chroniques
Lectures et Relectures au temps du corona : Prophétie littéraire ?
Y-t-i il eu des écrits des auteurs maghrébins contemporains qui, d’une même voix, avaient prédit le soulèvement dénommé “Printemps arabe »?
Peut-on prédire des évènements, comme par exemple le dit printemps arabe, longtemps à l’avance ? Le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume en doute. C’est que le propre de l’Histoire est précisément de surprendre même quand elle donne l’impression de se répéter. Un événement à venir, on peut les craindre et il se peut même qu’une œuvre littéraire ou de fiction trouve son accomplissement dans la réalité. Ce n’est souvent que le fruit du hasard qui fait aussi que parfois la réalité dépasse la fiction. On est alors dans l’ordre de l’inimaginable qui advient. Mais si prédire semble impossible, prévoir est tout-à-fait faisable. L’agence américaine de renseignement, la CIA, à travers le National intelligence Council, le fait très bien. Dans son rapport “Comment sera le monde en 2020”, elle a retenu la fort probable survenue d’une pandémie causée par une variante de la famille des coronavirus. Ce qui n’a pas manqué de fortement alimenter les théories conspirationnistes. Mais c’est alors un travail rigoureusement scientifique pluridisciplinaire qui met à contribution ce que le monde compte de sommités dans diverses disciplines. Mais il ne prédit pas, il dégage des tendances et élabore des scenarii susceptibles de se produire comme de ne pas avoir lieu. En dehors de ces explorations à partir de données actuelles, il vaut mieux s’en tenir, quand il s’agit de littérature, à ce qu’en dit Abdejlil Lahjomri: “Les rapports de la littérature et de l’histoire sont complexes et c’est mal disserter de la littérature, de l’histoire et de leurs rapports que de s’amuser à faire des romanciers des oracles ou des devins.” Bonne lecture.
J’ai parcouru avec un intérêt de plus en plus décroissant un « collectif » intitulé « le Printemps arabe, Prémisses et autopsies littéraires ». L’initiateur de cette publication dit que « cet ouvrage se veut le décryptage du caractère prémonitoire des écrits des auteurs maghrébins contemporains qui, d’une même voix, avaient prédit le soulèvement dénommé “Printemps arabe ». Outre que, jusqu’à maintenant, la littérature de ces contrées qu’elle soit en langue arabe ou en langue française n’a pas encore accouché d’une œuvre de fiction particulièrement marquante concernant ce moment de l’histoire du monde arabe, ce qui surprend surtout c’est que ce critique attribue à la littérature une dimension prophétique et en fait ainsi un instrument de divination.
La lecture de cet essai décevra plus d’un , parce que d’anticipation, il s’avère qu’il y en n’a pas, de prophétie non plus, de divination encore moins. Les rapports de la littérature et de l’histoire sont complexes et c’est mal disserter de la littérature, de l’histoire et de leurs rapports que de s’amuser à faire des romanciers des oracles ou des devins. Il y a une littérature de l’urgence et l’on a ainsi vu fleurir sur le sang des victimes des récits hâtifs, corrosifs mais qui n’ont pas réussi à faire éclore un printemps littéraire.
Dire que tel roman, tel poème, telle pièce de théâtre, avait prédit un événement historique survenu quelques mois, quelques années après sa publication, c’est mutiler la littérature, dévier la recherche historique de sa visée première.
Dans un article récent, le philosophe Raphaël ENTHOVEN a cru voir dans un passage de « Moby Dick », le fabuleux roman de MELVILLE, la preuve que ce récit n’est pas seulement un chef d’œuvre mais « un livre surnaturel qui donne l’illusion que pour un instant seulement, les voies du Seigneur ont cessé d’être impénétrables… ». Ce passage est le suivant : « Grande élection contestée pour la présidence des Etats-Unis. Voyage à la baleine par un nommé Ishmael. Batailles sanglantes en Afghanistan ». Et le philosophe de s’exclamer : « Comment fait-il pour tomber juste ? Rien ne laissait entendre, en 1851, qu’en 2000 l’élection présidentielle américaine se jouerait à quelques dizaines de bulletins et... qu’il y aurait des batailles sanglantes en Afghanistan » Qu’est-ce à dire ? Pourquoi R. ENTHOVEN pense-t-il à ces élections en particulier et pas à celles de 1824, plus proches de la période où Melville écrivit « Moby Dick » ? Je ne connais pas suffisamment l’histoire des Etats Unis pour savoir si elles furent contestées, mais MELVILLE pouvait par sa puissante imagination ; l’imaginer. Qu’est-ce à dire ? Pourquoi ce philosophe pense-t-il aux sanglantes batailles actuelles en Afghanistan, mais pas à celles que menait l’armée anglaise en 1841 – 1842, époque pas si lointaine de celle où Melville écrivit son récit et qui, je le suppose, furent aussi sanglantes, comme le sont d’ailleurs toutes les guerres. Paradoxales lectures !
Ce passage de « Moby Dick » de MELVILLE sous la plume fascinée de R. ENTHOVEN prend un sens quasi « prophétique » et la lecture s’en trouve comme magnifiée. Sous ma plume distanciée, il épouse dans cette chronique le contexte historique de l’époque, et la lecture risque de s’en trouver « prosaïque » et d’enlever à ce roman toute sa merveilleuse grandeur.
On me conseille de lire et de commenter le conte d’un jeune auteur tunisien, Yamen MANAI, écrit un an avant le suicide de M. BOUAZIZI, intitulé « La sérénade d’Ibrahim Santos », qu’un critique a ainsi présenté: « Une prophétie littéraire du printemps arabe ». Ce récit a été primé. Ce qu’il méritait sûrement. Je suis persuadé que je prendrai plaisir à la lecture d’un excellent roman mais je crains fort de n’y trouver aucune prophétie. Ce jeune auteur, j’en suis persuadé, a simplement voulu écrire pour écrire et écrire simplement un excellent roman.
Il serait étonné, ma foi, qu’on ait voulu faire de lui un oracle, et un devin.