L’Instance contre la corruption parachevée, un gouverneur suspendu : la fin de l’impunité ? - Par Bilal TALIDI

5437685854_d630fceaff_b-

Le Roi Mohammed VI le 14 octobre 2022 à l’ouverture du Parlement - L’ensemble du corps administratif fermement convié à comprendre que la reddition des comptes vaut également pour lui.

1
Partager :

 

Dialogue social : Face aux fuites, parler vrai et dissiper les ambiguïtés -  Par Bilal TALIDI

Nombreux n’ont pas prêté suffisamment attention aux significations profondes de la nomination par le Roi de quatre membres, en plus du secrétaire général, de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC). 

Certains ont considéré que cette nomination s’inscrit dans le cadre de l’exercice par le Roi de ses attributions constitutionnelles et de son droit, que lui accorde la loi régissant cette Instance, de nommer quatre membres et du secrétaire général de la même Instance, ainsi que du président nommé précédemment.

La vitalité royale

Une autre lecture, sans être antinomique, est celle qui voit dans cette nomination une réponse aux thèses des adversaires. Sous cet angle, ajoutée à la nomination par le Souverain, président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), de responsables judiciaires dans plusieurs juridictions du Royaume, au titre de la première session de l'année 2022, le parachèvement de l’ossature de l’ INPPLC confirme la vitalité du rôle royal et la pérennité de sa mission constitutionnelle. Il démonte ainsi les ragots colportés par des médias hostiles au sujet de la santé du Roi Mohammed VI et de son absence supposée en matière de gestion des affaires du pays, aux plans constitutionnel, institutionnel et politique.

Le communiqué du Cabinet royal précise que les nominations royales à l’INPPLC visent à «parachever la composition de cette Institution nationale et à lui permettre d’assumer les missions qui lui sont conférées par la Constitution, en particulier dans les domaines de la mise en œuvre des politiques de lutte contre la prévarication, la contribution à la moralisation de la vie publique et la consécration des principes de la bonne gouvernance, de la culture du service public et des valeurs de la citoyenneté responsable».

Cette précision peut paraître ordinaire du fait qu’elle s’apparente plus au lexique de la formalisation constitutionnelle ou juridique conformément à «la nouvelle loi régissant cette importante Instance», particulièrement en ce qui concerne les missions qui lui sont dévolues. 

Néanmoins, on ne peut l’extraire du contexte plus global de ces nominations royales et des dynamiques qui les ont précédées et suivies pour mieux en cerner la portée et le sens.

Un réquisitoire contre les parasites

Dans le dernier discours du Trône (30 juillet 2022), le Roi a livré, par une formulation sans équivoque, une critique acerbe de certaines parties qui s’alimentent de la crise et en profitent pour réaliser des intérêts personnels aux dépens de la souffrance du peuple, quitte à porter atteinte à l’image de l’Etat. Le Roi a ainsi évoqué les obstacles dressés à dessein par certaines parties pour servir leurs intérêts personnels. Sans conteste, le discours ne visait rien d’autre que l’appareil administratif, dont certains prévaricateurs s’ingénient à pervertir la loi pour la mettre au service de l’élargissement de leur fortune propre et priver les autres de leurs droits légitimes, tout en accordant frauduleusement à des lobbies proches des privilèges indus contre des pots-de vin.

Le contexte précédant les nominations a, donc, mis en place le décor dans un langage franc et ferme. Il émane, sans nul doute, d’une évaluation préalable et d’une base de données précises sur les gangrènes de l’appareil administratif et des risques qu’elles font encourir au pays, particulièrement en cette période où le Maroc ambitionne plus qu’auparavant de jouer la carte de l’investissement en vue de se frayer des issues à une crise multiforme imposée par des aléas climatiques peu cléments et une conjoncture internationale difficile.

Transformer les mots en actes

Ces propos, replacés dans le sillage de ces nominations, traduisent le langage en actes à travers des décisions peu habituelles dans le rapport à l’appareil administratif. Et c’est certainement dans cette dynamique qu’il faut inscrire le communiqué du ministère de l’Intérieur annonçant la suspension du gouverneur de la préfecture de Skhirate-Témara, de six agents d'autorité et de deux cadres administratifs à la même préfecture à la lumière des résultats de l'enquête préliminaire de l’Inspection générale de l’administration territoriale, relative à des irrégularités dans le domaine de l’urbanisme.

Des informations, ni confirmées ni infirmées, indiquent même que le gouverneur en question aurait été déféré devant la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) pour implication présumée dans les irrégularités d’urbanisme. Il s’agirait, si cela se confirme, d’un changement majeur dans le rapport que l’Autorité entretient désormais avec l’appareil administratif et traduisent la volonté de l’Etat, incarné par son représentant suprême, à s’acheminer vers une nouvelle ère de fermeté en matière de lutte contre l’abus de pouvoir, l’enrichissement illicite, l’entente illégale avec les lobbies et le favoritisme au profit de certaines entreprises aux dépens d’autres.

Cette tendance à la fermeté est nettement perceptible dans le discours du Roi à l’ouverture du Parlement (14 octobre 2022). Dans sa deuxième partie consacrée à l’investissement, il a mis l’accent sur l’importance d’une feuille de route lisible pour faire du Maroc un pays attractif des IDE et pour inciter le secteur privé à assumer ses responsabilités dans ce domaine. Le Souverain a de cette manière envoyé suffisamment de messages éloquents sur ce que devrait être l’appareil administratif et ce que ce défi implique en termes de renforcement des mesures d’assainissement du climat des affaires et d’activation des règles de la concurrence. A un autre niveau de ce détermination, la nomination des quatre membres de l’INPPLC, qui vient parachever la composition de cette Institution nationale, vient désarmer les faux-fuyants de tous ceux qui, jusqu’ici, justifiaient l’inefficience supposée de cette Instante constitutionnelle par l’absence du quorum nécessaire à son plein fonctionnement. 

La reddition des comptes pour tous

L’un dans l’autre, la nomination des membres de l’INPPLC, la suspension du gouverneur de la préfecture de Skhirate-Témara et sa présentation probable devant la BNPJ, en concomitance avec l’approbation royale de la nomination dans leurs postes de 79 responsables judiciaires dans plusieurs juridictions du Royaume, font du discours royal à l’ouverture du Parlement un point de bascule entre deux époques. La fermeté à l’égard de l’appareil administratif est désormais le maitre mot pour que le Maroc réussisse avec aisance le défi d’être une destination attractive d’investissement, d’éloigner l’Autorité de la sphère des affaires et de soumettre tout ce beau monde aux règles de la concurrence loyale.

La suspension du gouverneur de la préfecture de Skhirate-Témara est en conséquence un message à l’ensemble du corps administratif fermement convié à comprendre que la reddition des comptes vaut également pour lui. En clair, l’appareil administratif n’a qu’à bien se tenir et s’en tenir à la vision royale qui a défini la feuille de route pour la promotion de l’investissement, le respect de la loi et des règles éthiques et déontologiques encadrant ses missions. Celles-ci se résument en une relation objective et impartiale avec les intervenants dans le domaine des affaires. A défaut, et à l’instar de tous les justiciables, il aura à répondre de ses actes.

Assurément, toutes les instances de gouvernance et de transparence, à fortiori l’INPPLC, auront capté ce message qu’elles érigeront en curseur devant préciser ce qui leur importe de faire et ce qu’il convient d’éviter à l’avenir, afin d’être des leviers au service de la vision royale pour promouvoir l’investissement et redresser ses failles, particulièrement en matière de lutte contre la corruption, le fléau qui grève les pays émergents en les privant d’inestimables taux de croissance.