BENKIRANE ''IS BACK'' : POUR QUOI FAIRE ? ... - Par Mustapha SEHIMI

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Abdalilah Benkirane et Aziz Akhannouch du temps où le premier était Chef du gouvernement. Finis la fausse complicité, le va je ne te hais point et le je t’aime moi non plus. Entre les deux chefs de file, PJD et RNI, les interpellations respectives tournent à la personnification

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Voici quelques jours, Abdalilah Benkirane a tenu une réunion de presse pour répondre au Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, qui avait mis en cause l’"immobilisme" des dix ans des deux cabinets PJD. Ce n'est pas la première fois que l'un et l'autre nourrissent ces mêmes termes de polémique : le premier assume ; le second, lui, s'attache à en mettre en relief le passif. Ce débat, si l'on ose dire, est-il bien conséquent et utile ? Voire.

L'on peut pour commencer relever ce fait nouveau : Chef du cabinet (2012-2016), Abdalilah Benkirane assume aussi désormais l'action de son successeur, Saâd Dine El Otmani (2017-2021. Tel n'était pas toujours le cas ; et l'on se souvient du recul et de la distanciation qu'il prenait chaque fois qu'il était fait référence à dix ans de PJD. D'un autre côté, pour ce qui est de l'actuel chef de l'exécutif, cette interrogation de principe ne peut être évacuée : depuis un an, il insiste sur le passé, le bilan des deux précédents gouvernements islamistes. Est-ce une bonne politique ? Pas vraiment. Il se place sous le signe du "changement" : les électeurs ne s'y sont pas trompés d'ailleurs, jugeant eux-mêmes qu'il fallait une alternance ; celle-ci a eu lieu mais elle doit se traduire par des politiques publiques appropriées et des mesures concrètes. Est-ce le cas ? Aziz Akhannouch y répond positivement, avec une bonne dose d'autosatisfaction et d'optimisme. Une appréciation qui n'est pas partagée par tout le monde - c'est un autre débat qui continuer à prévaloir, au Parlement et ailleurs.

Personnification

Cela dit, l'on ne peut que regretter que les interpellations respectives tournent beaucoup à la personnification ; c'est surtout vrai d'ailleurs du côté du responsable PJD qui s’obstine, depuis des années même, à dénier au président du RNI toute qualité pour assumer des fonctions publiques de premier plan. Faut-il y voir une forme de "populisme" qui va jusqu'à considérer que l'argent et la politique ne peuvent faire bon ménage : ils sont pratiquement antagonistes ? En somme, une sorte d'"illégitimité" rédhibitoire frapperait le nouveau Chef de l'exécutif. Dans tout cela, le débat politique national n'y gagne pas grand-chose : tant s'en faut. Des réseaux sociaux en font leur miel, véhiculant les diatribes de l'un et de l'autre - c'est, dira-t-on, leur fonds de commerce. Mais les citoyens n'y trouvent pas leur compte en ce sens que la politique - le politique – n’avance pas en termes de réhabilitation. Pas de quoi capitaliser la construction démocratique à l'ordre du jour laquelle peine encore à être confortée et consolidée.

Part de responsabilité

La formation islamiste a sa part de responsabilité dans une telle situation. Une distinction doit être faite entre deux niveaux d'analyse. Le premier a trait à sa place et à son rôle dans le champ politique national. Elle représente une composante sociopolitique de la société ; elle participe d'une mouvance qui vient de loin et qui se situe dans le substrat national. Elle bénéficie de deux facteurs liés entre eux d'ailleurs: l'affaissement de courants idéologiques post- indépendance (communisme, socialisme, nationalisme arabe progressiste etc.) lesquels n'ont plus l'initiative historique ni la capacité d'attraction et de mobilisation; il faut y ajouter l'effet d'aubaine du "Printemps arabe" en 2011 qui a vu les partis islamistes porter - et surtout incarner ? - le changement. Une décennie après, l'état des lieux est d'une autre nature : cette mouvance est en échec, soit par répression (Egypte), soit par suite d'une dialectique sociale, électorale et politique (Tunisie, Maroc), soit encore par désenchantement des citoyens jugeant sévèrement les islamistes en responsabilité (Annahda, PJD). Il faut mentionner, par ailleurs, un contexte international changeant, l'option islamiste n’étant plus privilégiée par l'Occident - et surtout par l'administration démocrate d'Obama qui l’a appréhendée comme un paramètre important de stabilité au Moyen-Orient et au Maghreb. Il faut relire à cet égard le discours du président américain, le 4 juillet 2009, depuis l'Université du Caire, intitulé : " Un nouveau départ" ("A New Beginning") visant à améliorer les relations avec les musulmans…

Le PJD n'a pas échappé à cette évolution en décrochant la première place aux élections de 2011 et de 2016, améliorant même son score en passant de 107 à 125 sièges. Mais la chute sera historique le 8 septembre dernier avec 13 sièges ! Abdalilah Benkirane se garde bien de faire une critique frontale "antisystème" d'un tel résultat mais il multiplie les interpellations en la matière. Qu'en sera-t-il demain ? L'agenda électoral va s'étirer jusqu’en 2026. D'ici là, que va faire le PJD ? Unifier les rangs, se réinvestir sur le terrain, oui sans doute, mais difficilement : les élections partielles de la fin juillet dernier ne témoignent en tout cas d’aucun début de frémissement en sa faveur. Comment arriver dès lors à faire une offre alternative crédible ? Et pour cela comment apurer le passif, même une partie de l'électorat traditionnel de cette formation ayant censuré la gestion passée. Abdalilah Benkirane compte faire son "devoir" – une sorte de patriotisme partisan. Mais a-t-il le même allant qu'en 2010-2011 ? Il va gérer au mieux, tenter d'entretenir les ferveurs militantes aussi, sans beaucoup d'illusions sur un retour en première ligne. Un acquis pour la démocratie avec cette perspective de minoration et de banalisation d'une composante malgré tout, qui a  sa - ou une- place...