La neutralité, forme suprême de la lâcheté ? Par Abdelahad Idrissi Kaitouni

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Le Roi Mohammed Vi reçu à l’Elysée par le président Emmanuel Macron en 2017. L’héroïsme de la France est-il de se déclarer neutre là où elle veut perpétuer l’injustice, et de s’affranchir de la neutralité là où elle peut cogner en toute impunité ?

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Le discours du Trône et ses exégètes – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni

Quand le Roi Mohamed VI fait un discours, il ne laisse jamais transparaître ses émotions. Il arrive à tout maîtriser : pas de gestes explicites des mains, pas de froncements du front ou des sourcils, pas de variations de la tonalité de la parole, rien qui trahisse le moindre effet de ses propos sur sa propre personne.

Bref, rien de théâtral, tout est lissé, le contraire de la majorité des autres chefs d’États pour qui chaque parole doit être théâtralisée, car ils sont à la recherche des effets de com. Sa Majesté n’a pas besoin d’effets de com, car elle est affranchie de tous soucis d’élections. C’est dans les mots qu’il va falloir aller chercher les « états d’âme » du Souverain.

Les mots ont beau appartenir au lexique diplomatique bien huilé, ils finissent par trahir ce qu’il ressent. Commentant son dernier discours du Trône, j’avais souligné dans ma chronique toute la souffrance qu’il éprouvait en invitant ses Sujets à plus de mansuétude à l’égard de l’Algérie. Car il sait ce qu’il en coûte à la fierté des Marocains de fermer les yeux sur les agissements innommables de leurs voisins. Sa souffrance se dégageait clairement de ses mots.

Quant au discours du 20 août dernier, ses mots laissaient percevoir un cri de colère étouffé contre la duplicité de nombreux pays qui cherchent à s’abriter derrière cette notion infâme de neutralité.

Le Roi a usé d’un vocabulaire qui sied à son rang et aux circonstances. Il appartient à l’intelligentsia marocaine de descendre dans l’arène, de se faire plus explicite et de qualifier crûment les choses, pour amplifier son cri de colère et le porter urbi et orbi.

Ainsi avons-nous le devoir de qualifier de lâches tous ces pays qui se complaisent dans le confort du clair-obscur. Ce n’est pas sans raison que j’intitule cette chronique, la neutralité est la forme suprême de lâcheté. Quel mal y a-t-il à être partisan quand l’évidence de l’histoire veut vous imposer un éclectisme suranné ?

Au mépris de toutes les valeurs qu’elle a véhiculées par le passé, la France se complaît dans une honteuse posture d’une impossible neutralité, qui l’amène à dire aux Marocains qu’ils ont raison, tout en chuchotant aux oreilles des Algériens qu’ils n’ont pas tort.

Elle prétend ainsi éviter l’affrontement, mais oublie qu’elle ne fait que perpétuer l’injustice. Quelle crédibilité peut-elle avoir, quand sous le fallacieux prétexte de neutralité, elle cultive l’iniquité rendant tout dénouement du conflit difficile, sinon impossible. A-t-elle oublié qu’elle a spolié le Maroc de vastes territoires qu’elle a refilés à son recéleur attitré, l’Algérie ?

De quelle neutralité peut-elle se prévaloir pour masquer son imposture ? Inventée pour les besoins de la cause, cette neutralité est pain béni pour le quarteron de généraux algériens qui oppresse son peuple, et bloque le parachèvement de notre unité, tout en contrariant férocement notre développement. Ainsi la France apporte-t-elle une aide significative à l’oppresseur au détriment des victimes !

On rejoint ici les propos du Sud-africain Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, qui aurait dit que : être neutre dans des situations d’injustice, c’est se mettre du côté de l’oppression. Manière de dire que, au-delà des intérêts égoïstes qui inclinent à peu ou prou de mansuétude pour l’oppresseur, il y a d’abord l’humanité !

Je rappelle souvent dans mes chroniques qu’il va des Nations comme des Humains. Qui y a-t-il de plus naturel chez l’homme que de porter des jugements, même s’il se garde de les formuler ouvertement ? Les partis pris du cœur sont également là pour rappeler que la neutralité est une construction intellectuelle qui veut emprunter à la morale quelques raisons d’apparaître moins choquante.

Les jugements, fondés ou non, et les partis pris, sont souvent à la base des amitiés qui se tissent parfois dès la prime enfance. Pouvez-vous imaginer un ami qui n’essaie pas de porter une part, même infime, de vos malheurs ? Allez-vous continuer à le qualifier d’ami s’il passe son chemin alors que vous êtes en bute à de graves problèmes ?

J’ai fait cette longue digression pour dire que la France ne saurait être un pays ami, même si elle louvoie habilement pour éviter d’apparaître comme un ennemi déclaré. Pour elle la neutralité est une notion à géométrie variable, pouvant aller d’une attitude plus ou moins vertueuse à l’extrême veulerie. On l’a vécu dans plusieurs pays où le devoir d’ingérence a été appliqué avec violence et les dévastations qu’on connaît.

Elaboré par les théoriciens du chaos comme Bernard-Henry Lévy ou Bernard Kouchner, le devoir d’ingérence est devenu une doctrine officielle en vertu de laquelle elle était intervenue sur tous les théâtres d’opérations de ces deux dernières décennies, pour ne parler que des événements récents. (Balkan, Afghanistan, Irak, Syrie, Soudan, Libye, Sahel … .)

L’héroïsme de la France est de se déclarer neutre là où elle veut perpétuer l’injustice, et de s’affranchir de la neutralité là où elle peut cogner en toute impunité. En débutant cet écrit, je n’imaginais pas ma chronique avec une chute aussi dure pour les Français. Elle est toute aussi dure pour la Marocains qui ont aimé et aiment encore la France !

Bouznika le 15 septembre 2022