L’AFRIQUE : UN CONTINENT D’AVENIR ? - Par Mustapha SEHIMI

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Le partenariat entre l'UE et l'UA ne sera couronné de succès que si toutes les décisions cruciales à cet égard sont prises conjointement par les partenaires européens et africains.

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LE CREPUSCULE DE L'OCCIDENT- Par Mustapha SEHIMI

Pendant trop longtemps, l'Afrique a été réduite à n'être qu'un simple fournisseur de matières premières et de produits agricoles pour l'Europe, les États-Unis, la Russie et, aujourd'hui, la Chine. Mais son potentiel créatif reste inexploité et sa capacité à fabriquer des produits à valeur ajoutée est limitée. Le sens des flux commerciaux n'a pas tellement évolué depuis l'époque coloniale. La richesse reste encore continuellement transférée de la périphérie de l'Afrique vers les centres industrialisés et de plus en plus numérisés. Une situation a entraîné la pauvreté d'une grande part de la population. 

Toutefois, ces dernières années, ses 1,2 milliard d'habitants- dont la moitié sont des jeunes- considèrent de plus en plus l'Afrique comme le continent de l'avenir. Les projets panafricains tels que la zone de libre- échange continentale africaine sont perçus comme susceptibles de stimuler les relations commerciales et économiques intrarégionales. L'Union européenne et d'autres partenaires internationaux devraient soutenir activement le renforcement des liens intrarégionaux, y compris physiquement. L'annonce d'un paquet d'investissements d'au moins 150 milliards d'euros lors du sommet UE-UA de février 2022 à Bruxelles à l'appui d’"Ambition commune pour 2030" et de l'"Agenda 2063 de l'UA"  sont à l’ordre du jour.

Partenariat d’égal à égal

Le partenariat entre l'UE et l'UA ne sera couronné de succès que si toutes les décisions cruciales à cet égard sont prises conjointement par les partenaires européens et africains. Il s’agit de créer ainsi un sentiment d'appropriation dans le processus de fixation des objectifs de la politique commerciale et d'investissement. Il faut pour cela consulter davantage la société civile, y compris les entreprises, et en particulier les PME, des différents pays partenaires africains, sur l'orientation et les conditions des investissements ; permettre ainsi une restructuration vers un développement économique autonome dans l'intérêt des citoyens.

Les économies peinent à surmonter la pandémie de COVID-19. Les ménages du monde entier sont touchés par l'inflation, tandis que les prix des denrées alimentaires, qui n'ont jamais été aussi hauts au cours des dix dernières années, exacerbent la pauvreté. L'énergie et la mobilité deviennent inabordables pour beaucoup. La guerre entre la Russie et l’Ukraine risque d'aggraver la situation. 

Des investissements anticycliques sont nécessaires pour stimuler les économies et les échanges commerciaux. La reconstruction des économies est l'occasion de les rendre plus durables et résilientes. Les gouvernements devraient pouvoir investir dans la santé et l'éducation de la population, qui sont les clés du bien-être futur. Trop souvent, la dette ne le permet pas. Au cours de la pandémie, le nombre de pays à faible revenu exposés au surendettement a doublé pour atteindre 60%. Beaucoup d'entre eux se trouvent en Afrique. En l'absence de réserves publiques pour la mise en œuvre de plans de relance économique, les écarts de développement risquent de se creuser, obligeant de plus en plus de personnes à quitter leur foyer à la recherche d'un travail pour survivre. Le changement climatique vient peser sur cette situation ; entraîne la perte de moyens de subsistance pour des millions de petits agriculteurs et leurs familles.  Il faut apprendre à valoriser le rôle des agriculteurs dans la protection du climat, ainsi que dans la protection de la souveraineté alimentaire et de la biodiversité régionales. 

L'Afrique est face à un environnement commercial mondial en constante évolution; il pose des défis nouveaux, mais offre aussi des opportunités renouvelées pour améliorer la croissance et réduire la pauvreté.  Des tendances façonnent cette évolution : la multiplication des accords commerciaux régionaux - souvent au détriment du système mondial (tel que l'OMC) ; la quatrième révolution industrielle et, dans son sillage, l'essor de technologies économes en main-d'œuvre, la montée en puissance de l'Asie en tant que nouvelle frontière économique; la fragmentation accrue de la production et les changements rapides dans les chaînes de valeur mondiales ; les perturbations des chaînes d'approvisionnement ; la guerre en Ukraine et la flambée des prix des produits de base. Autant de facteurs qui ont exacerbé les vulnérabilités du continent africain.

L'Afrique subsaharienne ne représente que 2% de la production et 3 % du commerce dans le monde, alors qu'elle compte 17 % de la population mondiale. Dès lors, et dans ce nouveau contexte commercial, comment l'Afrique peut-elle élargir son accès aux marchés d'exportation et diversifier ses débouchés vers de nouvelles régions et avec de nouveaux produits, tout en renforçant les échanges régionaux ?

La réorganisation des échanges essentielle à la participation de l'Afrique aux chaînes de valeur mondiales. Les régimes préférentiels unilatéraux, à l'image de la loi américaine sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (AGOA) et de l'initiative "Tout sauf les armes" de l'Union européenne (TSA), sont à même de favoriser la transformation économique par l'intermédiaire des exportations. Toutefois, ces dispositifs sont systématiquement sous-utilisés. Les ressources naturelles, principalement le pétrole, représentent la majeure partie des exportations africaines entrant dans ce cadre ; celles-ci sont suivies des produits textiles et d'habillement qui ont bénéficié de la deuxième plus forte impulsion. 

Les degrés d'utilisation de l'AGOA sont très hétérogènes dans la région : certains pays sont complètement passés à côté de l'occasion (en Afrique centrale et de l'Ouest) ; d'autres ont enregistré une croissance robuste au début avant une forte baisse ou une stagnation ensuite (la plupart en Afrique australe) ; et quelques retardataires ont obtenu de solides résultats (pays d'Afrique de l'Est, dont l'Éthiopie et le Kenya). Ce sont les pays disposant de bonnes infrastructures, notamment en matière de transport et de connectivité, de cadres législatifs solides pour l'exécution des contrats et la protection des droits de propriété, il faut ajouter qu’ils ont pratiqué  une gestion macroéconomique avisée avec des taux de change stables et compétitifs et une inflation faible.

Par ailleurs, il est nécessaire que l'UE et les États-Unis révisent leurs systèmes de préférence commerciale. Il s'agit notamment d'élargir les protocoles les plus généreux (la deuxième disposition de l'AGOA par exemple) aux pays qui ne comptent pas parmi les moins avancés de la région et d'étendre la liste des produits préférentiels aux secteurs dans lesquels de nombreux pays africains pourraient avoir un avantage comparatif. Apporter à l'AGOA et à l'initiative TSA des modifications portant sur des secteurs spécifiques qui renforcent la compétitivité des exportations de l'Afrique : voilà qui permettra d'ouvrir des perspectives supplémentaires. En outre, il est essentiel d'atténuer les incertitudes quant à la pérennité de ces systèmes de préférence commerciale pour attirer dans la région des investissements directs étrangers durables destinés à exploiter le potentiel d'exportation. 

Le patchwork des multiples accords commerciaux…

Au-delà de tout cela, il est primordial de faire évoluer le patchwork actuel des multiples accords commerciaux vers un contrat plus structuré avec des groupes de pays africains "voisins" - des partenaires commerciaux naturels qui sont proches historiquement, sociologiquement et géographiquement. Il s’agit d'encourager une coopération régionale plus étroite. En effet, les ententes bilatérales existantes avec chaque pays africain ont tendance à renforcer la fragmentation économique et politique qui a longtemps freiné les initiatives d'intégration de la région. La conclusion d'accords avec des groupes de pays voisins soutiendrait les réseaux de production sous- régionaux et encouragerait les initiatives de coopération infrarégionale, tout en contribuant à réduire les risques de conflit frontalier grâce à une meilleure intégration économique des pays contractants.

Continent d’espoir. Et d’avenir aussi- sans doute. A condition qu’un fort volontarisme l’emporte, autour d’une vision, d’un cap et de la prise en charge par les Africains – les peuples et surtout leurs dirigeants – se mobilisant durablement pour cet horizon-là.