Le discours Royal, le covid-19 et l’avenir de l’agriculture du bien-être au Maroc

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Le discours Royal, le covid-19 et l’avenir de l’agriculture du bien-être au Maroc

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Dans Son discours adressé au Parlement (9 octobre 2020), SM le Roi Mohammed VI, a mis l’accent sur la nécessité stratégique de relancer l’économie nationale, en ralenti à cause de la pandémie du coronavirus, en soulignant de façon forte l’importance de l’agriculture et du développement rural, en tant que puissant levier dans la stratégie nationale de lutte contre les méfaits socio-économiques du Covid-19. Pour le Souverain : « Dans le contexte actuel, il convient de soutenir la résilience de ce secteur-clé et d’accélérer la mise en œuvre de tous les projets agricoles».

Au Maroc, le développement rural est tributaire du développement agricole et réciproquement, le développement de l’agriculture passe nécessairement par le développement rural de manière générale et le développement des zones de montagne en particulier, compte tenu du poids démographique et de l’étendue géographique des zones de montagne.

Les massifs du Rif, du Moyen Atlas, du Haut Atlas et de l’Anti-Atlas, couvrent plus de 25% du territoire national, environ 30% de la population du Royaume et abritent 62 % des forêts naturelles, qui se caractérisent par une importante et riche diversité floristique.

Malgré les programmes spéciaux de l’Etat, en particulier durant les deux dernières décennies pour réduire les disparités territoriales et sociales, la montagne du Maroc reste encore l’enfant pauvre et le canard boiteux du développement national de manière générale et du développement rural en particulier : 

Enclavement, faible niveau de développement des infrastructures et des services publics de base, prédominance de  l’agriculture familiale vivrière et d’élevage extensif, fort taux d’analphabétisme qui frappe en premier chef la femme et la jeune fille en zones de montagne, un taux de chômage élevé, qui touche la jeunesse, en particulier les jeunes diplômé (e)s et l’armée des laissés-pour-compte, de l’échec scolaire et de l’abandon universitaire, dégradation des ressources naturelles et des écosystèmes terrestres et aquatiques, etc..

Face à la frustration sous la pression des besoins de consommation de la vie moderne….et le manque de moyens, l’exode est vite trouvé comme solution miracle. De plus en plus nombreux, les montagnards, perdant toutes racines, sont pris d’errance et vont au hasard de la fuite en avant, vers les petits centres les plus proches où vont s’échouer dans les bidonvilles, qui ceinturent les grandes cités déjà gonflées d’abdication et de misère, ou bien vont jouer à la roulette russe en risquant la traversée vers l’autre rive de la Méditerranée.  

A défaut de ces aventures, c’est la ruée du montagnard vers les berges des lacs et des rivières, à la recherche d’une activité génératrice de revenu en complément ou en substitut à la petite agriculture familiale et au petit élevage extensif de subsistance devenus insuffisants pour faire face à l’augmentation  démographique de la cellule familiale et de répondre aux besoins quotidiens de la modernité grotesque. D’où une résilience bricolée autour des zones humides, où tout est lutte pour la survie, avec des effets anthropiques dévastateurs et incalculables sur les écosystèmes aquatiques en zones de montagne, devenues en fait des châteaux d’eau aux pieds d’argile. 

Tout en respectant et en priant en mémoire des victimes du Covid-19 et en souhaitant prompt rétablissement aux malades de cette grave crise de santé publique, ne serait-il pas légitime de tenter l’exercice d’une évaluation coûts-avantages du Covid-19, en cherchant à mettre en évidence son impact potentiel pour la relance possible d’une nouvelle économie, l’économie de la santé et du bien-être ?    

La pandémie du coronavirus a, en plus des victimes et malades, engendré une récession économique mondiale, à plusieurs égards, comparable à la grande dépression de 1929. Mais comme il est dit dans le Saint Coran : « et il se peut que vous n'aimiez pas une chose qui est bonne pour vous, et que vous aimez une chose qui est mauvaise pour vous, et Dieu sait et vous ne savez pas »

" وَعَسَى أَنْ تَكْرَهُوا شَيْئًا وَهُوَ خَيْرٌ لَكُمْ وَعَسَى أَنْ تُحِبُّوا شَيْئًا وَهُو شَرٌّ لَكُمْ وَاللَّهُ يَعْلَمُ وَأَنْتُمْ لَا تَعْلَمُون" (ص) – سورة البقرة 216.

Autrement dit comment arriver à transformer les contraintes de Covid-19 en levier et opportunité de croissance ? 

Cette pandémie a au moins l’avantage d’avoir permis d’ouvrir un vaste champ de réflexion et de grand débat académiques et politiques sur des questions existentielles pour l’Humanité :

  • la remise en cause des paradigmes conceptuels et théoriques à la base des modèles de croissance productivistes et consuméristes qui ont prévalu en Occident depuis les premières révolutions industrielles et la mondialisation insouciante à laquelle elles ont donnée lieu. Une internationalisation économique qui a méprisé la nature pendant des siècles, en postulant que l’Homme a des droits sur la nature et doit donc la dominer et l’asservir, suivant une logique « rationnelle »  où l'homo œconomicus est roi. La covid-19 a donc le mérite de dévoiler l’aberration d’un tel postulat ; 

  • le confinement durant des mois de plusieurs milliards de personnes à l’échelle mondiale a incontestablement montré le lien causal qui existe entre le réchauffement climatique global et les nuages noirs de CO2 émis par une industrialisation outrancière, énergivore et fortement polluante à cause de l’utilisation des combustibles fossiles, causant un réchauffement climatique global qui est devenu, à l’heure actuelle, l’une des préoccupations majeures de la Communauté internationale, en raison  des menaces qui pèsent sur l’Humanité et les risques d’extinction d’une partie de la biodiversité, essentielle à la vie sur Terre. Certains penseurs de Covid-19 vont même jusqu’à voir dans cette pandémie ravageuse un certain ras-le bol de la Nature contre l’Homme prédateur, devenu un peu insupportable pour la Terre qui l’héberge. 

Pour d’autres, grâce au Covid-19, c’est le grand et heureux soulagement de redécouvrir le ciel bleu, même dans les régions les plus industrialisées d’Amérique ou d’Europe et dans les mégapoles populeuses d’Asie et d’Amérique du sud,  d’apprendre que les rejets du dioxyde de carbone s’étaient effondrés, de constater l’amélioration de la qualité de l’air dans les grandes agglomérations, la relative propreté retrouvée des rivières, des fleuves, de la lagune de Venise, le silence des villes, le chant des oiseaux, la disparition des embouteillages, la réapparition des animaux dans les zones urbaines, l’essor nouveau des abeilles, la réduction annoncée de 5 % de CO2 pour l’année 2020;

  • l’ardente obligation stratégique de donner la priorité à l’économie de la santé et du bien-être. Une nouvelle économie souhaitable après le coronavirus, qui regrouperait tous les secteurs qui se donnent pour mission la défense de la vie (la santé, la prévention, l’hygiène, la gestion des déchets, l’eau potable, l’assainissement, l’écotourisme, la protection et valorisation des sites naturels exceptionnels, etc.). 

Pour sortir de la récession causée par le Covid-19 et relancer rapidement l’économie mondiale, certains analystes et experts insistent  sur la nécessité de réorienter une partie  des activités  des entreprises des autres secteurs vers l’économie de la vie, au lieu d’attendre encore le retour problématique de leurs marchés antérieurs (les multinationales  de l’automobile, de l’aéronautique, celles du textile, de la mode, de la chimie, de la machine-outil, de l’énergie carbonée, du luxe, du tourisme balnéaire de masse et des croisières avec des paquebots géants avec  3000 à 4000 touristes à bord, etc.); étant entendu qu’en grande partie ces multinationales sont condamnées à se restructurer et à s’adapter pour éviter les faillites ou disparitions à cause de la récession mondiale causés par la pandémie actuelle. 

A l’évidence, l’après Covid-19 est annonciateur d’un certain retour à la nature et donc à la campagne et peut donc devenir un puissant déclencheur du renouveau pour le monde rural en général et pour la montagne en particulier, qui sont de fait de grands réservoirs naturels pour le développement des produits de terroir et des PAM (plantes aromatiques et médicinales), qui sont les inputs indispensables à l’économie du bien-être inéluctablement en perspective.

La riche diversité des écosystèmes écologiques marocains, grâce à la rente géographique du Maroc, à califourchon entre l’Europe et le Grand Sahara, entre l’Atlantique et la Méditerranée,  a fait du Royaume un véritable Eden des produits de terroir et des PAM, dont certaines sont endémiques : huile d'argan, huile d’olives, truffes du désert, eau de rose et fleur d'oranger, figues de cactus, miel, Amlou, safran, dattes Majhoul, henné, etc. 

Cette biodiversité a fait du Maroc un grand gisement des PAM des plus riches au monde (4200 espèces dont 800 endémiques), parmi lesquelles près de 600 à 800 espèces sont reconnues pour leur usage médicinal et/ou aromatique ainsi que pour leur potentiel de développement, en particulier pour l’export ; un secteur appelé à monter en puissance après la déferlante vague mondialisée du coronavirus. 

Traditionnellement, le Maroc est resté un grand fournisseur mondial des PAM, tant pour le marché européen qu’international :

  • près d’une centaine de produits sont ainsi exportés sous forme de plantes séchées pour les besoins d’herboristerie et d’aromates   alimentaires ;

  • plus d’une trentaine d’espèces sont utilisées pour la production d’huiles essentielles ou d’autres extraits aromatiques pour l’industrie de parfumerie et cosmétique ainsi que pour la préparation des        produits d’hygiène et la formulation des arômes.

Depuis le lancement de l’Initiative Nationale de Développement Humain-INDH en 2005 et aussi grâce aux objectifs stratégiques du Plan Maroc Vert,  le secteur des PAM s’est affirmé comme une filière à part entière,  fortement génératrice de revenus et créatrices d’emplois, en particulier pour  les populations rurales, dont certaines vivent dans  des  zones éloignées et excentrées, en zones de montagne, dans les oasis ou dans les régions semi-arides et arides du sud du Royaume, de l’oriental, jusqu’à oued Eddahab, en passant par le Tafilalet, oued Noun et Sakia El Hamra. 

C’est un défi de l’après Covid-19 pour le nouveau modèle de développement agricole et rural  Green Generation et la nouvelle stratégie Forêts du Maroc, que de gagner le pari de la consolidation des acquis et pour aller de l’avant pour assoir, résolument et durablement, les bases d’une agriculture nationale du bien-être, avec  l’agro-écologie et l’agroforesterie comme locomotive.

En réconciliant l’écologie et l’agronomie et en respectant la terre nourricière, l’agro-écologie et l’agroforesterie sont des créneaux essentiels pour la production de la matière première nécessaire à l’économie de la santé et du bien-être, et peuvent donc être, après le coronavirus, le fer de lance du développement des produits de terroir et des PAM, dont la montagne est le berceau par excellence. 

Les premiers et heureux bénéficiaires des retombées de cette agriculture du bien-être post-coronavirus seront les populations des forêts et des montagnes du Maroc, la femme et la fille montagnardes en premier lieu.