Clap de fin pour le PAM ? - Par Bilal TALIDI

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Abdellatif Ouahbi serait la principale cible du remaniement annoncé par Jeune Afrique. Sa mésentente, ce qui est un euphémisme, avec le Chef du gouvernement, était connue. Et qu’il parte ou qu’il reste, Abdellatif Ouahbi restera ce qu’il a toujours été : l’agité du bocal.

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L’intérêt accordé à un imminent remaniement ministériel, rapporté récemment par «Jeune Afrique », suscite nombre d’interrogations. La revue française a indiqué que, sur instruction  du Roi Mohammed VI, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch s’apprêterait à opérer un changement dans son cabinet, avec le limogeage de deux ministres appartenant au Parti Authenticité et Modernité (PAM), en l’occurrence le Secrétaire général du parti et ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi Ouahbi, et le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Abdellatif Miraoui. 

Les entrées aux sources officielles et autorisées de Jeune Afrique étant avérées, personne n’a remis en question la véracité de son information qui a même précisé que le Chef du gouvernement a rencontré à ce sujet le conseiller du Souverain Fouad Ali El Himma qui s’est envolé ensuite à destination de Paris pour rendre compte au Roi. On ne peut être plus précis. Tout au plus certains ont considéré comme une mésestime à l’égard de la presse nationale le fait d’accorder au magazine français le scoop, qui plus est concerne la gestion d’un rapport constitutionnel entre le Roi et le Chef du gouvernement.

La crédibilité de l’information rapportée par JA n’est donc pas en question. D’autant plus que le timing des remaniements ministériels coïncide avec la période estivale où interviennent généralement les changements. Sachant que traditionnellement le Roi interagi de manière positive avec les critiques populaires ciblant le gouvernement et que certains ministres ont commis des erreurs flagrantes qui, au-delà d’une gestion chaotique, ont osé s’approcher de domaines réservés du Souverain et de sa fonction constitutionnelle, rendent la probabilité du gouvernement très forte. 

Remaniement limité ou d’envergure ?

Abstraction faite de la raison pour laquelle JA a eu l’apanage de la primeur, la question qui s’impose concerne les limites du remaniement annoncé et des circonstances qui l’ont dicté. S’agirait-il d’un remaniement destiné à impulser plus de vitalité à l’action de l’Exécutif par le limogeage de ministres qui ont failli ? Ou d’une mesure visant à remodeler le paysage politique de telle sorte à former une nouvelle majorité et à réaménager les composantes de l’opposition ? 

A moins que ce ne soit un avertissement pour plus de discipline et de cohésion, il faut tenir compte de ce qu’évoque JA : la préparation d’un « important remaniement ministériel», mais ne cite que deux ministres, ce qui imprime à son propos un rapport disproportionné et en même temps étend l’insomnie à l’ensemble des membres du gouvernement.

Plus approprié serait d’appréhender cette annonce par une lecture politique détournée. Le départ de MM. Ouahbi et Miraoui ne serait alors qu’un signal pour la sortie du PAM du gouvernement et un prélude pour la recomposition, dans une deuxième étape, de la majorité avec l’entrée de nouveaux partis.

Cette version parait d’autant plus vraie que certaines sources évoquent un remaniement potentiel en deux rounds, le premier étant le limogeage de deux ministres, tandis que le second suivra avec un remaniement politique d’envergure.

Les grosses bourdes

Le temps réduit qui sépare les partis et les institutions de la nouvelle rentrée politique pourrait expliquer en partie ce remaniement en deux épisodes, les consultations pour la reconstruction d’une nouvelle majorité nécessitant forcément plus de temps. Il s’agirait dans ce cas de donner un signal en commençant le ménage par le remerciement des auteurs des grosses bourdes.

La première des bourdes, sans doute la plus grave, s’inscrit dans la longue liste des erreurs du ministre de la Justice, dont la pire est son intrusion par effraction dans un domaine réservé, en se faisant passer pour le héraut d’une «Moudawana moderniste dans les règles de l’art». Abdellatif a ainsi fait peu de cas du domaine religieux réservé à Imarat Al Mouminine (Commanderie des croyants), extrêmement sensible, encadré par un texte royal clair et limpide où le Souverain affirme solennellement : «En qualité d’Amir Al-Mouminine, (...) Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a permis» !

Le ministre de l’Enseignement supérieur traîne, lui, un chapelet de gaffes, y compris le fait d’avoir englué l’université dans un entrelacs inédit de tensions, d’avoir oblitéré une série de réformes et d’avoir freiné des politiques et des décisions antérieures sans présenter de projet alternatif. A ceci s’ajoute son échec cuisant dans la gestion du problème des étudiants marocains de retour des universités ukrainiennes ou encore des assertions sur une implication présumée dans une affaire de corruption. Il aurait perçu, du temps où il était président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, d’importantes sommes d’argent de certaines universités françaises en échange de ses services pour le renforcement de la francophonie au Maroc.

Face à la grogne populaire, la recomposition

Néanmoins, ces considérations pour importantes qu’elles soient ne rendent pas véritablement compte de ce qu’est «un important remaniement ministériel», dès lors que le changement d’un nom par un autre du même parti est une affaire récurrente qui s’apparente plus à un remaniement technique qu’à un remaniement «IMPORTANT».

Visiblement, ce sont des considérations politiques qui sous-tendent le besoin d’un remaniement ministériel de l’importance annoncée par JA, devenu d’autant plus pressant par l’impératif d’assainir le climat au sein de la majorité et de mettre un terme aux dissensions qui la traversent. 

Au regard du Chef du gouvernement, le secrétaire général du PAM, Abdellatif Ouahbi, sans surprise, crée un sérieux problème, non pas uniquement du fait de sa posture d’agité désinvolte qui se désolidarise avec l’Exécutif, mais aussi de son insubordination et de son inclination à créer une opposition au sein-même de la majorité gouvernementale, particulièrement en ce qui concerne la sensible question des hydrocarbures.

Les considérations qui président au remaniement ministériel varient en fonction de la diversité des points de vue des élites politiques. Même en l’absence de ces considérations, les conseillers et les décideurs de la haute sphère sont mus par la volonté d’opérer un remaniement significatif, car elles ne peuvent se permettre de rester les bras croisés devant la vague de grogne populaire contre le gouvernement. Face à pareilles circonstances, elles ont souvent opéré un remaniement en profondeur pour interpeler la performance de l’Exécutif. 

En même temps, les hauts responsables réfléchissent sans doute à la recomposition du paysage politique de telle sorte à remodeler les rapports de force entre la majorité et l’opposition, l’objectif étant d’élargir, d’une part, la légitimité du gouvernement avec l’entrée de nouveaux partis et, d’autre part, de contenir l’opposition, notamment le Parti de la Justice et du développement qui semble reprendre quelques couleurs dans le sillage du mécontentement contre la hausse des prix.

Certains contestent ce scénario et se contentent de conjecturer que le pouvoir a horreur du vide induit, à les croire, par l’érosion de la confiance populaire dans le gouvernement. Dans ce cas précis, la question ne serait pas tant de savoir si le PJD incarne une opposition forte, mais qui des partis est capable d’assurer avec efficacité la mission de médiation pour consolider la paix sociale ? Avancer que le PJD s’y voit déjà, ne serait pas une spéculation. 

Une nouvelle mission pour le PAM

Le Chef du gouvernement ne veut pas à ses côtés d’un parti avec un pied dans la majorité et un autre dans l’opposition, qui n’assume pas sa part dans la défense de la politique gouvernementale, même s’il s’agit, surtout quand il s’agit du dossier brûlant des hydrocarbures. Parallèlement, il ressent le besoin de faire endosser les limites de l’action gouvernementale à un tiers, en vue de régénérer sa légitimité et mieux assoir son discours axé sur l’écoute et la performance.

L’opposition, et précisément le PJD, ne perçoit pas le remaniement potentiel comme un élément déterminant, mais ne se prive pas d’interpréter le signal à long terme. Ses cadres et ses militants chercheront certainement à exploiter ce remaniement comme la confirmation de leur slogan – ( ce qui est fondé sur le sable ne peut produire ses fruits) -, en allusion au scrutin du 8 septembre qu’ils cherchent encore à faire passer pour incompréhensible. Aussi tenteront-ils d’assurer que le gouvernement est nu devant la grogne populaire, qu’il ne dispose d’aucun crédit politique ni de compétence communicationnelle pour assumer sa mission constitutionnelle, et que tout remaniement ministériel ne saurait résoudre le problème, mais ne ferait que le reporter à plus tard. Un discours entendu.

Il est extrêmement difficile de prévoir, à brève échéance, un chamboulement de la composition gouvernementale avec la sortie d’un parti et l’entrée d’un autre. Le pouvoir ne voudrait certainement pas, en ces temps fort tendus, laisser l’impression de l’existence d’une crise politique. Pour contourner cet écueil, il gère le sujet avec beaucoup de doigté, les yeux rivés sur une recomposition future du paysage politique où le scénario du vide sera circonscrit et le monopole de l’opposition évité.

En même temps, le scénario de la sortie du PAM demeure probable, tout autant que l’entrée de partis de l’opposition au gouvernement, afin cantonner le PJD aux côtés du PAM.

La matérialisation de ce scénario marquerait alors le clap de fin pour le PAM version Abdellatif Ouahbi et l’entame du processus d’une nouvelle direction et, peut-être aussi, le début d’une nouvelle mission pour ce parti.