La France fragmentée

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Ce qui se passe dans certains quartiers de France pourrait ne rien augurer de bon. En plus du confinement et le coronavirus, l’on assiste, dans ces bantoustans qui ne cessent de révéler, depuis quarante ans, les interminables fractures sociales françaises, à une forme de rougeole, maladie infantile par excellence. Plusieurs villes sont comme contaminées par  une hyperémie avec les poubelles brûlées et l’emblématique voiture incendiée comme les symptômes manifestes. 

A Tourcoing, Mantes-la-Jolie, Chanteloup-les vignes, la Courneuve, Trappes, Grigny mais aussi au Havre, Bordeaux ou à Strasbourg, on assiste à des secousses tectoniques qui, bien qu’encore embryonnaires et de basses intensités sur l’échelle de Richter de la violence urbaine, se répètent, depuis une dizaine de jours, avec une régularité inquiétante. Invariablement, ces incidents finissent par des affrontements entre jeunes et policiers. Pour la quatrième nuit successive, les forces de l’ordre, avec une retenue intimée par la hiérarchie et dénoncée par les syndicats, font face, à Villeneuve-la-Garenne, à une rébellion revancharde, suite un contentieux entre les condés et un jeune dont le pedigree n’est pas à son avantage.  En Belgique, une semaine auparavant, un soulèvement, avec pour arrière-plan une sombre histoire de décès lors d’un contrôle policier, a apposé, à Anderlecht, des essaims de rebelles aux policiers belges débordés. Il arrive aux journalistes, les plus sournois, de qualifier ces explosions urbaines « d’Intifada », manière, de moins en moins sibylline, de qualifier ethniquement les fauteurs de troubles.

En France, en plus du confinement, on rentre dans le ramadan. Autant dire, pour certains, un confinement dans le confinement. C’est un peu la double peine. On peut redouter une réplique, qu’à Dieu ne plaise, du scenario de 2005 où, dans une période ramadanesque, l’ampleur des violences urbaines, prés de dix mille voitures brûlées, avait poussé Dominique de Villepin avec son ministre de l’intérieur d’alors, un certain Nicolas Sarkozy, à décréter l’Etat d’urgence.

En vérité, les malfrats, les vrais, type Mesrine, Francis le Belge ou plus récemment Redouane Faïd, le spécialiste des évasions, ne dérangent pas tellement les Français. Au contraire, ils les fascinent même. Les scénaristes trouvent, chez eux, matière à faire de bons films. Et avec eux, les policiers sont confortés et valorisés dans leurs missions de neutraliser des personnages de ce gabarit. Il devient, en revanche, de plus en plus difficile pour les forces de l’ordre d’endiguer les perturbations insurrectionnelles et ces séditions qui impliquent, dans les zones urbaines, des meneurs et, le plus souvent, des mineurs.

Des serviteurs à leur insu

Quelles qu’en soient la cause et les circonstances, il est de plus en plus difficile d’avoir de l’indulgence pour ces petites frappes. Plus que de prendre en otage des territoires et les populations qui y habitent, ils constituent, décervelés qu’ils sont, le petit bois qui nourrit les braises incandescentes des discours extrémistes. Ces vandales, en brûlant des voitures, de leur voisin la plupart du temps, rendent un inestimable service au Front national et consorts. Ils leur font même des économies d’imprimerie puisqu’ils confectionnent des tracts à leur place. Volontairement serait grave. Involontairement serait pire. Ils sont ainsi les alliés objectifs de leurs pires ennemis.

Ces derniers ne s’y sont pas trompés. Haro sur le baudet. Ils ont enflammé la twittosphère et ont embrasé les réseaux sociaux. Marine Le Pen n’a même pris la peine de s’exprimer. Elle s’en passe royalement et n’en pas besoin. Sa nombreuse soldatesque, hystérique de la souche, s’en occupe et donne de la voix. Tout le monde est monté au créneau. Nicolas Bay, député Européen, « Pendant que les Français sont confinés, pas de répit pour la racaille ». Julien Odoul, célèbre depuis sa sortie contre le voile d’une mère de famille, accompagnatrice d’un groupe scolaire, s’est littéralement lâché en recyclant la thèse de Christophe Guilly et sa France périphérique : « A l’argumentaire moisi de la France islamiste sur la pauvreté des habitants des quartiers, j’ai rappelé que la misère de nos territoire ruraux ne provoque jamais d’émeutes et des guérillas contre les forces de l’ordre ». Damien Rieu, l’un des principaux rouages de la mouvance identitaire, très proche de Marion Marechal et de de Gilbert Collard, ne touche plus terre : « Ils haïssent la France car ils jalousent la grandeur de notre culture, l’universalité de notre histoire, le raffinement de notre art et l’excellence de notre science. Ils sont venus picorer comme des lâches en nous crachant au visage tout ce qu’ils n’ont jamais réussi à créer ». Jean Messiha, un copte égyptien, haut fonctionnaire, névrotique suinte la haine des nouveaux zélés (au front depuis 2016) : « Il y a un truc que je ne comprends pas. Le nombre de mosquée est passé de 913 en 1985 à 7000 en 2018. Bien. Alors comment affirmer que l’immigration est stable depuis 40 ans ? Et comment du coup, nier l’islamisation de la France en la qualifiant de phantasme de l’extrême-droite ». Autre zélé, l’illuminé Karim Oukich, algérien converti au christianisme, très proche de l’auteur du Grand remplacement, Renaud Camus, et président non pas d’un parti mais d’une particule, le SIEL : « On verbalise le pauvre piéton à la Concorde et on laisse s’installer le chaos dans la banlieue. Fier-à-bras avec les braves gens, dégonflés avec la racaille. Macron, ça suffit » Je passe sur la caution jeunesse et banlieue du FN, Jordan Bardella, député européen. Sur Florian Philippot, excommunié du FN. Sur la béotienne Nadine Morano ou le niçois Éric Ciotti. Mais Stéphane Ravier, sénateur et candidat à la mairie de Marseille, vaut le détour. Pour lui : « Castaner n’a jamais trouvé aux Gilets Jaunes sur lesquels il faisait tirer au LBD. Par contre ses petits protégés de banlieue ont tous les droits ! Demain, ça sera quoi l’excuse, le beau temps ? la racaille, on ne l’excuse pas. On l’écrase. » comme l’infâme de Voltaire. Je passe aussi sur Jérôme Godefroy de Valeurs actuelle ou la nouvelle coqueluche des identitaires, Charlotte d’Ornellas, qui écume les plateaux de Cnews et de TV libertés, la télé du web et de « la réinformation ». Mais c’est le navire amiral de la fachosphère, le site Fdesouche, qui s’en donne le plus à cœur joie. Son fondateur Pierre Sautarel, le plus actif sur les réseaux sociaux et, soit dit en passant, l apprécié de Finkielkraut et l’estimé d’Éric Zemmour, a trouvé, lui, le moyen, vidéo à l’appui, d’impliquer le Maroc où ce type de vandales ne saurait être admis.

Dans le fond, le secret espoir de ces gens-là, c’est que la banlieue flambe vraiment en ces temps de confinement. Ils jettent ainsi des bidons d’essence sur les flammèches avec l’ambition inavouée d’assister à un embrasement généralisé dont ils pourraient en tirer les marrons.

Pauvre France.

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