chroniques
L’appel du Liban
Univers de toutes les prophéties et de toutes les tribulations des « identités meurtrières »
Dédié à Houda et à Miloud
Du haut de mon jabal et à l’ombre de mes cèdres, j’ai longtemps scruté l’horizon lointain, guidant mes enfants, friands de découvertes et de contacts avec leurs semblables, vers le vaste monde. Ils ont mis les ponts entre l’Orient et l’Occident, initiant des échanges tout azimut et contribuant à créer l’aire de civilisation méditerranéenne. Ils ont raconté la terre des prophètes, le rêve immémorial du grand large, échangé des procédés et rencontré des espaces culturels jamais foulés par des étrangers, colportant marchandises et contes ruisselant d’épopées. Leur retour au bercail ressourçait leur terre de mots, de choses, de couleurs et de traditions qui appelaient sans se lasser l’exotisme et le départ. Je suis le plus vieil émissaire de la paix par l’échange. Ma culture est partie loin pour fertiliser des mondes nouveaux.
Implanté dans un univers de toutes les prophéties, mais aussi de tous les dangers, j’ai subi les guerres, les déchirements religieux, le bannissement de toute entente et de toute coexistence pacifique au profit de la volonté de domination. J’ai vécu les tribulations des « identités meurtrières ». Mais, de mon martyre, j’ai échafaudé un système qui m’a permis de vivre dans un environnement où la violence et l’intolérance ont trouvé leur terre de prédilection. Longtemps mon sein a constitué un havre pour ceux qui avaient soif d’ouverture, de liberté et de beauté. Ma beauté, ma poésie, mon érudition rassasiaient mes visiteurs, venus de divers mondes. Ils venaient faire le plein de douceur et de finesse qu’ils s’arrangeaient de dilapider avant de retourner chez eux où régnait parfois la vacuité fruste du quotidien.
On aimait mes lumières, mais on m’enviait d’être une rose dans un désert. Mes charmes et mon entregent ont dérangé. On a cherché à me domestiquer, à m’aligner sur les bassesses du monde alentour, encourageant l’adversité de mes communautés et armant leur cohabitation qui faisait des envieux. Guerres, crises économiques, cartels ont enserré progressivement mon espoir d’être un havre capable de ruisseler sur son environnement. Mes jeunes sont habités par l’appel du large, mon système se transforme en une multitude de principautés ennemies. Mes caïds vivent une cohabitation adossée à une entente d’exploiter et de laisser exploiter.
Le chant se tait, la tristesse s’installe et la colère gronde. Ma jeunesse fait le plein de son courroux en regardant la désolation et la fin d’une histoire heureuse. Des voix multiconfessionnelles réclament un monde nouveau expurgé des tuteurs communautaristes ; ils ont soif de laïcité !
Moi, astre du Levant, je veux vivre. Je veux que l’on me laisse vivre. Je veux secouer cette fatalité de guerre et de violence qui m’a éreinté. Je veux exorciser l’ombre de la mort qui n’a cessé de planer sur mes terres. Je veux panser mes blessures. Je veux renouer avec mes Lumières.
Laissez-moi reconstruire Beyrouth, ce joyau qui partageait sa joie de vivre et sa tolérance avec le monde entier. Beyrouth la martyre qui n’a cessé de subir les affres de la guerre, de la crise économique et, aujourd’hui, les menaces létales de la pandémie. Que brillent de nouveaux ses lumières, que ses poètes rechantent ses beautés, que ses rues vivent la joie de ses populations et leurs retrouvailles avec des voisins décidés à défroquer leurs cœurs et leur quotidien.
Aziz HASBI, Rabat, le 7 août 2020