de l'armée. De plus, les dizaines de mises à la retraite d'officiers généraux couplées à des mesures de prisons ont écarté d'autres profils mieux capés. Il n'a pas participé à la lutte armée pour l’indépendance ; il ne s'est ainsi engagé dans l'ANP qu'au lendemain de l'indépendance.

Formé à l’école de Saint-Cyr Coëtquidan (France), il a ensuite suivi les cours d'état-major à 1'Académie russe de Vorochilov. Sa biographie officielle fait largement état de sa participation à la guerre israélo -arabe de juin 1967 puis à celle du Kippour d'octobre 1973. Mais le corps expéditionnaire algérien qu'il dirige arrivera à chaque fois au lendemain du cessez-le-feu. C'est surtout durant la guerre civile des années 90 qu'il se distingue - avec son supérieur direct, Abdelaziz Medjahed - dans le secteur opérationnel de Bouira, à une centaine de kilomètres au sud-est d'Alger. Sa gestion des opérations anti-terroristes sera d'une grande brutalité pour laquelle d’ailleurs son ex-patron le général Khalid Nezzar est également incriminé en Suisse. 

Il a finalement bénéficié de promotions jusqu’à ce poste de chef d'état-major. Il n'a qu'une rhétorique obsessionnelle : son hostilité à l'endroit du Maroc qualifié déjà en 1976 d'"ennemi classique". Mauvaise pensée et ingratitude : pourtant hébergé durant six mois par les FAR, "all inclusive", pourrait-on dire, il avait été fait prisonnier lors de l'agression d'Amgala I à la fin février 1976. Du posttraumatique de près d'un demi-siècle. Un cas clinique toxique. Et dangereux.

Un parcours tout aussi heurté se retrouve avec son fils, un certain Chafik. Il a quatre frères et une sœur Mélissa. La cinquantaine, il est réputé avoir une formation d'ingénieur en informatique. Depuis 2020, il réside à Paris, officiellement pour un "stage". Lequel ? Personne n'en sait rien. De fait, il est rattaché à l'ambassade d'Algérie dans la capitale française et plus précisément au bureau militaire, sous la seule autorité du ministère de la défense nationale. Il a un gros budget, géré de manière opaque, servant à de multiples financements informels. Chafik Chengriha occupe soit dit au passage le même poste que celui du gendre de Gaïd Salah ancien patron de 1'ANP, décédé brutalement en décembre 2019. Il a noué des relations étroites avec un ancien colonel algérien, résidant entre Paris et Lille, Omar Ould Zmirli, un ex-responsable de la Direction Centrale de la Sécurité et de l'Armée (DCSA), rattachée jusqu'en 2015 au Département Renseignement et Sécurité (DRS) du général Toufik, aujourd'hui en prison. Comment expliquer l'ascension du colonel Omar Ould Zmirli dans le système ? Celle-ci tient surtout à la nomination de son frère, Sid Ali Ould Zemirli, à la tête de cette DCSA, à la fin avril 2020. 

Ecosystème mafieux

Chafik Chengriha l’a même hébergé à Paris. Une proximité qui nourrit les liens entre eux mais aussi les intérêts communs. De quoi monter une sorte d'"écosystème" autour d'un clan pesant sur les promotions, les réhabilitations et les nominations avec des cohortes d'obligés au cœur de l'institution militaire. Mais le vent tourne en janvier 2022, avec le scandale des vidéos de l'ex-secrétaire particulier du général Gaïd Salah, Ghermit Bounouira, réfugié en Turquie à la fin décembre 2019 et qui a été extradé en août 2020. Depuis, il a été condamné à la peine capitale par la cour militaire près la cour d'appel de Blida. Lors de son procès, il avait fait des révélations explosives. L'on apprend ainsi que le trafic de drogue en Algérie est pratiquement monopolisé par les seuls généraux ; et que Said Chengriha est un "trafiquant notoire de drogues et d'armes". 

Chafik Chengriha est alors sommé de couper toute relation avec le colonel Omar Ould Zmirli condamné en suite pour détournement de fonds. Mais il continue à être mis en cause pour contrebande d'argent à l'étranger. Des chiffres mirobolants sont donnés- on parle de milliards de dollars et d'euros évaporés lors de la crise financière des années 2018-2020. Le montage était le suivant : surfacturation des importations et sous-facturation des importations ; partenariat avec des fausses sociétés en Chine, aux Emirats Arabes Unis, en Afrique du Sud, en Suisse et au Panama. Un rapport de l'ONG Global Financiel Integrety (Washington) avait estimé la perte de l'Algérie entre 2019 et 2021 à environ 5 milliards de dollars (600 milliards de dinars). Un tableau de l'Algérie de 2023…