La diplomatie, un domaine réservé ou une affaire de ministre (s) ?- Par Bilal Talidi

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Le Roi Mohammed VI et au deuxième plan, le conseiller du Roi Fouad Ali El Himma et le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita au 28ème sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba marqué par le retour du Maroc au sein de l’organisation continentale le 31 janvier 2017

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Le ministère des Affaires étrangères (MAEC) a été sévèrement critiqué pour avoir tardé à annoncer sa position au sujet de la récente agression israélienne contre Gaza.  

Les contempteurs ont décliné deux arguments. Le premier est que l’Etat hébreu fut le premier à déclarer la guerre avec l’assassinat du commandant de la zone sud des Brigades d’Al Qods, Taysir Al-Jabari. Le second tient au fait que le communiqué du MAEC sanctionnant l’Accord tripartite (Maroc-USA-Israël) a clairement précisé le fondement de la position marocaine qui place la question palestinienne au même rang que la question du Sahara marocain, avec tout ce que cela implique en termes de position de principe en cas d’agression israélienne.

Le PJD, une position almabiquée

La dernière réaction du MAEC n’a fait qu’accentuer les critiques, certains s’étant étonnés que le ministère n’ait pas condamné cette agression, se contentant de faire part de son inquiétude de la grave détérioration de la situation dans la bande de Gaza, à cause du retour des actes de violence...

Sans surprise, le PJD figurait parmi les critiques de la position du MAEC, quoiqu’il ait choisi d’exprimer son désaccord via un communiqué de sa Commission des relations extérieures, au lieu du Secrétariat général.

Dans son énoncé, cette Commission a évité toute référence à l’Accord tripartite. Elle a opté pour la distinction entre le Roi et le MAEC pour mieux instrumentaliser la présidence par le Roi du Comité Al-Qods, arguant que cette présidence hautement symbolique imposait au Maroc d’être parmi les premiers à dénoncer la politique d’agression israélienne.

Il ne s’agit pas, ici, de débattre du bien-fondé ou non de pareille position, ni d’interpeler la position officielle du Maroc, mais de soulever une question politico-intellectuelle, en l’occurrence la place de la diplomatie dans l’architecture politique nationale et le droit à son évaluation et à sa critique au besoin.

La Koutla et la diplomatie

Autrefois, juste avant l’expérience de ‘’l’Alternance consensuelle’’, il était acquis chez les partis du Mouvement national, puis à l’époque la Koutla démocratique, que le domaine des Affaires étrangères est partie intégrante des politiques publiques naturellement soumises à l’évaluation, à la critique et à la révision. La centralité royale dans la gestion de ce domaine n’interdisait nullement de ce point de vue le droit de donner un avis contraire, parfois même d’exprimer une objection si une décision est jugée allant à l’encontre des intérêts vitaux du pays.

On en veut pour démonstration la position de l’ancien premier secrétaire de l’USFP, feu Abderrahim Bouaâbid, qui a été emprisonné pour avoir exprimé son objection à la politique de l’Etat au Sahara. Selon lui, en acceptant le principe de l’organisation d’un référendum au Sahara marocain, l’Etat a commis une erreur et fait une concession majeure à l’Algérie et au Polisario de nature à les inciter à plus d’exigences dans les négociations. Naturellement, le Leader Ittihadi était loin de percevoir que la politique de démontrer «l’impossibilité du référendum» faisait justement partie de la stratégie globale consistant à priver les adversaires de leurs cartes de négociation.

Lors de la préparation de l’expérience de ‘’l’Alternance consensuelle’’, le débat entre pouvoir et partis de la Koutla démocratique n’a pas éludé le domaine des Affaires étrangères, quant à savoir s’il devait rester dans la sphère régalienne ou faire partie des attributions des partis politiques. Il y avait à ce moment-là une forte tendance au sein des partis démocratiques appelant à réduire le carré des ministères de souveraineté dont les Affaires étrangères.

L’Etat, seul centre de constance et de continuité

Après la parenthèse de l’Alternance, le débat autour des Affaires étrangères a cessé de refléter la lutte pour le pouvoir. Il a cédé place à une nouvelle thèse qui, prônant la distinction entre les dimensions stratégique et circonstancielle en matière de diplomatie, soutient que le changement des gouvernements est de nature à affecter le domaine des Affaires étrangères, d’où l’impératif de soustraire ce domaine qui relève du stratégique à l’Exécutif et de le confier à l’Etat, seul centre de constance et de continuité.

L’ex-Chef du gouvernement, Abdalilah Benkirane, s’est toujours prévalu de cet argument, en considérant que le domaine des Affaires étrangères relève de la politique de l’Etat (incarné par le Roi) et que le gouvernement n’a qu’à soutenir le Roi en la matière. Même au moment où son successeur à la tête du gouvernement, Saad Dine El Otmani, a signé l’Accord tripartite (scellant la normalisation avec Israël), Benkirane a écrit sur sa page Facebook que le PJD comprend la position de l’Etat et que Sa Majesté le Roi agit en fonction d’appréciations précises au service de notre cause nationale.

Depuis son retour au Secrétariat général du parti, il n’a pas cessé de tirer à boulets rouges sur la normalisation et à vilipender, sans se soucier de sa position antérieure, l’implication de la direction précédente du PJD dans la signature de l’Accord tripartite, estimant que M. El Otmani avait d’autres options pour épargner au parti pareil embarras. Mais, en définitive, au sein du PJD, une énorme confusion persiste toujours en matière de politique étrangère. Est-ce une affaire d’Etat qui a l’apanage exclusif d’en évaluer ce qui est stratégique, auquel cas nulle position n’est envisageable hormis le soutien ou à moindre degré la compréhension ? S’agit-il d’une politique comme toutes les autres qui doit faire l’objet de critique et d’évaluation ? Ou existeraient alors une politique du Roi, qui mérite appui et soutien, et une autre du ministère des AE qui peut, elle, faire l’objet des critiques les plus acerbes ?

Un subterfuge idiot

Le sujet est à la fois compliqué et épineux, mais qui prend des allures beaucoup plus complexes dès lors qu’il s’agit de la question palestinienne et de la normalisation avec Israël. Sinon, la valse de la critique aurait probablement été de moindre intensité s’il s’est agi de la question nationale, même en présence d’erreurs qui auraient permis aux adversaires de marquer des points.

Ceux qui font de la politique au sein du PJD recourent à un subterfuge idiot, en tentant de s’agripper à la formule selon laquelle «le parti est en confrontation avec le Roi via le ministre des AE». Ils prétendent s’opposer à la politique de l’Etat, mais se barricadent derrière la présidence par le Roi du Comité Al-Qods pour signifier que cette présidence hautement symbolique exige du MAEC une position conséquente.

Mais au fond, il y a un problème bien plus complexe qui mérite examen. Les partis politiques ne sont nullement au fait des détails, ne connaissent pas avec précision les concessions du Maroc aux Etats-Unis et à Israël, ni ce qu’il en attend en retour aux termes de l’Accord tripartite, de même qu’ils ignorent tout des données relatives à la question du Sahara ou du conflit avec l’Algérie dans ses dimensions sécuritaires et militaires, et encore moins de ses implications économiques et stratégiques.

Le dilemme des islamistes

Les partis politiques, ceux d’obédience islamiste en particulier, sont mus essentiellement par les positions de principes, la lucarne à travers laquelle ils interrogent constamment la politique étrangère du pays. Normal dès lors qu’ils ressentent si mal que le Maroc n’ait pas condamné l’agression israélienne ou qu’il n’ait pas été parmi les premiers pays à le faire.

Il est vrai que ce faisant, ces partis cherchent aussi à restaurer une popularité perdue et à réconcilier leurs rapports avec les positions de principe à l’égard de la question palestinienne. Mais, en même temps, ils sèment une énorme contradiction dans l’esprit de leurs militants et adeptes au sujet de la politique étrangère du pays, le mettant ainsi devant un grand dilemme. Ces derniers sont-ils tenus de soutenir cette politique comme étant celle de l’Etat, celle du Roi ? Sont-ils tenus par les référentiels établissant le parallélisme annoncé entre la question palestinienne et la question du Sahara ? Ou doivent-ils percevoir la politique étrangère du Maroc comme l’expression de différentes sphères influentes au sein de l’appareil de l’Etat, au lieu d’être l’expression de LA politique de l’Etat ?

Les vraies questions

Sur ce sujet, deux tendances majeures traversent le PJD. La première, immuablement attachée aux principes, ne se considère aucunement concernée par la dimension stratégique dans la gestion de la politique étrangère, à fortiori en rapport avec la question palestinienne. La seconde est plutôt animée par l’injonction politique, celle de rapiécer une popularité en lambeaux, à travers le réajustement des positions pour reconquérir des bases qui s’érodent.

Une troisième sensibilité se dessine. Cet article se propose d’en être l’expression. Encore latente, elle part du postulat que la question devrait être replacée dans son contexte intellectuel et politique pour appréhender la représentation que se fait un militant partisan de la politique étrangère. Car, la levée de l’antinomie que résume cavalièrement la formule «Nous soutenons la politique du Roi, nous critiquons le ministre des AE Nasser Bourita», est un passage obligé pour poser les termes d’une équation précise et déterminer la place de la politique étrangère dans la représentation et la perception des partis politiques. S’agit-il d’une politique d’Etat ou d’une politique d’un ministère des AE qui reflète les dynamiques d’acteurs influents dans la prise des décisions ? Que peut-on critiquer dans les décisions de ce ministère ? Où faudrait-il s’abstenir ou exprimer une objection ? Qu’est-ce qui requiert un soutien absolu ? Qu’est-ce qui suppose juste la compréhension ? Ou, tout au contraire, appelle une opposition frontale ?

Un vaste chantier de clarification qui ne fait que commencer. 

 

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