chroniques
Le sultan réélu, le nationalisme grand gagnant - Dr Samir Belahsen
Des partisans du président turc Recep Tayyip Erdogan célèbrent près de la mosquée Taksim, sur la place Taksim à Istanbul, le jour du second tour de l'élection présidentielle, le 28 mai 2023. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré sa victoire le 28 mai 2023 lors d'un second tour de scrutin historique qui représentait le défi le plus difficile de son règne de deux décennies. (Photo Yasin AKGUL / AFP)
La mosquée Eyüp Sultan ( Eyüp Sultan Camii) , c’est le sanctuaire islamique de la ville d'Istanbul que le candidat Erdogan a choisi de visiter pour clore sa campagne victorieuse au deuxième tour.
Elle doit son nom à l'un des compagnons du prophète Mohamed, Abou Ayyoub al-Ansari. Il n’a jamais été sultan mais les turcs l’appellent Eyüp Sultan, car il est tombé lors du premier siège de Constantinople.
La mosquée fut l'une des premières à être élevées après la prise de Constantinople, à l'emplacement de la sépulture du compagnon.
Depuis, la visite de cette mosquée faisait partie du rituel d’intronisation des Sultans Ottomans.
Les sultans s’y rendaient pour accomplir le rituel de la prise en charge symbolique de l’épée d’Osman, fondateur de la dynastie ottomane, lors de leur accession officielle au pouvoir.
L’intronisation a été un peu anticipée mais la Baraka est là et Recep Tayyip Erdogan est réélu avec une marge confortable sur Kemal Kiliçdaroglu.
Sur le toit d'un bus devant ses supporters, il a lancé « Bye bye Monsieur Kemal ». Le Sultan réélu s’adressait au candidat malheureux Kiliçdaroglu et non à l’autre Kemal par lequel l’histoire de la république Turque a commencé, il y a un siècle, et qui envahit encore par son ombre le champ politique Turc.
Le nationalisme a gagné
La république de Turquie est née après la guerre d'indépendance menée jusqu'en 1920 par Mustafa Kemal Atatürk contre l'occupation de l'Empire ottoman par les Alliés de la Première Guerre mondiale.
L'empire Ottoman s'affaiblit à partir du début du XVIIIe siècle et se disloque au lendemain de la Première Guerre mondiale donnant naissance à la Turquie moderne.
On peut ainsi dater la naissance du nationalisme turc par la fin de la première guerre. Cette idéologie glorifie le peuple turc en tant que groupe ethnique, national et linguistique. Et il faut reconnaitre à Atatürk son rôle primordial dans l’écriture du récit national fondateur de la nation turque.
Le nationalisme, en Turquie, n’est pas l’apanage de l’extrême-droite ; il est d’abord un élément du kémalisme qui reste l’idéologie officielle qui traverse les courants politiques même si le Kémalisme avait un coté anti impérialiste qui collait à l’air du temps.
Le nationalisme turc est aussi le fruit du sentiment de frustration né de défaites successives. Le rejet de la Turquie par l’union Européenne a accentué ce sentiment.
Pendant cette campagne électorale, on a vu fleurir les nationalismes parfois chauvins qui imprégnaient les discours des uns et des autres.
Dans les trois principales alliances on retrouve des mouvements ultranationalistes Turques ou Kurdes.
Le président et son mouvement paraissent parfois plus nationalistes qu’islamistes.
C’est Erdogan, le nationaliste qui a gagné.
On l'aura remarqué, dans le débat national pendant les deux campagnes on a scrupuleusement évité les « questions nationales » (milli dava) comme l’affaire chypriote, la question Kurde, les épineuses relations avec la Grèce. En Turquie, il existe un consensus formel quasi obligatoire. Une sorte de lignes rouges…infranchissables.
Le nationalisme n’est remis en cause, et encore timidement, que dans certains milieux de gauche, l’opinion publique risquant de s’offusquer de tout franchissement des lignes tracées par Atatürk.
C’est qu’en Turquie, comme sous d’autres cieux, la glissade du patriotisme vers le nationalisme peut toucher tout le monde.
Néanmoins, le véritable vainqueur de cette présidentielle est la démocratie. A la veille de son centenaire, la Turquie vient de réussir brillamment un exercice démocratique.
Une démocratie qui n'en reste pas moins tourmentée, en partie par les démons du passé, et en partie par l'autoritarisme erdoganien. Elle ne peut s’apaiser que si le Sultan laisse tomber son autocratisme et prouve aussi qu’il est le président également des minorités.