Conseil des Droits de l’Homme de Genève - LA FRANCE SU R LA SELLETTE, L’ARROSEUR ARROSE… - Par Mustapha SEHIMI

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Dix policiers lourdement équipés par manifestant, c’est la France qui donne des leçons…

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RENTREE: MAUVAIS DOSSIERS… Par Mustapha SEHIMI

Il y a des conjonctures de désalignement des planètes. La France du président Marcon en fait les frais ces temps-ci en particulier avec la contestation qui marque la loi sur la réforme du régime des retraites. Son prolongement vient d'avoir lieu ce lundi 1er mai avec la publication du rapport du Conseil des droits de l'homme de Genève - une institution spécialisée de l’ONU. Un texte critique : un état préoccupant de la situation qui prévaut aujourd'hui dans 1'hexagone. 

Cette procédure à laquelle sont soumis régulièrement tous les Etats évalue l’état des droits de l'homme. En l'occurrence, une liste avait été arrêtée en octobre dernier avec 14 Etats tenus de présenter à la session de printemps de l'année suivante leurs réponses avant le rapport conclusif dit examen périodique universel (EPU). Il faut rappeler que le Maroc avec 13 autres était ainsi programmé lors de cette 52ème session du Conseil des droits de l'homme; une appréciation positive majoritaire avait été faite par cette institution, à la fin mars dernier. Dans ce même agenda, l'Algérie avait fait l'objet d'un procès pour toutes les mesures et politiques de répression (presse, journalistes, militants associatifs et syndicaux, arrestations arbitraires, procès équitables,...).

L'on ne peut que relever, pour ce qui est de la France, une salve de critiques émanant de pays démocratiques. Ainsi, la représentante américaine a été ferme: " Nous recommandons à la France d’intensifier ses efforts pour lutter contre les crimes et menaces de violence motivés par la haine religieuse tels que l'antisémitisme et la haine antimusulmans ". D’autres pays comme le Brésil et le Japon ont mis en cause " le profilage radical par les forces de sécurité". Les pays nordique (Suède, Norvège, Danemark) ont critiqué les violences policières lors d’opérations de maintien de l'ordre et demandé " des mesures pour garantir des enquêtes impartiales par des organes extérieurs à 1a police dans tous les cas d'incidents racistes impliquant des policiers". Il faut y ajouter les délégations du Lichtenstein, du Luxembourg et de la Malaisie. Même la Tunisie et l'Afrique du Sud ont demandé que la France repense sa politique en matière de maintien de l'ordre...

Cela dit, le spectre des critiques du Conseil des droits de l’homme couvre plusieurs domaines. Le premier d'entre eux touche le maintien de l’ordre et les libertés fondamentales. La "loi pour une sécurité globale " en date du 25 mai 2001 doit faire l'objet d'une évaluation en ce qu’elle est "incompatible avec le droit international des droits de l’homme". Ce qui est en cause ici ce sont ses dispositions de l'article 24 qui visait à "limiter la publication d'images de policiers et à autoriser des techniques de surveillance". Dans ce même registre, le rapport dénonce la «répression disproportionnée" des manifestantes, l’usage excessif de la force", le chiffre "élevé " des arrestations, et des gardes à vue, les "fouilles", la "confiscation des biens des manifestants" et les "blessures graves infligées à ces derniers. Un texte législatif à revoir…

Ce qui a été débattu donc concerne le rôle des forces de sécurité. Le ministère de l'intérieur français a adopté et publié le 16 septembre 2020 le Schéma national du maintien de 1'ordre (SNMO). C'est un point particulier de ce texte qui est aujourd'hui en question à propos de la technique d'encerclement des manifestants, i1 prévoit l'encerclement d'un " groupe de manifestants ; aux fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles et dans ces situations "systématiquement... un point de sortie contrôlé aux personnes". La Ligue des droits de l'Homme (LDH) a saisi le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de ce texte qui constitue une violation de la liberté de manifester". Elle a eu gain de cause dans un arrêt du 10 juin 2021 de la haute juridiction administrative. A la fin 2021, le ministère de l'Intérieur a publié une nouvelle version du SNMO. Mais cette réécriture reste encore i1légale : le caractère systématique du dispositif d'encerclement des manifestants entraine une codification de l'exercice de la manifestation incompatible avec la liberté de manifestation. Un tel dispositif de présence policière parmi les manifestants porte une atteinte directe à la liberté de manifestation ; il ne permet pas la création d'un "espace de manifestation" nécessaire avec la liberté de manifestation. Enfin, le dispositif d'encerclement tel qu'il est prévu est susceptible de dissuader et de décourager la pratique de la manifestation - une entrave à la liberté de manifestation garantie par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Autre interrogation : celle de l'identification des forces de l’ordre. Toutes les instances nationales, régionales et internationales rappellent de manière récurrente l’exigence d’identification visible des forces de l’ordre. Cela permet d'assurer qu'elles rendent compte de leurs actes. Les dispositions de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1948, en son article 15, en sont le fondement normatif : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". En France, a été mis en place un badge ad hoc appelé référentiel des identités et de l’ordre (RIO) reste encore difficile, voire même pratiquement impossible. Les modalités de son port sont souvent inadaptées ; de plus, il a été constaté de manière répétée une absence de port visible du RIO ; enfin, il faut y ajouter des pratiques de dissimulation diverses sans aucune sanction disciplinaire. Tout cela a des conséquences concrètes : un contrôle difficile du comportement des forces de l'ordre ne pouvant que conduire à l’impunité. Saisi par la LDH, le ministère de l'intérieur n'a pas donné suite à une demande gracieuse de modification des modalités d'identification des forces de l’ordre avec un matricule visible en toutes circonstances. Elle a fait alors un recours devant le Conseil d'Etat le 2 septembre 2022.

Avec l'usage des armes lors d'un refus d'obtempérer, se pose encore la question de l'intervention des forces de l'ordre. Le texte en vigueur est la loi du 28 février 2017 qui a instauré une nouvelle disposition au Code de la sécurité intérieure (article L.435-1). Celle-ci dispose que, dans 1'exercice de leurs fonctions, les forces de l'ordre peuvent faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. Il a été constaté ces dernières années une augmentation de l'utilisation d'armes à feu, notamment en cas de refus d'obtempérer. Or, les cas prévus à cet égard se limitent spécifiquement à deux situations particu1ières : la légitime défense et l'état de nécessité.

Spirale autoritaire avec un référentiel répressif accentué ? Une problématique de plus en plus prégnante. Une évolution qui se vérifie et se prolonge dans des domaines particuliers : tel le nouveau régime des associations avec la loi du 24 août 2021 qui substitue désormais aux termes "manifestations armées dans la rue" (loi de 1936), ceux d'"agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens"; ou encore qui crée une présomption de responsabilité du fait d'autrui incriminant les présidents d'association pour les agissements de leurs membres.

Une politique faisant peser une Epée de Damoclès sur les ONG jugées "activistes" par le ministre de l’intérieur. Ainsi des mesures de dissolution ont frappé plusieurs associations : le Collectif encore l’islamophobie en France (CCIF), le 2 décembre 2020, sur le fondement de provocation à des actes de terrorisme ; la "Coordination contre le racisme et l’islamophobie" (CRI) par un décret du 20 octobre 2021 en partie sur le même fondement et qui a fait l’objet d’un recours encore pendant devant le Conseil d’Etat ; pour incitation à la haine et à la discrimination, la dissolution des association "Comité action Palestine" et "Collectif Palestine vaincra" par décrets du 9 mars 2022,… La politique mise en œuvre à cet égard matérialise une propension à l’arbitraire répressif dans les mesures de dissolution administrative. Le Conseil d’Etat juge que des prises de position sur le conflit israélo-palestinien, fussent-elles "tranchées et parfois virulentes" ne peuvent être "regardées comme provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes". Il considère également que l’on ne peut qualifier de "provocation à des agissements violents" le fait de relayer parfois avec une "complaisance contestable" les violences commises à l’encontre  des forces de l’ordre.

Mais il y a plus. Référence est faite à des entraves aux actions dites "de désobéissance civile" des défenseurs de l’environnement. Les moyens utilisés ici sont de divers ordres : défenses de manifester, perturbations de 1'exercice du droit de manifester par les pouvoirs publics chargés de le garantir, répression systématique de certaines actions ou mouvements, assignations à résidence, perquisitions abusives,... Une dégradation de la confiance que les citoyens doivent pouvoir placer, dans les institutions; des libertés publiques fragilisées, soumises à une législation et à une réglementation de plus en plus restrictives; un débat démocratique escamoté. La France, patrie des Droits de l'Homme, est à rude épreuve avec un modèle autoritaire qui se développe. Un modèle en question. Et une voix qui ne porte plus à l'international... Des leçons de droits de l'homme et de libertés : ce message universel de la France depuis plus de deux siècles n'imprime plus ; tant il devient de moins en moins audible crédible, et exemplaire...