Du fond du puits - Par Seddik MAANINOU

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Il faut écouter ce que murmurent les puits de leurs fonds asséchés…

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Le Présent - Par Seddik MAANINOU

Suite à la parution de l’article «Il fait soif !», largement repris par la presse nationale et diffusé par l’agence Maghreb Arabe Presse, j’ai reçu de nombreuses remarques sur les informations qu’il comporte et les conclusions auxquelles j’ai abouties.

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Le reproche

Certains lecteurs m’ont reproché d’avoir soutenu que la gauche marocaine était opposée la politique des barrages de Hassan II qu’elle considérait comme «une dilapidation des deniers publics» et un choix erroné dans le processus de développement du pays. A ce propos, j’aimerais juste rappeler un fait tangible : les théoriciens de la gauche marocaine ne juraient que par l’industrialisation comme meilleur levier de développement et soutenaient mordicus que l’ère agricole était révolue et qu’il ne servait à rien en conséquence d’édifier des barrages.

Remarque

D’autres lecteurs ont plutôt relevé le fait que j’eusse ignoré le Plan Maroc vert (PMV), ses fruits et les mesures d’accompagnement initiées au profit des agriculteurs, contribuant ainsi à garantir la sécurité alimentaire du pays. Le PMV a sans contexte été d’un apport certain au développement du secteur agricole. Il n’a toutefois pas atteint tous les objectifs qu’il s’est fixés. L’expert néerlandais Marcel Kuper, grand connaisseur de la problématique hydrique au Maroc, a bien résumé le problème du PMV qui a créé une demande intensive sur les ressources hydriques dépassant de beaucoup l’offre, particulièrement suite aux sécheresses et la rareté de l’eau qui en a découlée, l’aggravant d’autant.

Protestation 

D’autres encore ont eu l’amabilité de me renvoyer à la sécheresse des années 1982/1983 et à la mainmise de la Banque mondiale et du FMI sur l’économie marocaine dans le cadre du Plan d’ajustement structurel qu’elle a induite. Sans doute et tous nous nous rappelons l’impact de la politique d’austérité, initiée au pas de charge, sur les secteurs sociaux, aggravant les tensions et provoquant d’intenses protestations populaires. Abdellatif Jouahri, actuel Wali de Bank Al-Maghrib, à l’époque ministre de l’Economie et des Finances, en est à ce jour encore traumatisé. 

J’invite tous ceux qui le sujet préoccupe, et ils sont nombreux, de continuer à ne rien lâcher sur la thématique de l’eau, de la sécheresse et de la soif, et de soutenir le large débat public en vue d’entretenir la vigilance et de mobiliser les ressources.

L’expert

«Il faut écouter la crise», a recommandé Marcel Kuper. Et il a invité à des solutions à contrecourant et à réfléchir à des solutions innovantes sans recours au dessalement de l’eau de mer qui nécessite de gros investissements. Tout en disant comprendre les décisions et les mesures initiées jusqu’ici, il a appelé à aborder autrement la problématique de l’eau, à interroger les modèles adoptés et à changer le comportement des usagers vis-à-vis des ressources hydriques. Et à se reposer des questions sur nos réels besoins : Quels nouveaux types de cultures faudrait-il développer dans un contexte de rareté de l’eau ? Faudrait-il implanter de nouveaux arbres ? Doit-on réduire les superficies consacrées à l’agriculture ? Il en déduit que la seule préservation des ressources d’eau souterraine dispenserait le Royaume de stations de dessalement, sachant que les experts estiment le stock de la nappe phréatique au Maroc entre trois et quatre milliards de mètres cubes. C’est une piste comme une autre qui mérite en tout cas réflexion et débats.

Le Directeur général

Sur le même sujet, le Directeur général de l’ONEE Abderrahim Hafidi a précisé, fin 2022, que le manque d’eau a atteint au cours de l’année dernière 85%. Pour faire face à cette pénurie, plusieurs mesures ont été prises dont le transfert des eaux des barrages agricoles vers les barrages d’alimentation des villes en eau potable et la réduction du débit dans certaines régions. L’Etat, a-t-il poursuivi, a également continué à prendre en charge la différence entre le prix réel du mètre cube d’eau (15 DH) et le prix payé par le consommateur (3,25 DH).

Il a par la même occasion indiqué que l’eau de dessalement couvre à peine 3% de la consommation au niveau national, contre près de 50% en Algérie.

Le problème

M. Hafidi a affirmé que la faiblesse du dessalement constitue un sérieux problème au Maroc et la tendance générale est de persévérer dans cette voie, espérant voir le projet d’une grande station de dessalement près de Casablanca émerger en 2026 pour entrer en fonction en 2030. Le ministre de l’Equipement et de l’Eau, lui, est plus optimiste et pense qu’il commencera à alimenter ses régions cibles fin 2027.

Le Directeur général de l’ONEE a également fait savoir que nul ne dispose d’une vision claire sur l’évolution des changements climatiques à moyen, court ou long termes. Or, l’absence de cette «vision claire» indique que par manque d’une politique hydrique scientifiquement prospective, le gouvernement navigue à vue d’œil et ne parvient pas à mobiliser l’opinion publique et à préparer psychiquement la population aux difficultés à venir qui risquent d’attiser davantage les protestations et les tensions.

Un avis américain

L’institut américain World Resources Institute (WRI), spécialisé dans les questions climatiques, a livré en ce qui le concerne sa certitude que la région de l’Afrique du Nord connaîtra dans les années à venir et jusqu’en 2040 un déficit hydrique à hauteur de 80% de la consommation habituelle. Selon ce rapport, publié en août dernier, la région passera par un stress hydrique élevé qui risque d’affecter particulièrement l’Algérie avec des cycles de soif très aigus. D’où l’impératif d’ouvrir le débat sur toutes les plateformes d’échange et de communication, de tendre l’oreille à tous les avis, approches et réflexions des experts et de plancher sur l’élaboration d’une «carte prospective» couvrant les 20 prochaines années.

Et maintenant ?

Cet article terminé, j’ai appris que le gouvernement a consacré une réunion à la question du stress hydrique et décidé de mobiliser 150 milliards de dh à l’approvisionnement en eau potable et en eaux d’irrigation. Dans son communiqué, le gouvernement a assuré qu’il prendra toutes les mesures pour rattraper le retard au niveau de la mise en œuvre d’une série de projets et lancer les études sur d’autres projets additionnels. Toutefois, le ton de ce communiqué ne semble pas être à la mesure de la gravité de la crise et confirme l’absence d’une vision stratégique prospective claire en matière de ressources hydriques. On ne sait pas, par exemple, quelles sont les options stratégiques du gouvernement dans ce domaine ? Devrions-nous poursuivre l’édification des barrages ou nous orienter vers le dessalement ? Probablement les deux si l’on croit ce qu’en disent ici et là les responsables gouvernementaux assurant que plus une goutte ne doit aller à la mer. Peut-on envisager de revoir la politique agricole du pays ? C’est peut paraitre difficile à concevoir, mais il faudrait l’envisager sérieusement tant qu’en la matière il n’y a pas de vérité universelle ni d’options établies et définitives.

Indépendamment de la politique hydrique à venir et malgré l’optimisme du ministre de l’Equipement et de l’eau, il est indispensable de changer le rapport à l’eau et de tenir compte de la «mentalité de l’agriculteur» et de ses traditions ancrées dans le temps et tatouées dans sa peau tannée par le soleil. Ce changement de paradigme ne peut aboutir qu’à la faveur d’un «consensus social» fédérateur, qui intègre toutes les potentialités opérant dans le monde agricole pour éviter que le problème ne devienne une source de tensions potentielles.

Le consensus est que la crise de l’eau n’est pas conjoncturelle. Elle doit être traitée conséquemment en donnée structurelle qui risque de s’aggraver davantage. Toute la question est de savoir comment rompre avec l’attentisme et à agir sans attendre. L’année prochaine, la sécheresse, à Dieu ne plaise, reviendra probablement et nous risquons de nous retrouver au fond d’un puits tari. Ce n’est certes pas le scénario que je souhaite à mon pays. Si les dernières pluies ont ravivé l’espoir, grâces en soient rendues au Tout Puissant ! Il n’empêche que le problème est profond.