chroniques
La fatwa des Ayatollahs du PJD
Ils n’ont donc pas changé ! Mais peuvent-ils vraiment changer ? Certains le soutiennent encore et les créditent dans ce sens ; une majorité, elle, n’y croit pas. En témoigne, en l’occurrence, si besoin était la réponse faite à mon dernier article de Maroc Hebdo sur : « Le PJD défaillant », référence faite à ce que n’a pas entrepris cette formation islamiste pour faire face et optimiser la lutte contre la propagation du virus COVID-19.
Avant de revenir aux attaques personnelles dont je suis l’objet, il vaut de relever cette première question : qui a publié ce texte infamant, indigne même ? C’est le site pjd.ma qui en a été le support le 14 avril courant à 19h06. Qui l’a signé ? Une obscure association se présentant comme étant le Forum des cadres et des experts du PJD. Les frères ne se débusquent donc pas alors que ce texte a été concocté durant deux jours par le secrétariat général de ce parti pour arriver à sa finalisation. Le consensus a été laborieux, certains estimant que ce n’était pas le moment le mieux indiqué pour ouvrir une controverse publique sur le bilan de leur parti. Mais le Chef du gouvernement, par ailleurs premier responsable, a fini par valider ce texte. Sans doute déjà fragilisé par le choc de la pandémie et par le fait que le dispositif de lutte lui échappe et qu’il est pris en mains dans les conditions optimales par les départements ministériels de l’Intérieur surtout ainsi que par ceux de la Santé et de l’Éducation nationale, il a donc cédé à la fébrilité et à une réaction compulsive.
J’en fait donc les frais et les lecteurs apprécieront. Mais pourquoi se retrancher alors derrière le paravent – tellement transparent d’ailleurs – de ce forum ? Ce n’est pas neutre, me semble-t-il, dans la mesure où c’est l’expression d’une posture constitutive d’un certain courant islamiste : celui de la Taquiyya. Pas la Taquiyya scripturaires du Saint coran (3 :28) mais ce que l’on pourrait appeler l’une de ses variantes historiques : la Taquiyya-arcane, telle que définie par les islamologues. De dissimulation, de se garantir contre quelque chose ou quelqu’un par crainte, une pratique de précaution dictée par la discipline de l’arcane fondée sur l’hermétisme et le secret, lesquels ne doivent être connus que des seuls initiés.
Pour le reste, le fond donc, comment laisser passer des interpellations de principe ? L’une d’entre elles, centrale, et celle du bilan du PJD. Ce serait facile et cruel en même temps que de comparer les cabinets qui se sont succédé depuis près d’une vingtaine d’années (Driss Jettou, Abbas El Fassi d’un côté et Abdelilah Benkirane, Saâd Eddine El Othmani de l’autre) Tous les indicateurs macroéconomiques témoignent du différentiel dans de multiples domaines : IDE, croissance, création d’emplois, maitrise des grands équilibres des comptes de la nation… Si l’on se penche en particulier sur le cabinet actuel, investi à la fin avril 2017, que peut revendiquer le Chef du gouvernement ? Il a fait adopter, voici trois ans, un programme pour la législature jusqu’à 2021. En parle-t-il ? Y fait-il référence ? Nullement.
Ce programme est devenu obsolète dès les premiers mois par suite d’une non-maitrise des situations et des conjonctures difficiles : Al Hoceima, Jerada… Plus encore, il a été sans cesse censuré par SM le Roi, le premier acte étant le communiqué publié à l’issue du Conseil des ministres présidé par le Souverain, le 25 juin 2017, à Casablanca. Deux mois après l’investiture parlementaire, la nouvelle mandature de l’Exécutif ne se présentait pas sous une bonne étoile : tant s’en faut. D’autres séquences ont suivi accentuant la fragilité : renvoi de quatre ministres le 24 octobre au vu d’un rapport de Driss Jettou, président de la Cour des comptes, puis d’un ministre le 1er août 2018 et d’une secrétaire d’État, trois semaines plus tard. Enfin, la composition du gouvernement a été modifiée et recentrée le 9 octobre 2018 avec la suppression de près d’une quinzaine de secrétaires d’État couplée à la nomination de « nouvelles compétences ». Six mois après, le 6 avril courant, l’une d’entre elles cumulant les départements de la jeunesse, des sports et de la culture, a été limogée, Othmane Firdaous succédant à Hassan Abyaba
Difficile de voir dans cette instabilité ministérielle depuis trois ans un gage d’efficacité ! Le Chef du gouvernement et ses ministres PJD pâtissent, par ailleurs, d’un déficit d’action réformatrice qui n’était pas tenable. D’où les multiples interventions royales pour de fortes inflexions – le social, l’emploi des jeunes, le statut des soulalyates dans le monde agricole, la formation professionnelle, le préscolaire…
Même pour ce qui est de la nécessité d’un réexamen du modèle de développement priorisée par le Souverain dans son discours d’octobre 2017 devant le Parlement, le Chef du gouvernement n’a pas été à la hauteur. Il a bien mis sur pied une commission interministérielle quelques semaine plus tard, laquelle n’a pas vraiment associé les autres composantes de la majorité (RNI, USFP, MP, UC et PPS) et n’a pu remettre qu’une copie conventionnelle qui n’a pas été validée … Ce dossier a été repris en décembre 2019 par la nomination de la Commission Benmoussa nommée par SM le Roi.
Le “Forum” islamiste croit, par ailleurs, s’en prendre à ma qualité de constitutionnaliste en évacuant le partage que j’ai fait entre le bilan du gouvernement et celui du Souverain. Qui peut sérieusement contester cette différenciation tant il est vrai que le Roi règne et gouverne. Feu S.M. Hassan II l’avait précisé en termes propres : “Plus que jamais, le peuple marocain a besoin d’une monarchie populaire, islamique et gouvernante. C’est pourquoi, au Maroc, le Roi gouverne, le peuple ne comprendrait pas qu’il gouvernât point” (Le Défi, page 154). Cette même officine islamiste estime que c’est là, de ma part, une “tentative incendiaire” m’assimilant à une sorte de pyromane des institutions…
De fait cette littérature me paraît très significative d’un état d’esprit, d’une culture et d’un référentiel bien particulier. L’état d’esprit, c’est la présente conjoncture qui met en première ligne S.M. le Roi qui a pris les mesures et mis sur pied les dispositifs les plus opératoires dans la lutte contre la pandémie du virus. Un modèle de réactivité déployé sur tous les plans et qui est cité en exemple à l’international. C’est aussi le fait que le Chef du gouvernement et ses ministres PJD sont à la remorque. Ni audibles, ni présente sur le terrain alors que trois départements qui leur échappent se distinguent par leur mobilisation (Intérieur, Santé, Éducation). Les citoyens le voient au quotidien et dans l’état de confinement qui est le leur évaluent ce que font les uns et les autres. L’impact de cette crise sanitaire, économique et sociale ne pouvant que se faire ressentir durablement, en 2021 et au-delà sans doute, ces mêmes citoyens, électeurs aux prochains rendez-vous électoraux (communaux, régionaux, parlementaires) de 2021 auront de la mémoire –une mémoire vivace pour donner sens à leurs bulletins de vote.
La question posée alors sera celle-ci : qui a fait quoi lors de la législature 2016-2021 ? Et pour qui voter ? L’hypothèse c’est que le Chef du gouvernement actuel, Saâd Eddine El Othmani, pourra difficilement invoquer le “bon” bilan de son cabinet et surtout de son parti. De même, quel crédit peut lui être accordé pour le “nouveau” programme qu’il vantera lors de la campagne électorale de 2021 ? LE PJD a connu un pic en 2016 ; il ne peut qu’accuser une sensible contraction de son électorat autour d’un million de voix au mieux, comme …. en 2011 où la formation islamiste avait été dopée par le printemps arabe et le Mouvement du 20 février.
Cette formation islamiste a fini par faire sa place dans le système partisan il faut s’en féliciter. Réprimée au départ, tolérée, elle a ensuite été hébergée parce que “sans-papiers” par le Dr. Abdelkrim El Khatib (1976-78) responsable du parti MPCD qui a beaucoup aidé à la conduire à la faire adhérer à l’option “légaliste” et institutionnelle. Elle ne se déclare pas islamiste mais à référentiel islamique – la “Taqquiya” encore… Elle a accédé à des responsabilités publiques de premier plan tant au Parlement qu’au Gouvernement. Mais le logiciel de ce parti, son ADN, a-t-il été reformaté depuis une vingtaine d’années et plus précisément depuis 2011 ? L’on ne peut qu’en douter. Le refus de la liberté des autres, de s’interroger, d’évaluer, de critiquer n’est pas admis. Ils sont obstinément en confinement dans leur périmètre idéologique et politique, délégitimant par avance tous ceux – partie, associations, journalistes… et politologues – en dehors de leurs clous. Ils nourrissent ainsi un discours d’autosatisfaction. D’optimisme de commande. Et de déni des réalités. N’est-ce pas, à titre illustratif de cet état d’esprit, le même El Othmani qui se vantait, dans une interview en juin 2019 à l’hebdomadaire Jeune Afrique, de ceci : “Sa Majesté le Roi est satisfait de notre travail…” De quoi s’apparenter à une sorte de dédoublement schizophrénique.
Mais si le PJD est là et restera dans le champ institutionnel et partisan – mais sans garantie dans le gouvernement – il lui reste à acquérir une “normalité” à part entière. Sa gestion est ce qu’elle est. Mais son échec est aussi ailleurs : dans l’éthique et les valeurs. Il avait bâti sa campagne 2011 et son programme autour de la lutte contre la corruption, de l’économie de la rente, de valeur morales ; bref d’une nouvelle éthique de la responsabilité. Un discours qui ne pouvait qu’être attractif pour des citoyens. De fait, dans la pratique, dans la vie sociale, qu’en est-il ? Les responsables et les élus PJD sont-ils eux-mêmes plus vertueux avant de s’atteler à “changer la société” ? C’est l’ancien Chef du gouvernement et secrétaire général de cette formation qui les interpelle toujours : il leur reproche de s’installer dans les aisances, de faire du cardénisme, de faire des affaires et de s’enrichir. Même dans leur vie personnelle et conjugale, c’est une faillite illustrée, entre autres, par un concubinage intra-gouvernemental couplé à tant de frasques, ici et là.
Dire cela est-ce de la “haine et du mépris”, comme l’écrit leur “forum”. À l’endroit du PJD, bien des responsables peuvent témoigner que tel n’est pas mon état d’esprit. Pas davantage, je n’ai de tels sentiments à propos des autres partis. Des inclinations, oui ; du subjectivisme, sûrement ; des erreurs d’interprétation, sans doute. Et des corrections que j’assume. De l’estime et de la considération pour certains dans tous les partis et beaucoup moins pour d’autres : c’est ma part de liberté d’universitaire. Et cela, le PJD veut m’en priver, me frappant pratiquement d’excommunication politique par une “fetwa” d’ayatollahs de service. Peine perdue : ils ne me feront pas taire ! le Maroc de nos rêves, le Maroc de S.M. Mohammed VI, est-il partagé avec certains suppôts de cette mouvance ?