''La catastrophe algérienne'' – Par Seddik Maâninou

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En parcourant les chiffres, s'appuyant sur des études de terrain menées par des institutions américaines spécialisées et des institutions algériennes officielles, j’ai de la peine à rapporter qu’ils indiquent que plus de 1,2 million d'Algériennes dans un certain nombre de villes exercent le plus vieux métier

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En revenant à l'ouvrage "Le Mal Algérien " Jean-Louis Levet et Paul Tolila, je me trouve, dans la version arabe de cet article, face à une nouvelle traduction de ce titre en raison de la difficulté du mot "Mal" à exprimer en arabe l’ampleur des dégâts causés à l’Algérie par le régime. La traduction la appropriée et la plus proche de la réalité de ce pays est "La catastrophe algérienne".

L'ouvrage est riche en informations, et également en indications sur les raisons de cette enquête, et les échanges à son sujet entre les deux gouvernements, français et algérien. Cette expérience a été lancée en vue de la coordination entre les deux parties pour déterminer les réformes dont le tissu économique et industriel de l'Algérie avait besoin... L'expérience a débuté en mars 2013 et s'est terminée en queue de poisson en juin 2018, soit après cinq ans, durant lesquels les deux chercheurs ont visité l'Algérie à de nombreuses reprises, échangé avec de nombreuses personnalités et élaboré plans et propositions pour promouvoir différents secteurs. Pour qu’en définitif, le ministre algérien des Affaires étrangères et le ministre de l'Industrie exigent du gouvernement français de mettre un terme à cette entreprise.

Des millions de Moujahidines

L’ouvrage contient des chiffres et statistiques officiels, qui sont surprenants et inattendus dans plusieurs cas... C'est pourquoi j'en ai choisi quelques-uns comme exemples de ce que les chercheurs français ont découvert... Il en est ainsi du " nombre d'employés du secteur public et des entreprises publiques qui dépasse quatre millions des deux sexes, ainsi que deux millions de moudjahidines percevant tous un salaire mensuel", affirment les chercheurs. "Au début de l'indépendance, leur nombre ne dépassait guère 250 000 et en 1980, il a atteint un demi-million, puis ce chiffre a explosé actuellement", notant que "le budget du ministère des Moudjahidines est 75 fois celui du ministère du Tourisme".

Les auteurs rappellent, même si leur mission était terminée à cette époque, que "dans un désir d'apaisement social après les manifestations du Hirak de 2019 [qui a conduit à la chute de Abdelaziz Bouteflika NDLR], une indemnité mensuelle a été allouée aux chômeurs. Les premières estimations chiffraient les bénéficiaires à 700 000, mais il a atteint actuellement le million et demi et il faudrait s’attendre à ce que leur nombre augmente encore.

L’addition de ces chiffres donne plus de trente millions d'Algériens vivant d’allocations et des pensions versées par le trésor public. Malgré l’énormité de ce nombre, qui laisse l'impression que les Algériens sont un peuple qui ne travaille pas, il ne parvient toujours pas à satisfaire les besoins humains de la population, car le salaire minimum ne dépasse pas 160 euros par mois (1700 dhs). 

Les raisins de l’échec

Les chercheurs révèlent qu’au début de l'indépendance, l'Algérie couvrait 93 % de ses besoins alimentaires, mais aujourd'hui, ce taux ne dépasse pas 30 %, ce qui nécessite une allocation budgétaire annuelle entre 16 et 18 milliards de dollars pour couvrir ce déficit. L’un des exemples les plus éloquents est celui de la superficie consacrée à la culture du raisin dans les années 60, alors évaluée à 350 000 hectares. Elle est aujourd'hui seulement de 100 000 hectares sans compter la perte de raisins de haute qualité. 

Pour rappel, des dizaines de milliers de Marocains (du Rif et de Tafilalet) se rendaient en Algérie pour des travaux agricoles saisonniers afin d'aider à la récolte des produits et des récoltes. Aujourd'hui, l'Algérie est contrainte d'importer des milliers de tonnes de ses besoins alimentaires avec des périodes de pénurie subite de produits tels que la farine, l'huile, le lait, les légumes et les fruits, ce qui accroît la tension sociale et aggrave la hausse des prix.

Les raisons de l'échec

Les chercheurs ont avancé plusieurs raisons à l'échec de la première "commission économique" algéro-française : une gestion bureaucratique rongée par la corruption que se partage une caste de hauts gradés de l'armée se partage, ayant leur propre quai dans le port d'Alger que les gens appellent "le quai des généraux". C'est pourquoi les Algériens disent : "Nous avons vécu non sous l'ère de Bouteflika, mais sous celle de ''Boutsrika'' (le détournement)".

Les deux chercheurs soulignent également que les hydrocarbures représentent environ 98 % des revenus de l'État, indiquant ainsi que "l'Algérie repose sur un seul pilier qui pourrait se fissurer en cas de chute des prix du pétrole". Selon certaines statistiques, "la production pétrolière algérienne atteint 900 000 barils par jour, dont les Algériens consomment un demi-million de barils. Si cette consommation continue d'augmenter, cela mettra fin à l'exportation dans sept ans, ce qui pourrait expliquer l'interdiction de l’importation des voitures depuis quatre ans".

Quant au gaz, qui est fortement consommé dans les usines, les stations d'épuration, etc., il est à son tour menacé, car 60 % est consommé localement, mais l'Algérie fournit néanmoins 8 % de la consommation de gaz en Europe, un taux toutefois exposé à chuter à 4 % dans les années à venir.
Les auteurs ont donné plusieurs exemples du désespoir profond, poussant ainsi la mère algérienne à espérer un visa pour ses enfants, réduisant le projet de vie à l'émigration, alors qu’une mère américaine pour son enfant de la présidence des États-Unis.

Malgré de nombreux exemples de corruption, je n'en retiendrai que quelques-uns. Par exemple, le coût prévu de l'autoroute "Est-ouest", prévu pour 11 milliards de dollars, a atteint 17 milliards. Et la construction de la Grande Mosquée de la capitale, que Bouteflika voulait pour rivaliser avec la mosquée Hassan II de Casablanca, estimé à un milliard de dollars, a coûté quatre milliards, sans que nul n’ose à redire. Ce monument est toujours fermé à ce jour. Pour comparaison, le coût de construction de la mosquée Hassan II a été d'un demi-milliard de dollars.
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Les Algériens appellent la corruption "Chiba" profondément enracinée dans la société, sous l’œil bien veillant des militaires qui le garde bien ouvert sur toutes les transactions… sous prétexte que : "La politique surveille l'économie et l'économie est sous les ordres de la politique". Sans perspective, le discours algérien "se concentre sur le passé sans aucune orientation vers l'avenir... exploitant en cela les martyrs sans retenue... L’abus flagrant dans l'exploitation de la révolution algérienne, et la fixation sur les ennemis potentiels, qui est, selon les chercheurs, le « Parti de France », exploité selon les circonstances par « la bande de Bouteflika », dont la majorité est aujourd'hui en prison, sert de cache-misère. Le régime, lui, comme de bien entendu, est innocent de toute accusation. Omnipuissant et omnipotent, il est à la fois juge et procureur qualifiant les ennemis à sa guise, en tête desquels le Maroc est «l'ennemi principal». 

Le plus vieux métier

En parcourant les chiffres, s'appuyant sur des études de terrain menées par des institutions américaines spécialisées et des institutions algériennes officielles, j’ai de la peine à rapporter qu’ils indiquent que plus de 1,2 million d'Algériennes dans un certain nombre de villes exercent le plus vieux métier du monde dans environ 30 000 maisons, appartements et autres lieux dans les quartiers. Ce qui signifie qu'environ cinq millions de personnes n'ont d'autres issues pour vivre qu'en sacrifiant les filles d'Algérie à la fleur de l'âge. Les chercheurs précisent que cette situation est accompagnée d'une vague massive de consommation croissante de différents types de drogues.

J'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt ce document, qui est considéré comme un document de haute qualité et une condamnation à l’encontre d’un pays qui n’est pas arrivé à réaliser de grands projets, locomotives pour tirer l'économie vers des zones de survie... Bien qu'il y ait eu des discussions à leur sujet depuis des décennies, elles ne se sont toujours pas transformées en ruches de travail qui stimulent l'économie et garantissent une valeur ajoutée qui les éloigne de la seule exportation « d'hydrocarbures ».

Parmi les projets importants, le fer de Gara Djebilet, le phosphate, le port de Cherchell, la transition énergétique, la production d'hydrogène vert et non «d'oxygène vert» comme l'a déclaré le ministre des Affaires étrangères algérien.

Bien qu’il soit fortement documenté et exhaustif, l’ouvrage sur Le Mal algérien, comporte des lacunes et des négligences. Il en est ainsi pour les effets négatifs de la fermeture des frontières avec le Maroc, de même qu’aucune analyse approfondie n’a été faite du phénomène d'une banque ‘’à l'air libre’’ concurrençant la banque centrale dans le change de devises jouissant d'une sorte d'«immunité officielle» bien qu’elle est propice au blanchiment, au financement des réseaux de la drogue et la contrebande de devises. C’est un cas rare dans le monde. L'étude ne s'est pas non plus intéressée à l'armement massif de l'armée algérienne, qui lui alloue des dizaines de milliards.

Humiliation et torture

L'étude ne met pas en évidence la situation des prisons remplies de dizaines de généraux, de trois premiers ministres et de centaines de détenus de la liberté d'expression... Elle ne dit rien non plus sur la dissolution de l'organisation de défense des droits de l'homme, la fermeture de certains sites, l'interdiction de certains journaux couplées à des arrestations en masse. Les deux chercheurs français n’ont effectué aucune aux centres de torture et de détention et n’ont contacté aucun des grands investisseurs qui croupissent derrière les barreaux en attendant une justice qui n'existe pas dans un pays gouverné par les militaires... Ils ne se sont pas intéressés, par ailleurs, à l'économie informelle qui représente 70 % de l'activité économique.
A la fin cet article, j'ai entendu le président de la Chine Populaire dire au président algérien : « Nos médecins en Algérie ont traité 27 millions d'Algériens et ont veillé à la naissance de 1,7 million de nouveau-nés... » M’est alors revenu ce que Abdelmadjid Tebboune a affirmé, péremptoire et présomptueux : « Qu’on le veuille ou pas, le système de santé algérien est le meilleur en Afrique et dans le monde arabe ». Pour aller, une fois atteint du Covid, se faire soigner en Allemagne. Ce mensonge effronté, est devenu le symbole et le raccourci d’une politique d'État qui accroît la misère du peuple algérien et met en danger la stabilité de la région.