chroniques
IL ETAIT UNE FOIS MICHEL ROUSSET... Par Mustapha SEHIMI
CET HOMMAGE À MICHEL ROUSSET EST RENDU À L' OCCASION DES 30 ANS DE LA REVUE " REMALD"
Dans sa préface à cette nouvelle édition du livre (Michel Rousset. Une vie marocaine, (1963 - 2013) que l'on doit à la REMALD - il faut saluer cette initiative - mon collège Mohamed -Amine Benabdallah se demande s'il est "besoin de présenter le professeur Michel Rousset au Maroc". Il invoque à bon droit le parcours de ce grand universitaire. Une vie. Une œuvre : d’autres que moi ne vont pas manquer d'en relever les séquences, les problématiques qu'elle a soulevées, les pistes qu'elle a ouvertes ou les éléments de réponse qui y ont été apportés. Voilà pourquoi, je vais aborder autre chose, raconter, témoigner à l'occasion de ce que je pourrais appeler la marque Rousset - un label... Du narratif personnel.
Huit ans d'enseignement à Rabat; cela compte assurément. Mais il faut les intégrer et les mettre en perspective même dans un demi-siècle de" présence intellectuelle et (ou) physique ininterrompue", comme il note dès le départ. Un investissement durable donc. Un actif exceptionnel. Une accumulation de connaissances ; elle nourrit l'estime et force le respect. Il ne faut pas s'y tromper: c'était aussi un choix de vie. Et de cœur. Il y a là, à n'en pas douter, de l'affect pour le Maroc. Michel Rousset est plutôt dans la retenue, j'allais dire la pudeur- pas le genre des "tapes dans le dos" ni des accolades prétendument chaleureuses de la rive Sud de le Méditerranée. Soit.
Mais alors, comment le présenter aujourd'hui sans que ce soit une redite? Je propose certains éléments peut-être utiles. Le premier d'entre eux regarde son sens profond de l'amitié: il met du temps à l'accorder ; mais si vous y êtes éligible, elle est solide. A ce titre, elle est assumée. Les promotions et les disgrâces n'y feront rien: elle reste un acquis autonome par rapport à l'infortune et aux vicissitudes de la vie publique ou politique. Voilà bien une éthique qui donne souvent mauvaise conscience, ici ou là, à tant de profils qu’il a vu évoluer dans tel ou tel espace public. En son for intérieur - je ne peux pas le prouver mais j'en suis sûr - il en ressent (encore ?) de la déception, de l’amertume aussi peut-être...
Mais il y a plus. Référence est faite au socle de ses travaux scientifiques, en droit administratif bien sûr, mais aussi au-delà. L'Etat de droit, il y est attaché. Avec ce corollaire: le respect de la légalité. Pas seulement: il était tout aussi soucieux du statut du citoyen, de celui de l'administré. Une problématique qui garde toute son actualité. Elle ravive cette équation historique des droits formels et des droits réels : celle de la mission régalienne de l'Etat- sécurité, sûreté, garantie des droits et libertés et de la protection la communauté nationale.
Au fond, dans son noyau doctrinal, Michel Rousset a toujours veillé au renforcement de l'autorité de l'Etat mais en lui assignant une vision d'avenir déclinée autour d'objectifs et de feuilles de route. L’Etat n’est pas à ses yeux un "monstre" sans cœur; l'administration non plus qui en est l'instrument privilégié : elle doit avoir pour finalité le bien des administrés et des citoyens. Aujourd'hui, l'on parle volontiers d’un " Etat social" comme grand chantier de règne, par-delà les législatures et les cabinets. Il y avait chez Michel Rousset cette préoccupation -là depuis des décennies. Elle détonnait quelque peu dans une société ou primait une approche souvent bureaucratique et quelque peu désincarnée, des politique, publiques prolongées ensuite par un paradigme "technocratique" triomphant dont le bilan reste finalement peu probant. C'est dans cette même ligne qu'il a été en veille - bien avant tant de décideurs publics - sur la nécessité d'un aménagement du territoire, animant un groupe de recherche, multipliant les délibérations sur l'exigence d'une forte inflexion dans ce domaine. A-t-il été entendu comme il l'aurait souhaité ? Difficile de le dire. Il n'en avait cure et s'obstinait dans cette voie critique tournée vers l'aménagement spatial et l'équité des territoires.
Michel Rousset ? Il a été, durant un demi-siècle, une sorte de DRH au service des compétences. Pas de clientélisme, pas de passe-droits : mais une juste évaluation du mérite. Il a toujours placé la bonne parole pour recommander des étudiants qu'il avait eus à l'ENAP ou ailleurs. Il a dirigé des dizaines et des dizaines de thèses de doctorat, à Grenoble ou au Maroc. De la disponibilité, il en avait toujours; de l'écoute aussi; mais en même temps une rigueur sourcilleuse. Un état d'esprit lié à son éthique de la responsabilité, à ses valeurs. Deux générations, cela laisse une forte empreinte chez ses anciens étudiants, aujourd'hui au haut de l'échelle sociale et qui lui vouent toujours la même gratitude et la même considération.
Michel Rousset ? C’est aussi un savoir-faire et une expertise reconnus et consacrés du côté du méchouar. Avec le doyen Vedel surtout, il a fait partie d’une petite équipe consultée, associée à des réflexions sur des questions nationales de premier plan- déconcentration et régionalisation, privatisation, réforme de la Constitution de 1992 et préparation de celle de 1996, régionalisation avancée dans les provinces sahariennes, inapplicabilité d’un référendum,… Michel Rousset a, par ailleurs, été intervenant et acteur dans ce que j’appellerai la «diplomatie administrative » à l’occasion de l’affaire du foulard islamique d’un lycée de Créteil en 1989 – elle a porté ses fruits avec une circulaire dédiée à cette question.
Je ne puis omettre de mentionner autre chose que peu de personnes savent: j'ai parlé de lui comme DRH, je veux y ajouter son rôle discret s'apparentant à une ONG. Combien de dossiers n'a-t-il pas contribué à régler? Des passeports pour certains de ses étudiants ; des recommandations pour des bourses à des doctorants méritants ; sans oublier sa mobilisation dans l'association de défense des propriétaires de biens spoliés.
Le Maroc comme première grille de lecture; les Marocains comme deuxième entrée; le Maroc historique et mémoriel (avec, entre autres ses collections d'affiches et de bijoux berbères) ; le Maroc profond - qui , comme lui, a visité par exemple le col du Zad ou le tunnel de Foum Zabel ?
Un jour, vous m'avez demandé de vous appeler Michel. Je n'ai pas obtempéré sans doute parce que je suis resté "old school" : j'ai toujours en mémoire le hall d'entrée de la faculté de droit Panthéon de Paris où il y avait alors un tableau du corps enseignant. Aujourd’hui, je vais oser: merci à toi MICHEL - Pour ce que tu as fait et pour ce que tu es !...