chroniques
Le Maroc a-t-il besoin d’une révolution ?
Le vide qui fait tant horreur à la nature finira peut-être par pousser le Roi au séisme dont il a menacé la classe politique. L’accouchement sous péridurale n’est pas possible dans tous les cas
C’est un coup de billard à deux bandes qu’a malicieusement joué Maria Moukrim (febrayer.com) en publiant l’article d’un journaliste jordanien mettant en scène le souverain hachémite Abdallah au milieu d’intellectuels et d’hommes de média. Même reportée à l’écrit, la perplexité du Roi jordanien restait perceptible et gardait son éloquence : « Où allons-nous ?!» s’est-il demandé devant ses interlocuteurs. La question exprimait plus un constat de désarroi qu’elle n’attendait de réponse. Il y a treize ans je me posais la même question dans un article de l’Opinion à l’occasion de l’accession du Roi Mohammed VI au trône.
Pour angoissante qu’elle puisse paraître, l’interrogation sur la situation du Maroc et sur ses orientations pouvait recevoir, au terme de la cinquième année d’un nouveau règne, une réponse suffisamment nette pour offrir à travers un bilan d’étape une idée assez précise de ce que laissait entrevoir l’action menée tambour battant pour reconfigurer l’avenir d’un royaume qui était quelques années auparavant, l’expression est de Hassan II, au bord de la crise cardiaque. Et l’ambivalence des sentiments qui ballotaient le Maroc était largement amortie par l’optimisme et l’espoir porteurs qui s’étaient emparés du pays.
Les Cassandres qui nous promettaient la fin du monde, ou la fin d’un monde n’étaient pas moins sûrs d’eux que ceux actuellement à l’œuvre. Sans réussir nullement à ébranler l’enthousiasme d’un peuple qui voulait y croire. L’heure n’était pas plus à la certitude qu’elle ne l’est aujourd’hui pour les Marocains et une monarchie que certains voulaient finissante. Du déjà vu que nous avons vécu avec Hassan II. On connait le fin mot de l’histoire.
Un sentiment de précarité
Ce rappel ne nous dispense pas pour autant des inquiétudes que suscite cette forme de déprime des Marocains depuis à peu près deux ans. Le doute et le scepticisme sont une constante marocaine qui s’accompagne d’une propension à l’autodénigrement morbide. Il n’en reste pas moins que s’arrêter à la surface du problème sans faire son archéologie risque de mettre le pays à terme dans des situations incontrôlables tant l’histoire est imprévisible. Le sentiment de précarité qui s’est installé est pernicieux comme peuvent l’être les atteintes malignes. Des courants de fond semblent les mettre à profit pour en accentuer, voire en accélérer les conséquences.
Avec le pouvoir de plus en plus prégnant de facebook depuis une dizaine d’années, la diffusion de l’aigreur et de l’acrimonie prend une ampleur sans précédent. Elles sont, l’aigreur et l’acrimonie, portées par deux supports. Le premier, spontané et animé par des citoyens pas très heureux, non sans raisons, de leur état, offre en plus la fragilité de sa perméabilité aux influences du second. Celui-ci, plus élaboré, qu’il serait réducteur d’attribuer aux seuls islamistes, est le plus dangereux : Discours construit et visuel travaillé, il mène une entreprise de démoralisation en règle. Il a pour récurrente la dévalorisation de l’appartenance nationale, une marocanité qu’on ne porte plus que honteusement, et la désacralisation des symboles de manière à faire sauter tous les soupapes.
L’exposition du Roi
Dire qu’il a la volonté de placer le Roi au balcon des responsabilités en le dépouillant de tous les fusibles est un euphémisme. La tâche est ardue, mais l’absence en face d’une réaction audible à la mesure de la bravade surprend quand elle ne consolide pas les peurs. Tout se passe comme si les bodyguard naturels du système sont pétrifiés. Le souverain a bien acté l’échec du modèle de développement, mais personne n’est plus apparemment capable de produire des alternatives revigorantes et mobilisatrices. Cette stérilité de la pensée humaine n’est pas une exclusivité marocaine, mais les défenses immunitaires du pays sont telles que le vide qui fait tant horreur à la nature finira peut-être, au mieux, par pousser le Roi au séisme dont il a menacé la classe politique. L’accouchement sous péridurale n’est pas forcément la solution appropriée ni le plus économe en complications.
Une appréhension corrompue
Depuis des années, on fait et répète le même diagnostic sans autre résultat que l’itération pavlovienne aux mêmes dates de l’année. L’éducation n’en n’est que la plus illustre des illustrations. C’est à se demander si le pays n’a pas besoin d’une révolution culturelle qui remodèlerait de fond en comble les comportements. Le problème a pour nœud gordien, qu’il faut trancher d’urgence, l’appréhension corrompue, c’est le cas de le dire, qu’a le marocain de ses intérêts par rapport à ceux du pays.
Des maux dont souffre horriblement la société, la corruption, généralisée, n’ayons pas peur des mots, de haut en bas, en longueur et en largeur, origine et conséquence du mal, est depuis longtemps hydrique, d’Hydre. Le tuer, deuxième des douze travaux d’Hercule, a fallu à l’héros de la mythologie grecque l’ingéniosité de découvrir qu’il lui fallait tremper ses flèches dans le propre poison de la bête. Potion que le Maroc peine à découvrir.