Chronique « Cinéma, mon amour de Driss Chouika : « CLÉOPÂTRE », UN TOURNAGE TITANESQUE POUR UN MONUMENT DU CINÉMA

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Les deux comédiens shakespeariens, Richard Burton et Rex Harrison, ont formé avec Elizabeth Taylor des duos d’une forte présence, suscitant une rare force d’admiration ; avec, bien entendu, une présence attachante de l’actrice qui domine le film du début à la fin.

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« Ce film a été conçu dans un état d'urgence, tourné dans l'hystérie et terminé dans une panique aveugle. Après trente ans de métier, je pensais que j'avais tout vu, question bagarres : j'avais tort. Cléopâtre, c'est les trois films les plus durs que j'aie jamais tournés ». Joseph Leo Mankiewicz (Dans “Présence du cinéma“, 1963).

La bande-annonce officielle du film l’annonçait lors de sa sortie en juin 1963, après plus de 2 ans d’un tournage bien tumultueux : « Le plus grand spectacle jamais vu ! ». En effet, « Cléopâtre », de Joseph Leo Mankiewicz (11/2/1909 – 05/2/1993), adapté de “The Life and Times Of Cleopatra“ de Carlo Maria Franzero, fut l’une des superproductions, sinon la superproduction hollywoodienne (et la dernière ?) la plus extravagante dans l’histoire du cinéma ; le film de tous les excès et les superlatifs : une pléiade de stars, le plus faramineux cachet d’une actrice (un million de dollars), des milliers de figurants, près de 90 décors grandeur nature, dont certains ont été reconstruits plusieurs fois, plus de 20.000 costumes (dont plus de deux centaines d’une couture de très haute qualité pour Elizabeth Taylor), un budget initial de 1,5 millions de dollars qui a fini par grimper à 44 millions de dollars (valeur de lépoque), mettant la 20th Century Fox au bord de la faillite !...

Initialement confié à Rouben Mamoulian, qui déclarera plus tard : « Je ne voulais pas faire un film de plus avec des batailles et une femme nue sur un lit », et après plusieurs péripéties, c’est finalement Elizabeth Taylor qui avait convaincu la Fox de confier la réalisation du film à J. L. Mankiewicz qui l’avait dirigée dans “Soudain l’été dernier“ (1959). Lui, il avait bien affirmé : « Je voulais montrer une Cléopâtre qui a éveillé beaucoup d’ambitions chez César et pas la sirène traditionnelle. La première partie (entre Cléopâtre et César) utilise le style de la comédie sophistiquée. Le mot « amour » n’est jamais mentionné. La deuxième partie, qui implique Marc-Antoine, est plus luxuriante et romantique. Au niveau de la technique, je suis délibérément passé d’un style réaliste à un concept de prophétie, à travers la déesse Isis. Par exemple, lorsque Cléopâtre regarde l’assassinat de César, elle le voit à travers les flammes d’un rituel dans un temple ».

Ainsi, après 10 minutes de film tournées pendant trois mois sous la direction de Mamoulian, dans des studios à Londres, dans des conditions météorologiques exécrables, et la perte de cinq millions de dollars dépensés pour des décors, des costumes et des cachets d’acteurs et figurants, le tournage est finalement délocalisé à Cinecitta à Rome, avec une partie tournée à Almeria en Espagne. Mankiewicz, après avoir remanié le casting, en faisant appel à Richard Burton et Rex Harrison notamment, et le scénario, en s’attachant la collaboration de plusieurs scénaristes de renom, reprend le tournage qui est à nouveau arrêté, cette fois à cause de la maladie d’Elizabeth Taylor qui déclara par la suite :  « Je crois bien avoir vu quinze scénarios différents de ce film... j'ai l'impression que le script de Joe (Mankiewicz) est bien, bien meilleur ».

UN SCÉNARIO D’UNE GRANDE RICHESSE

Pour plusieurs critiques et historiens, le scénario aura été l’un des atouts majeurs de ce film. Sa très large richesse a été pour beaucoup dans la grande qualité de cette fresque historique hors du commun qui retrace la vie, à la fois intime et politique, de l’une des personnalités les plus marquantes de l’Histoire de l’humanité ; l’une des toutes premières femmes qui a pu gouverner une large contrée au milieu d’un monde d’hommes. Par ailleurs, J. L. Mankiewicz s’est bien défini lui-même comme “un scénariste qui met en scène“.

On peut schématiser l’histoire du film comme suit : « Cléopâtre » est bien entendu le nom mythique d’une reine légendaire et le film de J. L. Mankiewicz dresse un fabuleux portrait de la Reine du Nil, dont la beauté dévastatrice a fait trembler deux des plus grands seigneurs de l’Empire Romain, Jules César et Marc-Antoine. Une relation sulfureuse et tumultueuse, faite de pouvoir, de domination et de trahison, qui a changé le cours de l’histoire à jamais.

Lire aussi : ''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - LES PEPLUMS GENRE DES PLUS POPULAIRES DANS L’HISTOIRE DU CINEMA

(Mettre ce lien avec le passage en bleu ci-dessous)

Et effectivement, ce péplum (Voir le N° 21 de cette chronique : Les péplums, genre des plus populaires dans l’histoire du cinéma) pas comme les autres, tire sa force du traitement du réalisateur qui a su trouver un équilibre convaincant entre la première partie qui privilégie la dimension historique dans les rapports liant Jules César à Cléopâtre, et la deuxième partie traitée sous un angle plus lyrique et romantique pour donner un sens à la fois spectaculaire et tragique à la relation tumultueuse entre Cléopâtre et Marc-Antoine. En fin de compte, les trois portraits tracés des personnalités que l’Histoire a réunies sont d’une richesse complexe, rendue dans toute sa profondeur humaine par le style subtile du réalisateur, jouant astucieusement et énigmatiquement sur les rapports de force et les sentiments des protagonistes, entre l’intime et le politique. L’ensemble rehaussé par des dialogues d’une rare profondeur intellectuelle.

SAVANT DOSAGE DU SPECTACULAIRE ET DU TRAGIQUE

Outre la richesse du scénario et la force du traitement, ce film a bénéficié d’un judicieux dosage du spectaculaire et du tragique, bien solidement appuyé par une interprétation de très haute qualité de comédiens s’étant bien mis dans la peau des personnages qu’ils campent, et bien dirigés aussi. Les deux comédiens shakespeariens, Richard Burton et Rex Harrison, ont formé avec Elizabeth Taylor des duos d’une forte présence, suscitant une rare force d’admiration ; avec, bien entendu, une présence attachante de l’actrice qui domine le film du début à la fin.

A cette grandeur du jeu des comédiens, s’ajoutent la grandeur et la somptuosité des décors, la finesse des cadrages et des lumières de la photographie, la beauté et la majesté des costumes ainsi que l’étonnante qualité des effets spéciaux qui n’a rien à envier aux spectaculaires effets que permet aujourd’hui le numérique. Et ce n’est pas pour rien que les quatre oscars récoltés par le film l’ont été dans les catégories : Oscar de la meilleure photographie pour Leon Shamroy, Oscar de la meilleure direction artistique pour John DeCuir et toute l’équipe des collaborateurs, Oscar de la meilleure création de costumes pour Irene Sharaff et Oscar des meilleurs effets visuels pour Emil Kosa Jr.

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE J. L. MANKIEWICZ (LM)

« Quelque part dans la nuit » (1946) ; « Un mariage à Boston » (1947) : « L’évadé de Dartmoor » (1948) ; « Chaînes conjugales » (1949) ; « La porte s’ouvre » (1950) ; « Ève » (1950) ; « On murmure dans la ville » (1951) ; « L’affaire Cicéron » (1952) ; « Jules César » (1953) ; « La Comtesse aux pieds nus » (1954) ; « Blanches colombes et vilains messieurs » (1955) ; « Un américain bien tranquille » (1958) ; « Soudain l’été dernier » (1959) ; « Cléopâtre » (1963) : « Guêpier pour trois abeilles » (1967) ; « Le Reptile » (1970) ; « Le limier » (1972).

DRISS CHOUIKA

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