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L’UKRAINE VAUT-ELLE UNE 3ème GUERRE MONDIALE ? - Par Gabriel Banon
Le président américain Joe Biden descend de Marine One à son retour à la Maison Blanche à Washington, DC, le 13 juillet 2023. Joe Biden est rentré à Washington après un voyage de cinq jours qui l'a conduit en Grande-Bretagne, en Lituanie pour le sommet de l’OTAN et en Finlande. (Photo par Mandel NGAN / AFP)
Alors qu’un sommet européen vient de s’achever à Kiev pour notamment réaffirmer le soutien de l’Europe à l’Ukraine, des voix s’élèvent et s’inquiètent du risque d’embrasement du conflit.
Une course à l’armement qui inquiète plus d’un. Pour Emmanuel Maurel, l’eurodéputé de gauche, cette course à l’armement comporte de grands risques : « On s’arrête où ? Jusqu’à maintenant la position européenne était, je trouve, très équilibrée, consistant à dire il y a un agresseur, un agressé, c’est-à-dire l‘Ukraine. On l’aide financièrement, aujourd’hui il y a près de 50 milliards d’euros qui ont été donnés directement aux Ukrainiens, il y a l’aide humanitaire et il y a l’aide militaire, c’est-à-dire qu’on aide les Ukrainiens à se défendre par rapport à une agression. Ça, c’était la position européenne jusqu’à maintenant. Et moi je souhaite qu’on en reste là. »
« On va frapper la Russie ? » L’élu français s’interroge sur la suite du conflit, car il va arriver un moment où l’on ne sera plus dans l’aide mesurée, mais dans le soutien tous azimuts, risque que l’Union européenne puisse être considérée comme cobelligérant par le président russe Vladimir Poutine. « On nous parle d’avions ou de missiles à longue portée, mais ça veut dire quoi ? On va frapper la Russie ? Dans ce cadre-là, on change complètement la nature de la guerre. C’est-à-dire que l’Europe rentre en guerre contre la Russie. »
C’est un conflit qui va laisser des traces y compris entre les Européens.
Emmanuel Macron, quant à lui, appelle l’Union européenne à poursuivre sur la voie diplomatique. « Il faut qu’il y ait des dirigeants européens, alors déjà que nous sommes aux côtés des Ukrainiens, qui puissent entrevoir des portes de sortie. Sinon c’est un conflit qui va durer, qui va être encore plus meurtrier, c’est un conflit qui va laisser des traces y compris entre nous. »
A force de frôler les lignes jaunes, à force de franchir les lignes rouges, va arriver le moment de vérité : pour éviter l’embrasement, les alliés de l’Ukraine risquent de n’avoir d’autre choix que de la trahir.
La perspective d’une victoire ukrainienne ne semble pas pour autant se rapprocher. La contre-attaque annoncée par les autorités ukrainiennes semble avoir été un fiasco. Avec les livraisons d’armes lourdes entérinées fin janvier par Londres, Berlin et Washington, notamment, les pays de l’Otan “viennent flirter avec leurs propres lignes jaunes”. Celles fixées au début de la guerre par le général Mark Milley, du moins. Pour le chef de l’état-major des armées américain, cité par The Spectator, quatre priorités permettraient d’éviter le déclenchement d’une troisième guerre mondiale tout en “faisant respecter” le droit international :
“1. Éviter un conflit cinétique entre les États-Unis ou l’Otan et la Russie. 2 Éviter que la guerre ne déborde les limites géographiques de l’Ukraine. 3. Renforcer et garantir l’unité de l’Otan. 4. Donner à l’Ukraine les moyens pour se battre de manière autonome.”
Un an plus tard, constate le journaliste Owen Matthews, spécialiste de la Russie, ces objectifs stratégiques “sont au bord de la rupture”. Le conflit reste circonscrit au territoire ukrainien, mais les Russes “sont à deux doigts de considérer l’Otan comme cobelligérant”. Au sein de l’alliance transatlantique, l’unité affichée sur la cession de chars cache mal des “fractures réelles sur la question de savoir à quoi doit ressembler la fin de la guerre”.
Problème : pour l’heure, le conflit stagne dans une “phase intermédiaire”, au cours de laquelle chaque camp cherche soit à l’emporter, soit à prendre l’ascendant en vue de futures négociations. La reprise des régions annexées par la Russie, estime Owen Matthews, passera pourtant inévitablement par un changement de braquet. “Au lieu d’une libération, ce sera une guerre de conquête.” Seulement, vidés de leurs habitants pro-ukrainiens, le Donbass comme la Crimée “veulent majoritairement et clairement ne plus faire partie de l’Ukraine”. Une fois ce constat posé, demande le magazine londonien, “l’Occident tient-il à se retrouver impliqué dans une tentative visant à obliger des gens à rejoindre une nation dont ils ne veulent plus faire partie ?” D’autant qu’en face Poutine conserve une réserve “immense” d’hommes et d’armes “peu sophistiquées”.
Dans ce contexte, Volodymyr Zelensky se retrouve coincé entre d’un côté sa promesse de libérer l’intégralité du pays, et de l’autre les décisions de ses alliés occidentaux. “Même avec le scénario optimiste qui envisage que les Russes soient refoulés jusqu’aux frontières d’avant l’invasion, l’Ukraine serait encore démembrée, et Poutine probablement toujours au pouvoir, conclut The Spectator. C’est tragique, mais si l’on envisage cette guerre avec réalisme, quel qu’en soit le résultat, les Ukrainiens ne pourront que crier à la trahison. Mais si toutes les autres options nous mènent à la troisième guerre mondiale, trahir les Ukrainiens serait peut-être la moins terrible des solutions.”
L’irresponsabilité du Président ukrainien n’a d’égal que son impudence à croire que l’Ukraine est le centre de l’Occident. C’est faire preuve de peu de mémoire et de réalisme. Le passé peu glorieux de l’Ukraine, la corruption endémique à Kiev ne justifient pas que l’Occident prenne le risque d’une troisième guerre mondiale. A vouloir entrer dans l’OTAN immédiatement, Zelenssky réalise-t-il que c’est le premier pas vers cette troisième guerre mondiale dont l’Occident ne veut pas. Conformément aux règles de l’OTAN, l’Ukraine en guerre membre, l’OTAN est ipso facto en guerre contre la Russie, l’horrible engrenage.
Certains commentateurs russes vont plus loin : « En utilisant ses armes nucléaires, la Russie pourrait sauver l’humanité d’une catastrophe globale », écrit l’influent politologue Sergey Karaganov, proche du Kremlin et du président Poutine dans un article publié le mardi 13 juin sur le site de son think tank, le Conseil pour la politique étrangère et de défense. Dans ce texte pour le moins terrifiant, M. Karaganov explique que pour éviter un enlisement de la guerre et « briser la volonté de l’Occident de soutenir la junte de Kiev », Moscou devrait se résoudre à des frappes nucléaires ciblées sur des villes européennes. « Parmi les aspects structurants du conflit armé en Ukraine, l’arrière-fond atomique est de fait le plus saisissant, observait Olivier Zajec en avril 2022. Tout se passe comme si le vocabulaire et les fondamentaux de la stratégie nucléaire, renvoyés pendant longtemps à la boîte à outils dépassée de la guerre froide, faisaient soudain l’objet d’un réapprentissage accéléré. »
En annonçant qu’il plaçait sa force de dissuasion en état d’alerte, le président russe Vladimir Poutine a contraint l’ensemble des états-majors à mettre à jour leurs doctrines, le plus souvent héritées de la guerre froide. La certitude de l’annihilation mutuelle – dont l’acronyme en anglais MAD signifie « fou » – ne suffit plus à exclure l’hypothèse de frappes nucléaires tactiques, prétendument limitées. Au risque d’un emballement incontrôlé.
Le 11 mars 2022, en réfutant vigoureusement les suggestions d’élus et d’experts réclamant une implication plus directe des États-Unis dans le conflit, M. Joseph Biden a fermé la porte à une confrontation directe entre Washington et Moscou. Dans le même temps, le président américain a affirmé qu’il assumerait une montée éventuelle aux extrêmes si l’offensive russe en venait à s’étendre au territoire d’un des membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).
On peut expliquer cette prudence américaine en faisant référence aux propos de M. Vladimir Poutine du 24 février 2022 : « Peu importe qui essaie de se mettre en travers de notre chemin ou (…) de créer des menaces pour notre pays et notre peuple, ils doivent savoir que la Russie répondra immédiatement, et les conséquences seront telles que vous n’en avez jamais vu dans toute votre histoire. » Accompagnés d’une hausse du niveau d’alerte des forces nucléaires russes (« un régime spécial de service de combat »), ces mots renvoient à la catégorie du chantage. Et pourraient donc conduire à juger que la réaction du président des États- Unis relève, elle, de la reculade.
L’agresseur, la Russie, possède des arguments stratégiques d’une autre nature que ceux de Saddam Hussein.
Pour comprendre les enjeux des relations actuelles entre la Maison Blanche et le Kremlin, ainsi que l’agacement de M. Biden face au maximalisme de certains de ses compatriotes ou alliés, peut-être faut-il mieux se référer à une autre déclaration, plus ancienne. En l’occurrence celle du ministre des affaires étrangères russe, M. Sergueï Lavrov, affirmant, en 2018, que la doctrine nucléaire russe « limite clairement la possibilité d’utiliser les armes nucléaires à deux scénarios défensifs : en réponse à une agression contre la Russie ou ses alliés par le biais d’armes nucléaires ou de toute arme de destruction massive, ou en réponse à une agression non nucléaire, mais uniquement si la survie de la Russie est menacée ». Les doctrines nucléaires sont faites pour être interprétées. Depuis longtemps, le débat fait rage parmi les experts en stratégie, spécialistes de la Russie, à propos de la lecture correcte de ce type de rappels doctrinaux. Le 11 mars, dans le bimestriel Foreign Affairs, Olga Oliker, directrice du programme pour l’Europe et l’Asie centrale de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group, juge ainsi que « l’expression de Poutine, “un régime spécial de service de combat”, bien qu’elle n’ait pas été utilisée auparavant, ne semble pas signaler un changement sérieux dans la posture nucléaire de la Russie ».
En optant pour une « nucléarisation » sans fard de sa diplomatie de crise, Moscou entend écarter tout autre belligérant étatique de l’affrontement en cours.
Il semble que pour le moment, Washington a reçu clairement le message.