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Ce que le Sénégal doit à Senghor
Le président sortant du Sénégal a réussi l’exploit de passer au premier tour haut la main. Son score frôlerait les 60%. Les observateurs de l’Union Africaine, pour autant que grand nombre d’Etats constituant l’organisation panafricaine aient la qualité démocratique suffisante pour juger la démocratie sénégalaise, ont déjà accordé leur satisfécit au déroulement du scrutin. Ici et là on murmure des fraudes, mais on peut d’ores et déjà parler de l’exception sénégalaise.
Cela n’allait pas sans dire. 20 ans après le départ volontaire de Léopold Sédar Senghor en 1980, la tentation pour le parti socialiste au pouvoir était grande de le conserver. Mais Abdou Diouf qui avait succédé à Senghor fit prévaloir la sagesse de laisser les urnes s’exprimer librement après 19 ans de présidence. Les voix des Sénégalais se portèrent alors sur le libéral Abdoulay Wade, un exubérant avocat qui prend les règnes du pays en 2000, changeant le Sénégal de la réserve presque timide d’un Diouf.
L’eternel challenger, il s’est présenté quatre fois avant d’être élu, une fois contre Senghor et trois contre Diouf, est à son tour, après deux mandats, travaillé par les démons de j’y suis j’y reste. Mais là encore la raison a fini par l’emporter et se fut à Maky Sall d’accéder à la magistrature suprême. L’actuel président du Sénégal est en quelque sorte un compagnon d’Abdoulay Wade jusqu’en 2008, date à laquelle il prend le large pour fonder sa propre formation, l’Alliance pour la République, empêchant, quatre ans plus tard, son prédécesseur de mettre à exécution ses velléités de rempiler ou de placer son fils Karim.
Ce beau déroulé en territoire africain de quatre présidentielles sans couacs notables, les Sénégalais le doivent sans conteste au président poète qui a su partir avant que ses compatriotes ne piétinent ses portraits. J’ai rencontré Léopold Sédar Senghor deux fois, une première fois quand il était président, la deuxième après son départ. Au cours de cette dernière rencontre, j’ai trouvé un homme apaisé qui m’a consacré beaucoup de temps, plus de deux heures. Certainement parce qu’enfin libéré des affres quotidiennes des charges de l’Etat, il pouvait à sa guise disposer de son emploi du temps et prendre plaisir au récit de son histoire.
Le chantre de la Négritude qu’il a entretenue et développée sur les pas d’Aimé Césaire, aurait pu, comme beaucoup de leaders de sa génération, céder aux sirènes du révolutionnarisme débridé. Dans sa jeunesse il a flirté avec le communisme, mais pour en revenir vers un socialisme étatique bon teint, pondéré par l’influence française et par la fréquentation de Georges Pompidou, deuxième président de la cinquième république française, un chef d’Etat, comme lui, féru de littérature.
Senghor a, sans doute, sacrifié au parti unique pendant plus d’une décennie. Mais le moment venu, il a rétabli le multipartisme et su quitter le pouvoir sans s’accrocher, sans faire de bruit. Il est décédé 21 ans après son auto-destitution à l’âge de 95 ans en possession de toutes ses facultés mentales motrices. Si cet itinéraire a été possible, c’est parce que plus qu’un politicien, Léopold Sédar Senghor a été d’abord un homme de culture.