Chronique : Port du masque et lien social

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Que serait la Joconde masquée et Mona Lisa sans son sourire ?

Assurément, la crise sanitaire actuelle bouleverse les rapports sociaux et les rites traditionnels d’interaction entre les individus. L’on a ainsi instauré à juste titre des « gestes - barrières »  au moins un mètre ; pas de poignée de mine ni de bise. Tout le monde s'y plie : c'est une contrainte qui s'est pratiquement imposée. Mais demain, avec le déconfinement, qu'en sera-t-il ? La poignée de main ? Elle reviendra parce que d'un usage courant depuis la nuit des temps ; et puis, l'on pourra toujours continuer à se laver les mains... La distance sociale s’effacera aussi. La bise ? C'est plus incertain parce qu'elle suppose une proximité des visages et qu'il y aura en arrière-fond l'hypothèse et la crainte d'une rechute éventuelle de la pandémie du virus CODIV-I9.

Reste le port du masque. Une situation plus complexe. L'on peut penser que cette protection va se prolonger peut-être, même durablement; bien avant cette pandémie, le masque était utilisé en Chine et ailleurs, ne serait-ce que pour réduire l'impact de la pollution. Avec le masque dans les transports, dans la vie professionnelle et dans la vie sociale même, se pose cette interrogation de principe: que devient le lien social ? Un visage caché, dissimulé, ce n'est pas neutre: il fait perdre la singularité de chaque individu; il ne permet plus de regarder les autres ; i1 installe un nouveau code de relations. C'est qu'en effet, il vaut de noter la centralité du visage dans la vie sociale; il aide la reconnaissance mutuelle - on sait qui est qui ?; il assigne un sexe, un âge, une couleur de peau aussi; il détonne par rapport à l'anonymat et à l'indifférence de la foule. Montrer son visage et regarder celui des autres installe une réciprocité des échanges. De quoi illustrer un lien social et nourrir l'identification et la reconnaissance mutuelle des visages.

Le visage fait sens. Avec ses mimiques, ses froncements de sourcil, et tant d'autres combinaisons d'expression; il s'apparente à une scène de représentation de chaque individu dans ses rapports avec les autres. C'est une sorte d'alphabet simple où le regard sert de décodeur mutuel. Mais avec le masque, 1es relations sociales accusent bien des changements. Un individu sans visage, non identifié donc, peut faire n'importe quoi. Pourquoi ? Parce qu'il devient d'une certaine manière "invisible", dans la mesure où il n'est plus identifiable. Demain, dans un monde sans visage, avec les masques, il n'y aurait plus d'individus; il fait lever bien des contraintes sociales en libérant les incivilités et la transgression parce qu'il permet de lever ou de contourner les contraintes de l'identité. Des tentations refoulées ne seront plus réfrénées. Avec le masque, l'individu peut avoir le sentiment de ne plus se regarder en face pas plus qu'il n'est soumis au regard des autres. Le masque généralisé, banalisé, n'est-ce pas l'anonymat assurer ?

Voilà sans doute une rupture anthropologique : elle regarde les modes de vie et les structures des individus dans la société. Avec 1e masque, c'est la perte du contact visuel, ce qui perturbe la manière dont on communique ses émotions et ses sentiments.

Va-t-on à terme vers une société "sans - contact ? Des éthologues et des psychologues se sont penchés sur cette question. Ils ont montré que le toucher n'est pas secondaire ; bien au contraire, il est essentiel pour le développement d'un individu tout au long de sa vie. Pourquoi ? Parce qu'il génère une sécurité affective pour soi et dans les rapports avec les autres. Le besoin de contact - tactile et visuel - traduit un besoin de lien social. Une socialité nécessaire à l'individu et à son insertion dans la communauté.