chroniques
Istiqlal : L’ombre de Fouad Ali El Hima
Ceux qui poussent Nizar Baraka au-devant de la scène sont ceux-là mêmes qui ont adoubé Hamid Chabat en chef de file des istiqlaliens. Il n’y a aucun mystère là-dedans. Depuis que les partis existent au Maroc, ils ont toujours entretenu des rapports continus avec le Palais
C’est ce samedi 7 octobre, en principe, que se joue le deuxième round du 17ème congrès général de l’Istiqlal. Nous connaitrons alors, peut-être, le nom de celui qui aura à présider aux destinées de l’ainé des partis marocains pour les quatre ans à venir. Nizar Baraka ou Hamid Chabat ? Hamid Chabat ou Nizar Baraka ? La question reste entière, même si les bookmakers qui connaissent les ficèles et les arcanes de la politique marocaine tablent sur une victoire à l’arrachée du gendre de l’ancien secrétaire général, Abbas El Fassi.
En même temps la question n’est plus là. Actuellement on en est à se demander si la prochaine direction de l’Istiqlal, quel que soit le clan qui y domine, serait en mesure de redonner au vieux parti la place que lui confère son histoire après le piteux spectacle que les deux clans ont livré on live aux Marocains. On attendait un débat de fond sur les enjeux du Maroc d’aujourd’hui et de demain, on espérait des éclats de voix sur le rôle des istiqlaliens dans la reconfiguration de l’espace politique national. En lieu et place on a eu droit à des « soucoupes volantes » au moment « convivial » du diner et un flot ininterrompu d’invectives. On aurait voulu dégouter un peu plus les Marocains de la politique, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
L’enjeu principal du congrès a été, est, de sortir le tonitruant et instable Hamid Chabat pour y mettre à sa place le présumé mesuré et policé Nizar Barka. Pour continuer à respirer, l’Istiqlal en a grandement besoin. Le bilan du secrétaire général sortant est si désastreux que n’importe qui viendrait à sa place ferait mieux.
Mais lui ne l’entend pas de cette oreille et accuse son rival d’être la marionnette de ceux qui tentent de verrouiller le système en recourant au tahakoum, terme mis à la mode par le chef de file islamiste Abdalilah Benkirane pour enrayer le contrôle de tout ce qui bouge au Maroc par, en général, le « Makhzen » et, en particulier, par Fouad Ali El Hima, conseiller du Roi, et ses tentacules. En contre-attaque, Hamdi Ould Rachid et Nizar Baraka reprochent à Hamid Chabat d’avoir fait de l’Istiqlal le féal du PJD après l’avoir mis au service du PAM, autre nom de guerre, semble-t-il, du conseiller royal.
Du pareil au même ?
Or il n’y a pas plus faux débat que celui-ci. Ceux qui poussent Nizar Baraka au-devant de la scène sont ceux-là mêmes qui ont adoubé Hamid Chabat en chef de file des istiqlaliens. Il n’y a aucun mystère là-dedans. Depuis que les partis existent au Maroc, ils ont toujours entretenu des rapports continus avec le Palais. C’était vrai avec Mohammed V lorsque le mouvement national cherchait son soutien et son consentement dans la lutte contre le protectorat. C’était vrai aussi avec Hassan II en cherchant à s’accorder avec le pouvoir sur ce que l’on veut et ce que l’on peut. C’est vrai enfin avec Mohammed VI où rien ne se fait non plus sans son assentiment. Il suffit de suivre les discours de Abdalilah Benkirane sur la monarchie et le Roi depuis qu’il est devenu la star des buzz politiques pour toucher du doigt cette réalité. C’est un secret de polichinelle, l’élection en 1974 de Mhammed Boucetta à la tête de l’Istiqlal après le décès de Allal El Fassi, est plus le choix de Hassan II que des Istiqlaliens dont le cœur balançaient entre l’élu et Mhammed Douiri.
Qu’il s’agisse de l’Istiqlal, de l’UNFP, de l’USFP, du RNI, du PJD, du MP, de l’UC, du PPS, voire Al-adl wa Al Ihassane, aucun n’a jamais dérogé à la règle. Même si à un certain moment des partis ou des ailes de ces partis, notamment l’USFP, était plus tentés par la rupture que par l’accommodement.
Ces liens qui peuvent paraitre ambigus et étranges, n’excluent pas les tensions, les ruptures, les bannissements, la répression, la révolte. Cependant la constante restait et reste l’entretien de relations « au plus près des centres du pouvoir », pour reprendre une expression de l’istiqlalien Mohammed Benmoussa, et le maintien d’un fil d’Ariane avec le Palais. C’est pour s’être rebiffé violemment contre le sort qui lui a été fait, du moins ainsi le croit-il, aux législatives de 2016 que Hamid Chabat doit partir.
Et si l’alternative était encore à droite du PJD
Le drame qui découle du congrès de l’Istiqlal est ailleurs que dans cette lutte égotique et fratricide pour la direction du parti. Il est dans cette légèreté et cette incapacité à comprendre que l’heure exige la refondation du rôle de chacun dans l’encadrement des populations et l’intermédiation entres celles-ci et le pouvoir central. Les évènements d’Al Hoceima, plus que les taux de participation aux élections et la défection des électeurs, ont jeté une lumière crue sur ces monstrueuses carences.
Après le dernier discours du Trône qui a distribué un zéro pointé à tout ce qui marche ou rampe sur le sol marocain, l’objectif de tout un chacun, notamment les partis puisqu’ils sont le sujet ici, se devait d’entamer une nouvelle réflexion sur les voies et moyens d’ouvrir des perspectives stimulantes à l’action politique, réhabiliter l’intérêt à la chose publique, réinventer le civisme, reconstruire le lien social, donner de nouveaux sens au patriotisme de plus en plus démissionnaire…
Un scan rapide de la scène politique n’incite pas à l’optimisme.
Sous l’impulsion de Aziz Akhannouch, le RNI a entamé sa révolution avec un respect assez rigoureux de son calendrier. Encore faudrait que le parti de la colombe se débarrasse de certains de ses dinosaures qui ne veulent pas se départir de leur culture de naissance et les mauvais réflexes qu’elle engendrés.
Le PJD de Abdalilah Benkirane, le mieux portant mais dont une partie est tentée par la rupture, appréhende avec inquiétude son congrès de décembre prochain.
La PAM ne sait plus où donner de la tête après l’entrée en lisse de Aziz Akhannouch et scrute l’après Ilias El Omari avec des sueurs froides.
L’Istiqlal on a vu où il en est tandis que le MP arrivé à la fin du cycle Mohned Laanser, craint le parachutage de Mohamed Hassad, sachant en même temps qu’il n’a pas d’alternative à lui opposer. L’USFP est en déliquescence chronique et le PPS, devenu une officine gouvernementale, n’a aucune chance de survivre à une sortie du gouvernement. L’UC de Mohamed Sajid ferait mieux de se fondre dans le RNI avec lequel il est déjà comme larrons en foire.
La situation et telle que s’il n’y a pas un sursaut radical pour sortir de cette léthargie générale, la nature ayant horreur du vide, il est à craindre que l’alternative mobilisatrice ne soit encore à droite du PJD, chez une faune islamiste encore plus butée.