chroniques
Grand-mères, mères, filles, sœurs et épouses – Par Seddik Mâaninou
Le miracle, c’est aussi celui de cette fille qui au milieu des décombres et du haut de son innocence, se permet la coquetterie (Photo AFP)
Jeudi 16 octobre 1975, Hassan II prononça son discours historique annonçant l'organisation de la Marche verte. Trois cent cinquante mille Marocains devaient y participer dans un Maroc encore marqué par des tensions politiques importantes entre le pouvoir et l’opposition et où les Forces Armées Royales se remettaient à peine de deux tentatives de coup d’Etat. Ce chiffre me parut comme une prise de risque énorme, au mieux comme une gageure. Mais c’est le nombre de femmes requis, 35 mille qui m’a fait craindre le pire. 35 mille Marocaines allaient-elles vraiment prendre part à une aventure assurément périlleuse dans un contexte régional et international incertain ? Le monde n’était-il pas encore dans la tension chaude de la guerre froide ?
C’était mal connaitre son Maroc et son Roi. Ses Marocains aussi qui allaient plonger instantanément dans une effervescence qui se poursuit à ce jour à chaque fois que les évènements décident de mettre le Royaume à l’épreuve.
Dans les camps
Dès le premier jour, cent soixante et onze mille citoyennes s’étaient déjà porté volontaires. Près de cinq fois l’objectif attendu par le Souverain. C’est là, au bord de l’océan Atlantique, dans les camps construits à la hâte pour regrouper les Marcheur(e)s, que j’ai retrouvé en journaliste-reporter l’histoire en marche. Je fus frappé par la présence massive des femmes. Partout, des femmes de partout. De Chefchaouen, Taza et Berkane... des femmes des cimes de l'Atlas, celui-là même qui vient de trembler, et de ses contreforts à Tafilalet. Des villes reculées dans l’espace et le temps, bousculant les conservatismes de la société. Je les ai vues contribuant à la mobilisation et à l’animation culturelle, je les ai vues bravant la mer que, dans leur grande majorité, voyaient pour la première fois, confiant leurs espoirs aux eaux de l'océan.
Jour J
Jeudi 6 novembre 1975. Le jour de l’affranchissement, j'ai vu des femmes de Ksar Souk, aujourd’hui Rachidia, Ouarzazate, Rissani et de tous les confins du Tafilalet, surnommées "al-hafiates" (les nu-pieds), forçant, de lourds sacs au dos ou sur les épaules, forçant les barbelés et fonçant vingt kilomètres à l’intérieur du territoire occupé jusqu’à se trouver face à l'armée espagnole. Près d’un demi-siècle après, on peut affirmer sans conteste que si La Marche Verte a libéré le Sahara, elle a aussi relancé l’émancipation de la femme marocaine.
Cinquante ans plus tard
10 septembre 2023. J’en avais les larmes aux yeux, à la vue des femmes marocaines, mobilisées et volontaires, portant des sacs remplis de toutes les nécessités pour la région sinistrée d'Al Haouz, se précipitant pour aider, remplissant les camions de solidarité.
Hier, les camions de la Marche verte, aujourd’hui les camions d'Al Haouz. Les deux faces d’un même miracle, celui d'un Maroc résilient.
Soixante-huit ans en arrière
Me revient le souvenir d'une jeune Marocaine volant au-dessus de nos têtes à la mosquée Hassan de Rabat avant le discours de Mohammed V le 18 novembre 1955. Touria Chaoui, c’est son nom, est, comme on a l’habitude de dire, ‘’le premier’’ pilote femme marocaine, africaine et arabe à prendre les commandes d’un avion. C'était d’autant plus exceptionnel que le colonialisme français avait interdit l'éducation aux femmes marocaines pour en placer des centaines dans des ateliers de couture, de broderie ou… de cuisine.
Au début de l'indépendance, le nombre de bachelières marocaines ne dépassait pas les doigts d'une main.
L'homme et la canne
L'indépendance n’a pas été sans les femmes. Ne pouvait l’être. Elles étaient résistantes auxquelles on n’a pas suffisamment rendu justice en ne faisant dans nos leçons d’histoire que survoler leur soutien matériel et moral à la résistance.
Le Maroc avançait alors à la vitesse d'un homme amputé d’une jambe... Aujourd'hui, le Maroc de Mohammed VI marche sur ses deux pieds... L'image du Souverain accueillant les mères des Lions de l’Atlas après leur exploit à la coupe du monde de Qatar, témoignage de l'attention royale que le Roi de la Réforme du code de la famille porte à la mère, déjà mère ou en devenir, source de vie et d'espoir.
Appel du devoir
Le séisme a fait rejaillir une fois de plus la femme marocaine, croyante et déterminée, élégante et active. Mère, grand-mère, fille, la sœur et épouse... Mobilisées dans un élan national pour soulager la douleur des mères, grand-mères, filles, sœurs et épouses… là-haut dans les montagnes.
Plus haut, j’ai évoqué le miracle marocain. En vérité, il n’y a ni miracle ni secret, seulement un peuple qui, dans sa diversité et sa pluralité vécues par moments dans la confrontation, s’est forgé dans une histoire commune multiséculaire, émaillée d’épreuves à première vue insurmontable.