chroniques
La relance ? Mais en restaurant la confiance !...
Mohamed Benchaaboune, ministre de l’Economie et des Finances
Oui, il y a une sorte d’«activisme » du gouvernement pour reprise de l’activité économique et partant préserver l’emploi et soutenir les entreprises. Oui encore, il y a cette loi de finances rectificative en voie d’adoption par le Parlement. Oui enfin, des plans sectorielles se précisent, avec retard cependant, sont arrêtés dans cette perspective. Mais qu’en est-il d’un facteur tout aussi prioritaire : celui de la restauration de la confiance. Déjà, depuis au moins trois ans, cette question était posée par la CGEM et même par les ministres de l’économie et des finances qui se sont succédé, Mohamed Boussaid et aujourd’hui Mohamed Benchaâboube.
Preuve que bien avant cette pandémie de la COVID-19 sévissant depuis mars dernier, l’une des hypothèques encore pesantes tournait déjà autour de ceci : de l’attentisme, l’absence de visibilité et en même temps la médication insuffisante retenue pour y mettre fin ou à tout le moins y apporter des atténuations significatives.
L’état des lieux, aujourd’hui, ne nourrit guère l’optimisme : tant s’en faut. Avec le projet de loi de finances rectificative à l'ordre du jour, nul doute que l'on y verra plus clair à propos de la situation actuelle. Un état des lieux actualisé, bien sûr ; des indications sur le bouclage du second semestre 2020 ; mais aussi les fortes inflexions nécessaires pour fixer de nouvelles priorités dans les politiques publiques. Tous les indicateurs sont pratiquement au rouge : la forte baisse des exportations de l'ordre de 20 % sauf pour le groupe OCP ; les IDE en recul de 18 %, les recettes des transferts des MRE en recul de 12 % ; des revenus touristiques en plein effondrement. C'est ce qu'il y a sur la table. Comment redresser cette situation ?
D'abord, par la mise au net des comptes - c'est, rappelons-le, l'objet de la loi de finances rectificative. Ensuite, par des plans d'urgence pour parer au plus pressé et au plus contraignant : aide et soutien au entreprises par tout un dispositif décliné autour d'un moratoire pour le paiement des charges sociales (CNSS), fiscales et autres ; sans oublier l'emploi avec les subventions mensuelles versées aux travailleurs à la CNSS et à ceux qui ne le sont pas. Tout cela n'est que ponctuel puisque celles-ci prennent fin le 30 juin et qu'à terme, les entreprises ont droit qu'à un délai de grâce de deux ans pour les emprunts consentis par les banques avec la garantie de l'Etat à hauteur de 95 %.
Accompagner donc les plans de relance sectoriels et inscrire ceux-ci dans une perspective à moyen terme au moins. Un autre modèle à élaborer d'autant plus que celui qui prévalait jusqu'à présent a montré ses limites et qu'une réflexion nationale est en cours avec la commission Benmoussa installée en décembre dernier. Ce qui pèse le plus dans cette nouvelle équation : La question sociale. Quels que soient les contours et les axes de cette nouvelle donne qui va imprimer les années à venir, il faudra bien mettre sur pied des filets sociaux. Dans tous les chapitres ! Que faire avec les travailleurs formels ou non à compter de 1er er juillet confrontés à la précarité de la situation actuelle liée à des entreprises en difficulté voire même à celles qui arrêteront leurs activités dès la fin de l'été ? Va-t-on innover alors jusqu'à prévoir la formule du chômage partiel pour y apporter une première réponse ? Ne faudrait-il pas aller plus loin et s'atteler enfin à la finalisation de la réforme du code du travail encore en instance au Parlement et celui depuis années ? Flexibilité, droit de grève, régime de la protection sociale, politique des revenus, ...: les dossiers ne manquent pas. Mais le gouvernement va-t-il les prendre à-bras-le- corps alors que jusqu'à présent il s'est surtout distingué par bien des lenteurs et des ambigüités.
Le social c'est aussi autre chose : l'effectivité des droits des travailleurs. Sait-on que sur les quelque 3 millions de travailleurs déclarés à la CNSS, seuls 50 d'entre eux, soit 1,2 million, sont à jour de leurs cotisations devant être versées par les entreprises ? Ira-t-on par ailleurs jusqu'à instituer une indemnité chômage, suivant diverses modalités ? L'indemnité pour perte d'emploi qui bénéficie à moins de 50.000 employés sera-t-elle revue et corrigée pour couvrir un périmètre plus large ? Enfin, il y ce serpent de mer du registre social unique (RSU), lancé par le cabinet d’alternance dès 1998 et qui tarde tant à être finalisé. Le projet de loi vient d'être adopté par la Chambre des conseillers le 16 juin dernier avant sa transmission pour délibération par la Chambre des représentants. Il est prévu qu'il soit mis en place avec les décrets d'application à la fin de cette année 2020. Ce nouveau dispositif permettrait de mettre fin au système actuel de la caisse de compensation et d'optimiser ce budget à des segments et catégories défavorisés.
La relance attendue c'est aussi le basculement accéléré vers la transformation digitale. Avec le virus COVID -19, une accélération s'est faite à cet égard alors que ce référentiel pourtant annoncé depuis plus d'une décennie marquait le pas. Les relations de travail et même sociales ont été ainsi fortement impactées au cours des trois mois de confinement. Ce sont des acquis et elles ont mis bien des secteurs dans ce logiciel numérique (administration, éducation, travail à distance, justice aussi,...).
Mais par-delà tous ces aspects, se pose cette interrogation de principe : comment restaurer et conforter la confiance ? Les citoyens et les opérateurs économiques sont en forte demande à ce sujet ; ils ont des attentes ; ils veulent des signes forts quant au cap et à la feuille de route - pour la vision, l'on verra avec le rendu de la Commission Benmoussa, en janvier 2021... De quoi donner des repères clairs et plus globalement de la visibilité. Ce concept a un sens et n'est pas qu'un terme incantatoire. Il fait référence à un nouveau chemin, à des cahiers de charges liant les acteurs publics et privés. Où veut-on aller ? Comment ? Et suivant quelles priorités et quelles modalités ? Et au final, le peut-on ? Un contre-choc à la pandémie est une réponse opérationnelle ; il doit se prolonger sur de nouvelles bases : accentuation et accélération de réformes, capacité et management des décideurs publics et autres ; mobilisation pour porter et incarner le changement incontournable imposé par la présente crise.
Ce qui remet au premier plan cette interrogation : la reprise et la relance économique commandent que tout soit mis en œuvre pour restaurer la confiance. Un climat, la perception que ce qui est entrepris s’inscrit dans cette ligne-là ; qu’il y un cap et une vision sans doute mais aussi un chemin, une feuille de route. La confiance est également un facteur de production en ce qu’elle sécurise, rassure, ouvre des perspectives témoigne d’un volontarisme réformateur.
Est-ce le cas aujourd’hui ? Le gouvernement dirigé par Saâeddine El Othmani peine à porter et surtout à incarner cette exigence, miné qu’il est par des divisions de sa majorité et bien des ambigüités. Avec le recul, depuis son investiture à la fin avril 2017, il n’a pu s’affirmer, fragilisé par tant d’interpellations et de recadrages royaux d’un côté et une grande difficulté à imprimer son empreinte. Difficile de croire qu’il pourra se rattraper d’ici 2021…