chroniques
Les Grandes Oreilles américaines, de la fiction à la réalité
Edward Snowdonen ! Si ce nom ne vous dit rien, c’est un Américain, ingénieur système de formation qui a été officier au sein de la CIA et travaillé comme sous-traitant pour les grandes oreilles des Etats Unis, la NSA.
Normalement ces quelques phrases et celles qui vont suivre, comportent suffisamment de termes « déclencheurs » pour qu’une fois mises en ligne, et avant même qu’elles n’arrivent à la destination que je leur veux, se faufilent « à travers une TURBULENCE, l’une des armes les plus puissantes de la NSA », tentaculaire agence d’écoute et de renseignement américaine. Ma requête « passera [ainsi] par plusieurs serveurs noirs […] installés dans des salles spéciales au sein de bâtiments appartenant aux plus grands opérateurs télécoms privés dans des pays alliés, ainsi que dans des ambassades et des bases militaires américaines. Ils utilisent deux outils capitaux. Le premier, TURMOIL, gère la « collecte passive ». Le second, TURBINE, est responsable de la « collecte active » - au sens où elle manipule activement les données de l’utilisateur. »
Par la suite, il est probable, si TURMOIL selon des « critères arbitraires » juge que je suis suspect, que des algorithmes décident quel programme malveillant utiliser contre moi. « Une fois ces programmes sont sur [mon] ordinateur, la NSA n’a plus seulement accès à [mes] métadonnées, mais également à toutes [mes] données. Désormais [ma] vie numérique lui appartient entièrement. » Les métadonnées peuvent apprendre à celui qui me surveille tout ce que je fais et qui je rencontre, quand je me réveille et à quelle heure je me couche, où je vais et d’où je viens… Essayez d’imaginer l’infinité de croisements à laquelle elle peut donner lieu et vous êtes bons pour l’asile.
Cela a dû arriver à plus d’un : quand je quitte mon bureau et monte dans ma voiture, mon smartphone, sans que je l’aie sonné, m’indique l’itinéraire jusqu’à ce qu’il suppose ma destination, parce que la plus récurrente, me livre l’état de la circulation et le temps que me prendra le parcours qu’il optimise pour moi. Un fait suffisant pour mesurer l’ampleur de ce que Google, a fortiori la NSA, sait sur nous. C’est dire que l’ouvrage de « l’homme qui a tout risqué pour dénoncer la surveillance globale »Edward Snowden, ne fait que confirmer ce que nous subodorons ou savons déjà par nos lectures sans que l’on réagisse autrement que par un sifflement de béate admiration et de renoncement résigné.
Une intimité dépucelée 24/24
L’ouvrage d’Edward Snowden n’est pas le produit d’un coup de tête, mais le fruit d’une longue réflexion tout au long des années où il a apporté son expertise de hacker à ces États Unis d’Amérique qui, toutes les nanosecondes, violent, au mépris des lois de leur pays et des conventions internationales, l’intimité du monde et les secrets les mieux gardés des États. De dépression en dépression, Edward Snowden a fini par se décider à franchir le Rubicon des lanceurs d’alerte pour terminer réfugié dans l’ex-Union soviétique qui viole non pas moins la vie privée des autres.
Dans 21 leçons pour le 21ème siècle, le chercheur israélien Yuval Noah Harari détaille comment les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazone) utilisent les données et métadonnées de nos ordinateurs et autres smartphones, pour façonner nos goûts et orienter nos choix dans une société subordonnée au Big Data et tente de configurer ce que sera un demain gouverné par l’Intelligence Artificielle. Snowden, lui, nous fixe sur la surveillance massive à laquelle nous soumettent la NSA et autres CIA pour pister nos gestes et mots et le cas échéant nous déclarer inéligibles à un visa, objets d’une désinformation ou cibles potentielles d’une liquidation physique.
« Enfant » du 11 septembre qui a permis à « la communauté du renseignement » d’entretenir et d’alimenter les peurs les plus grégaires des Américains, il raconte son désarroi en découvrant la manière dont cette communauté a fait voler en éclats les équilibres institutionnels voulus par les pères fondateurs de l’Union, garants de la vie privée, des libertés individuelles et de l’inviolabilité des citoyens qui faisaient tant la particularité et la fierté des USA.
De Fort Maed dans le Maryland, siège de la NSA, à Genève, du Japon à Hawaï, dans un tunnel planqué dans un vaste champ de maïs, Edward Snowden nous entraine dans les sinuosités de l’univers fermé de l’espionnage cybernétique et décrypte pour nous les techniques qui permettent à des algorithmes et aux hommes qui les manipulent d’entrer par effraction dans nos vies.
« La plupart des personnes qui utilisent des ordinateurs, y compris les journalistes, pensent, écrit Edward Snowden, qu’il existe une quatrième autorisation en plus de ‘’Lire’’, ‘’Écrire’’ et ‘’Exécuter’’ » qui s’appellerait ‘’Supprimer’’ ». Foutaises et fadaises ! A lire absolument. Mémoires Vives, Edward Snowden, Seuil.