chroniques
Lectures et Relectures au temps du corona : VII - Mille et une nuits dans les solitudes latino – américaines
G. G. Marquez avec Fidel Castro : « le pourfendeur des dictatures latino-américaines de droite a été aussi le thuriféraire d’une dictature latino-américaine de gauche. »
« Les grands hommes ont leurs grandes faiblesses. Les prix Nobel, surtout », écrit le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume dans cette septième chronique de ses Lectures et Relectures au temps du corona. C’est de Gabriel Garcia Marquez qu’il s’agit et de son faible pour Fidel Castro, un dictateur, de gauche, mais un dictateur, dit Abdejlil Lahjomri. Toute proportion gardée, il se trouve que moi aussi j’ai un faible pour le lider Maximo et je comprends parfaitement, en dehors de ses raisons propres qu’expose Abdejlil Lahjomri, la grande amitié qu’a l’immense auteur sud-américain pour le cubain qui a tenu tête au tout puissant Oncle Sam, réussissant en dépit du long et drastique blocus américain à doter Cuba d’un excellent système d’éducation et d’une structure sanitaire que beaucoup lui envient. Et surtout de survivre. Le reste est histoire de contingences idéologiques et géopolitiques. Bien sûr l’amitié de Marquez pour Castro n’entame en rien l’admiration du Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume pour le monumental que les Milles et une nuits ont inspiré. Et en intellectuel reconnu il se pose des questions sans jamais laisser l’appréciation politique jeter son ombre sur le prix Nobel de littérature. D’ailleurs, c’est en hommage à Gabriel Garcia Marquez qu’il a intitulé cette série de chroniques Lectures et Relectures au temps du corona. Et c’est toujours avec le même plaisir qu’on le suit dans les cheminements de sa réflexion. N K
Quand Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature (1982), auteur de l’immense et incontournable roman « Cent ans de solitude » décède en avril 2014, quittant après une longue maladie la scène littéraire latino-américaine et mondiale, ce fut un déluge d’éloges mérités. Unanimité impressionnante tant cet écrivain a su incarner la conscience de cette partie du monde et pour des millions de lecteurs la conscience universelle. Malgré une profusion d’articles, de nouvelles, de romans, de reportages, il reste pour moil’auteur d’une seule œuvre, comme Rabelais qu’il lut intégralement, comme le Montaigne des Essais ou le Baudelaire des Fleurs du Mal. Cette œuvre fondatrice de la littérature du XXème siècle, essentielle, novatrice, meuble l’inconscient du lecteur d’une magie qui enivre. Pour les amateurs de littérature, pour les apprentis écrivains il y a l’avant et l’après « Cent ans de solitude ». Et pour nous, qui sommes souvent en marge de la création littéraire, il est bon d’entendre ce fabuleux écrivain déclarer dans un entretien : « Il y a des lectures qui m’ont marqué à vie. Par exemple, ce livre relié que j’avais trouvé dans une malle, et dont je ne savais même pas le titre. C’était les Mille et une nuits. J’ai passé les premières années de ma vie halluciné par la vision des tapis qui volaient et des génies qui sortaient des bouteilles. « C’était merveilleux… ». D’autres auteurs avaient influencé Gabriel Garcia Marquez, mais le merveilleux qui fonde sa production vient du merveilleux qui colore une œuvre flamboyante de notre aire culturelle. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser au cours de la lecture de « Cent ans de solitude » : « Mais cet univers ressemble curieusement à celui des « Mille et une nuits ». Je n’osais exprimer cette pensée, avant que l’auteur lui-même ne la confesse et ne le reconnaisse.
Nulle part dans les élégies funèbres de nos journaux, n’a été signalé que l’une des sources d’inspiration de Gabriel Garcia Marquez avait été « Les Mille et une nuits ».
Comme nulle part n’a été signalée son indéfectible amitié avec Fidel Castro, et n’a été signalé que le pourfendeur des dictatures latino-américaines de droite a été aussi le thuriféraire d’une dictature latino-américaine de gauche.
Cela n’écorne en rien l’admiration que nous pouvons avoir pour l’homme et l’œuvre. Une œuvre colossale, qui baigne comme l’ont démontré les critiques dans un «réalisme magique » une fantasmagorie entrainante, un foisonnement d’images insolites, une imagination ensorcelante, un style haletant. Mais cette amitié reste, pour beaucoup de ses admirateurs dont je suis, une énigme. Un article dans un journal de langue arabe, qui lui fut consacré en première page, intitulé « Marquez, l’écrivain, ennemi du dictateur» n’est pas objectif, au point où je me suis demandé s’il fallait faire confiance aux journalistes pressés d’écrire. Gabriel Garcia Marquez fut à juste titre ennemi des dictatures, sauf d’une, celle qui sévissait à Cuba …. Ce journaliste l’ignorait-il ? Gabriel Garcia Marquez s’était pourtant expliqué dans un article élogieux : « Le Fidel que je crois connaître ». Mais il parlait de l’homme, comme s’il n’y avait aucun lien entre l’homme et le dictateur, et comme si l’homme tout court dédouanait quelque part l’homme politique.
Les explications et justifications de Gabriel Garcia Marquez ont peu convaincu ses lecteurs. Il affirmait que son amitié avec Fidel Castro était « intellectuelle », et que dans ces entretiens avec lui, ils parlaient littérature, beaucoup de littérature. Ce dictateur était amoureux des mots et des lettres. Pourquoi, Gabriel Garcia Marquez qui n’avait pas hésité à être l’ambassadeur de Fidel Castro auprès de Bill Clinton, avait-il refusé de se ranger aux côtés de ses amis écrivains latino–américains, qui critiquaient « intellectuellement » la politique du lider Maximo cubain ?
Mon étonnement fut grand, quand j’ai cru lire que Gabriel Garcia Marquez déclarait : « Avant de publier un livre, je lui apporte les manuscrits. Il est comme un éditeur pour moi. Il me montre les manques, les contradictions, à côté desquels peinent des professionnels. Il est très rigoureux. Et il lit tout le temps ». Fidel Castro, « éditeur », « correcteur » et « premier lecteur de Gabriel Garcia Marquez ». Ironie de l’histoire. Pour moi le dévouement de ce grand écrivain pour Fidel Castro reste incompréhensible.
Les grands hommes ont leurs grandes faiblesses. Les prix Nobel, surtout.