chroniques
Ce Liban qui nous fascine et aimons tendrement, exceptionnel à bien des égards
Il a suffi d’une petite taxe sur l’utilisation du WatsApp pour embraser le Liban. Qu’en déduire sinon que le verre était plein. A ras-le-bol. Mao Zedong qui en connaiddait un rayon a fait contenir à ses célèbres aphorismes du petit Livre rouge cette citation : « Une seule étincelle peut mettre le feu à toute la plaine ». Sans doute, encore faudrait-il que la plaine soit bien sèche. J’aime bien le WatsApp et précisément pour ces images qu’il fait circuler sur la révolte des Libanais. Une révolte en couleurs, belle comme ses Libanaises, joyeuse et dansante qu’on a presque envie que ça dure. On a dit à peu près la même chose du Hirak algérien. Avant qu’il s’enlise et s’éternise.
Le Liban nous avait habitués à autre chose. Quand ça ne va pas, ils se tirent dessus. Pour illustrer cette mauvaise habitude, il n’y a pas mieux que le journaliste romancier Amine Maalouf. L’auteur du Rocher de Tanios qui porte en lui les braises du Cèdre calciné écrit dans LE NAUFRAGE DES CIVILISATIONS : « Au fil des ans, des crises et des guerres, la terre libanaise est devenue un champ ouvert où se livraient directement ou par personne interposées, d’innombrables combats : entre Russes et Américains, entre Israéliens et Palestiniens, entre Syriens et Israéliens, entre Irakiens et Syriens, entre Iraniens et Saoudiens, entre Iraniens et Israéliens – la liste est longue ». Une typologie d’allégeances à des forces externes spécifique à ce pays particulier et en même temps exceptionnel à bien des égards.
Avant d’aller plus loin, il est impératif de préciser que le Liban n’a pas, n’est pas que ça. Le Liban a été, est, aussi ce pays à part qui nous fascine et aimons tendrement. Où le sens de la cohabitation finissait toujours par remonter à la surface et la tolérance par prendre le dessus. Quand l’Egypte a décroché des suites de la défaite face à Israël en juin 1967, et sous les coups de boutoir du panarabisme nassérien égocentré et buté, c’est au Liban que le bouillonnement politico-intellectuel du Monde Arabe a trouvé refuge. C’est là-bas aussi que les Palestiniens chassés de la Jordanie en septembre noir se sont exilés et peu importe si leur présence au pays des cèdres a été au milieu des années soixante-dix un des ingrédients d’une longue et sanguinaire guerre civile. Des poètes de l’exil (mahjar) à aujourd’hui, il suffit de parcourir la diaspora libanaise pour saisir dans sa complexité la qualité du Liban.
Revenons au présent. Les interférences étrangères citées plus haut par la voix d’Amine Maalouf, ne sont certainement pas étrangères à ce qui s’y passe actuellement. Le premier scénario, peut-être parce que le plus évident, qui vient à l’esprit, c’est l’émiettement d’un Liban qui s’y prête d’autant mieux qu’il est déjà morcelé en bastions confessionnels reposant sur des équilibres bien plus que délicat. Objectif : isoler le Hizboallah et entretenir en la consolidant la déstabilisation de la région. On y opposera que les Libanais qui sont dans la rue y sont sans distinction de religion. Dans la critique du système, tous y passent y compris le leader chiite Nasrallah dans son propre fief. Mais si ces faits sont avérés, on attendra toutefois, avant de porter un jugement définitif, de voir ce qu’il en adviendra.
Restons dans l’instant. Que veulent les Libanais ? Pour résumer le plus brièvement possible, un mieux vivre conditionné par la chute d’un régime fondé sur un pluri-confessionnalisme patriarcal, lui-même subordonné au pouvoir de familles ancestrales, les Gemail, les Hariri, les Aoune, les Joumbalatt, les etc. Il ne s’agit donc pas de changer des hommes, mais tout un système. Plus facile à dire qu’à faire. Tous les pays de la sphère arabo-musulmane qui s’y sont engagés n’en sont pas encore sortis. La Syrie, l’Irak, la Libye, le Yémen et dans une moindre mesure l’Egypte, en dépit de la main de fer des militaires, la Tunisie, malgré sa forte aptitude à la résilience, ou encore l’Algérie qui se débat depuis neuf mois dans ce qui ressemble bien à une interminable crise politique. Souhaitons tout de même bon vent aux Libanais.