L’après Covid et l’emploi : Face au chaos, l’inventivité et le dialogue

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Plus de deux tiers de personnes qui sont à la recherche d’un emploi recourent au porte à porte et au « moukaf »

La crise a impacté, de par la baisse de l’activité, sévèrement l’emploi. Le chômage, déjà élevé avant la crise notamment dans le milieu des jeunes, risquerait de s’aggraver à l’avenir. Certes la mise en œuvre d’un plan ambitieux de relance économique  serait de nature à maintenir des emplois et accessoirement à en créer d’autres, mais cela demeurerait insuffisant si l’on ne prend pas des mesures spécifiques et ciblées en faveur de l’emploi.

Dans l’immédiat, il s’agit d’inciter les entreprises à  reprendre leur activité avec l’objectif de reprendre, dans les plus brefs délais, l’ensemble de leurs employés. Ces incitations peuvent d’être d’ordre fiscal, d’ordre financier ou d’ordre social.  Il faut procéder au cas par cas selon la situation de chaque branche ou secteur d’activité.  

Les « labor intensive »

En la matière, toute solution globale serait inappropriée  et risquerait de rester sans grand effet. Par ailleurs, il faudra s’attendre, et c’est une quasi-certitude, qu’un certain nombre d’entreprises,  notamment de la catégorie PME, seront dans l’incapacité de relever la tête et de renaitre après la crise. Au lieu de les condamner à la faillite, les pouvoirs publics doivent absolument tout faire pour sauver l’outil de production, et par conséquent l’emploi.  Pour ce faire, l’Etat et les salariés de l’entreprise, pourraient rentrer dans le capital et devenir actionnaires. Cela aurait l’avantage d’éviter un surendettement de  l’entreprise d’une part et d’encourager les salariés à prendre leur destin en mains d’autre part. Cette solution a donné de bons résultats partout où elle est utilisée et il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même chez nous.

Un effort soutenu doit être fait au bénéfice des activités riches en emploi   qu’on appelle «  labor intensive »  comme celles relevant de l’économie sociale et solidaire,  les travaux d’intérêt public comme la plantation des arbres fruitiers, la régénération des forêts, la dépollution des plages, l’aide aux personnes en situation de handicap, l’accélération de la lutte contre l’analphabétisme en créant une «armée du savoir ». Ces activités ont l’avantage d’être essaimées sur l’ensemble du territoire marocain et  touchent de plus près la vie des citoyens.

La même attention doit être accordée aux services de proximité (cafés, restaurants, ….) et aux métiers  exercés par les indépendants en tant qu’auto-entrepreneurs. Ces activités font vivre  des millions de personnes et il suffira d’un « geste »  de l’Etat  en activant le parachute anti-crise pour les remettre en activité.  

Un moment de remise en cause

La crise est un moment de destruction-reconstruction conformément à la loi de Schumpeter sur la « destruction créatrice ». Ainsi, de nouvelles activités vont nécessairement se développer à la place des autres qui vont disparaitre. L’Etat, en visionnaire et stratège, doit anticiper ces mutations  qui se dessinent en lançant un vaste programme de formation dans ces métiers nouveaux. Ce programme concernera à la fois  les jeunes qui sont en cours de formation  et ceux qui ont perdu leur emploi d’une façon définitive.  On peut citer, à titre d’exemple,  la formation dans le domaine du numérique,  de l’économie verte,  des énergies renouvelables, des métiers de la santé, des assistantes sociales …

La crise est aussi un moment de remise en cause d’un certain nombre de pratiques et de politiques ayant montré leurs limites. La pandémie nous a offert un miroir grandissant de nos problèmes  et notamment  de la précarité. Dès lors, il faut tourner définitivement la page du « low-cost » et de la précarisation du travail. Il faut que l’entreprise, notamment la grande et la moyenne,  se rende à l’évidence que « produire marocain et consommer marocain » a une exigence, celle qui consiste à considérer le salaire non seulement comme un simple coût de production qu’il convient de comprimer au maximum, mais comme une composante importante de la demande qu’il convient au contraire d’augmenter. La rentabilité de l’entreprise, qui est nécessaire pour la continuité de l’activité, ne doit pas se faire au détriment des salariés et de leur santé, mais par l’investissement dans l’innovation, l’amélioration de la productivité et la mise en  œuvre des méthodes de gestion participatives  et novatrices. Par conséquent, s’opposer aux 5% de valorisation du SMIG décidés dans le cadre du dialogue social relève franchement de la mesquinerie.

Le travail   ne doit en aucune manière constituer une atteinte à  la dignité humaine. Il est fait au contraire pour garantir cette dignité et permettre à ceux qui l’exercent de se libérer et de s’épanouir. Par conséquent, tout travail doit être décent :  un salaire correct couvrant les frais de la reproduction de la force de travail  du travailleur et de ses enfants, une sécurité contre les aléas comme les accidents de travail et les maladies professionnelles, une assurance-chômage, une couverture contre l’arrêt définitif du travail (retraite) et des moyens pour accéder à la culture et aux loisirs. 

Des pratiques à bannir

Aussi, il convient de revoir la gouvernance du marché du travail  en généralisant notamment l’intermédiation institutionnelle entre l’offre et la demande. Les  méthodes utilisées jusqu’à maintenant sur le marché du travail sont méprisantes et constituent une atteinte,  encore une fois, à la dignité de l’homme.  Plus de deux tiers de personnes qui sont à la recherche d’un emploi recourent au porte à porte et au « moukaf » (place publique où les gens viennent  offrir leur force de travail à la vente !). Cette pratique moyenâgeuse   est à bannir définitivement. Le moment est venu de faire de l’ANAPEC, un véritable intermédiaire public sur le marché du travail couvrant l’ensemble du territoire et ouvert à tous ceux qui sont à la recherche d’un travail quel que soit leur niveau de formation.  Cela nécessite bien évidemment des  moyens humains et financiers conséquents.

Dans tous les cas, il faut privilégier l’approche participative et le dialogue social. Rien ne justifie de marginaliser les représentants des travailleurs. Les syndicats sont nécessaires pour un meilleur équilibre au sein de l’entreprise. Les affaiblir  remettrait en cause cet équilibre qui est la base de la paix sociale. Et comme la nature a horreur du vide, en l’absence de syndicats, émergeront des « tansikiat » (coordinations) qui sèmeraient le désordre et prendraient l’entreprise en otage. Le choix entre  le dialogue et  le chaos  se fait de lui-même.