chroniques
La langue de barhrire
Langue du message divin ou langue des conquérants ? Au moment où l’on polémique à volonté sur l’usage de l’arabe dialectal dans les manuels scolaires, cette mauvaise querelle induit des interrogations sérieuses sur le glissement infondé qui a de fait consacré dans de nombreux esprits la sacralité de la langue arabe parce que langue du message divin, donc du divin, alors que rien n’est moins vrai
Quel rapport entre barhrire et kleenex autre que l’un, le second, permet d’essuyer les restes du premier ? Aucun sinon que ni l’un ni l’autre n’appartient au corpus linguistique auquel il prétend.
Kleenex est le nom de fabrique d’un mouchoir jetable de conception américaine qui a intégré le dictionnaire de la langue française Larousse sans qu’aucun n’appréhende cette intégration comme une agression contre la langue de Molière ou comme une menace à retardement contre l’intégrité ou la pureté d’un riche vocabulaire qui a permis à des Rousseau, Voltaire, Hugo et autres Corneille de s’exprimer joliment et clairement. En 2017, 150 nouveaux mots puisés dans le quotidien et les autres cultures ont fait leur entrée dans le même dictionnaire, sachant par ailleurs que la langue française n’est pas, n’est plus depuis longtemps la référence en la matière.
Barhrir, un met marocain que l’on mange au miel, s’est retrouvé sans avoir rien demandé dans un manuel scolaire en bonne compagnie avec ghryba et bri-ouate aux amandes. On a eu droit à un tollé de destruction massive et un branle-bas de combat général qui a pris pour champ de guerre les réseaux sociaux si faciles à conquérir pour analphabètes trilingues et illettrés intégraux. Un jour il va falloir intenter un procès à l’inventeur de Facebook pour crimes contre l’humanité. Donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ! c’était un beau slogan dont on s’est longtemps gargarisé avant que l’on se rende compte que le mur bleu et l’univers virtuel avaient l’ignorance et la médiocrité pour profondeur réelle. On en pleure, on en rit et on ne sait plus où donner de la tête quand la vaillante identité arabe vacille devant un plateau de barhrire.
Attention, l’inscience ne touche pas que les ignorants qui savent lire et écrire. On peut avoir un doctorat en psychiatrie, un magistère en loi islamique, un diplôme supérieur des études dans la même discipline et passer à coté de la plaque. Notre chef du gouvernement par exemple, si taciturne qu’il aurait mieux fait de le rester. Pour l’équivalent d’une madeleine en dialectal dont les adultes marocains conservent le goût, Saâdeddine El Othmani sort de ses gonds, en appelle à la constitution et menace de mobiliser ses troupes : Dialectal, no pasaran ! Et quoi encore, l’état d’urgence et l’armée dans la rue peut-être.
Testons son érudition. Sijle, qui veut dire argile, dont Le Miséricordieux a fait dans Sourate l’éléphant, les pierres que « des oiseaux par volées » ont lancé aux Abyssins qui voulaient envahir la Mecque, sijile donc, il vient d’où ? Du persan, Monsieur le secrétaire général du PJD. Alors pourquoi pas barhrire dans un manuel scolaire. Les islamistes du monde arabe, leurs guides du moins, pèchent sciemment par confusion entre langue du Coran et langue d’Allah, l’investissant subrepticement d’une sacralité qu’eux seuls lui confèrent.
Saadeddine El Othmani le sait, il ne peut pas ne pas le savoir : Si le Livre saint est en arabe c’est parce qu’il s’adresse aux Arabes et rien d’autre. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le Tout Puissant dans Sourate Ibrahim, signe 4 : « Et Nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer. Allah égare qui Il veut et guide qui Il veut. Et, c’est Lui le Tout Puissant, le Sage. » Ce qui évidemment réduit le champ de l’Islam et de sa mission telle que conçue par Dieu bien en deçà de ses frontières actuelles. Et place El Othmani et consort au banc des faussaires. Franchement, on n’a pas mieux à faire ?