chroniques
La mémoire trouée* - Par Seddik MAANINOU
Témoins d’une histoire proche et lointaine, ces monuments se trouvent dans un état de délabrement avancé. Des accès murés, des fenêtres, jadis lumineuses, condamnées, des murailles fissurées plantent le décor d’une désolation, sans mauvais jeu de mots, monumentale
Au cours des vacances de l’Aid Al Fitr, la Fondation Chouaïb Seddiki Doukkali a organisé la première exposition du livre d’histoire d’El Jadida. Sur trois jours, une pléiade de conférenciers se sont relayés pour aborder une série de thématiques liées à la mémoire, aux personnalités illustres de la région et aux recherches monographiques en rapport avec son histoire.
La culture d’abord
Ahmed Seddiki, président de la Fondation Chouaïb Seddiki Doukkali, ( à droite) et Seddik Maâninou
Le président de la Fondation, Ahmed Seddiki, a d’emblée posé le cadre de l’exposition, soulignant que seule «la culture est à même de ressusciter les gloires d’El Jadida, rappeler son histoire prestigieuse et mobiliser sa population pour l’extraire à l’oubli et la stagnation». Tout au long des échanges, les enfants de Mazagan n’ont pas caché leur dépit de l’«agression» caractérisée qui cible la mémoire de la ville, l’oubli et la destruction où plongent ses monuments et ses bâtisses réduits à de ternes reliques renvoyant l’écho, mais seulement l’écho, d’un exceptionnel essor culturel qui fut.
Mazagan
A la faveur d’une tournée dans la ville, on a pu voir plusieurs anciennes bâtisses qui forment une partie importante de l’histoire architecturale de Mazagan. Témoins d’une histoire proche et lointaine, ces monuments se trouvent dans un état de délabrement avancé. Des accès murés, des fenêtres, jadis lumineuses, condamnées, des murailles fissurées plantent le décor d’une désolation, sans mauvais jeu de mots, monumentale. Ils sont les témoins oculaires et éloquents du désintérêt ambiant qui a mis au secret des pans entiers de la mémoire de la ville, atteinte à la longue d’amnésie quasi chronique. Des habitants n’hésitent pas à qualifier de condamnation à une mort lente la léthargie qui a frappé les monuments d’El Jadida, et d’atteinte aux particularités de la ville qui lui permettaient de rivaliser avec les anciennes médinas marocaines.
Al Mahdouma (La rasée)
Parmi les curiosités qui tiennent à cœur aux lettrés de la ville, la forteresse portugaise (1503/1769). Bâtie au début du 16ème siècle, elle est le rappel permanent de la présence massive des Portugais le long du littoral marocain. Pendant plus de trois siècles, les moujahidines n’ont cessé de multiplier les tentatives pour reprendre le contrôle de Mazagan aux occupants et les chasser de la ville. Ce fut chose faite sous le règne du Sultan alaouites Sidi Mohammed Ben Abdellah. A leur départ, les Portugais ont pris soin de ravager la ville et d’éventrer ses monuments, d’où le surnom d’Al Mahdouma (la rasée). Près d’un demi-siècle après, la ville naquit de ses cendres et prit, signe de défi, le seul nom qui pouvait évoquer sans équivoque sa renaissance en rupture avec l’occupant : El Jadida (La nouvelle).
Le Sultan et le captif
J’ai eu l’honneur d’intervenir, dans le cadre du volet historique, avec un survol de mon dernier ouvrage «Le Sultan et le captif». J’ai rappelé la situation historique du Maroc au 17ème siècle et les principaux événements ayant jalonné cette période trouble qui s’est terminée par l’arrivée de la dynastie alaouite au pouvoir. La longue marche du Maroc vers l’unité devait absolument passer par la neutralisation des prétendants locaux, notamment les Semlalis au Souss qui avaient pour capitale Iligh, les Dilaïtes dans l’Atlas qui avait pour capitale Dila, et Lakhadar Ghaïlan au pays Jbala et sa capitale Ksar El-Kébir.
J’ai saisi l’occasion pour rappeler les faits d’armes du moujahid Al Ayachi qui a tenté, à plusieurs reprises, de libérer Mazagan en la soumettant à des sièges étouffants. En 1617, il a réussi à liquider une bataillon portugais et pris en otage des dizaines de soladats qu’il a ramenés à Salé, après avoir tué leur chef, le gouverneur de Mazagan.
Etre et redevenir
Par cette rencontre et d’autres initiatives à venir, El Jadida tente d’opérer un retour vers son passé pour mieux s’ancrer dans l’avenir, de retrouver son histoire pour mieux perpétuer sa mémoire, nourrir ses ambitions et se projeter dans ce qu’elle a tant envie d’être et de redevenir. L’action de la Fondation Chouaïb Seddiki Doukkali est un maillon dans cette œuvre déterminée à insuffler une nouvelle vie à la région de Doukkala qui recèle un patrimoine architectural d’une grande valeur. Ce patrimoine historique, revisité et restauré, entretenu et mis en valeur, contribuera assurément à l’essor économique de la ville. Et c’est aux Doukkalis, faut-il le rappeler, qu’il revient en premier lieu de travailler à l’entretien de leur ville et à son équipement pour en faire un pôle touristique, économique et commercial. Ce premier salon est un premier jalon sur la voie du dépoussiérage. Il va sans dire que cette initiative, en dépit du caractère limité propre à une première édition, sera chaleureusement accueillie et parrainée, surtout si elle parvient à intégrer l’université et les lycées et à mobiliser davantage de soutien humain et matériel. Rendez-vous donc pour faire le point l’année prochaine à la deuxième édition du livre d’El Jadida.