chroniques
L’Etat algérien, la gesticulation permanente – Par Talaa Saoud Atlassi*
Le général de division Mohammed Berrid, Inspecteur général des FAR marocaines (G) et le général de corps d’armée Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’ANP algérienne
Certains faits et gestes en expliquent d'autres, qu'ils précèdent ou suivent, les éclaircissent et les révèlent. Un exemple nous est venu cette semaine de l'Algérie voisine, plus particulièrement du général Saïd Chengriha, chef d'état-major de l'armée algérienne. Il a récemment effectué une visite d'inspection dans la deuxième région militaire qui a siège à Oran, à environ 300 kilomètres de la frontière maroco-algérienne. Il y a supervisé des manœuvres militaires avec des munitions réelles pour évaluer la préparation des troupes à l’exécution des ordres du commandement.
De prime abord, cet exercice, normal pour une armée, peut passer pour une activité routinière du chef d'état-major, visitant les régions militaires, prononçant des discours d’orientation et de mobilisation devant ses officiers et soldats, souvent motivants et stimulants pour le moral des troupes contre les ennemis de l'Algérie "qui guettent ses frontières".
Un renforcement aux frontières du Maroc
Même si ces ‘’ennemis’’ se trouvent plus à l'intérieur de l'Algérie qu’en dehors, Monsieur le général de l’armée, comme ils disent là-bas, trouve toujours un détour, mais souvent une voie directe, pour le relier à un "ennemi" extérieur qui chaperonne le complot, et laisse entendre, quand il ne le déclare pas clairement, que "l'ennemi" en question c’est le Maroc.
Il est possible de mettre cette hantise sur le compte de son "souci" de se rassurer lui-même, de justifier son utilité pour laquelle il reçoit un salaire confortable et bien plus du trésor public, et lui confère un statut et une influence au sein de la direction militaire et civile de l'Algérie.
Sauf qu’avec la réunion du Conseil de sécurité restreint, le premier juin, présidée par Abdelmadjid Tebboune, consacrée à "l'examen de la situation générale du pays et de la situation aux frontières", la visite de Chengriha à Oran prend une autre connotation de par l’intensification, en termes quantitatifs et qualitatifs, de la présence militaire algérienne aux frontières du Maroc.
Cependant, je ne suis pas de ceux qui estiment que ce mouvement serait une préparation à la guerre, même si celle-ci reste plausible, contre le Maroc. La direction militaire algérienne surveille, c’est son travaille, les mouvements militaires marocains pour parer à toute éventualité, et suit de près l’action des forces armées royales contre les contorsions des milices du Polisario à l'est du mur marocain à la frontière avec l'Algérie. D’où fort probablement la référence à ces frontières dans d’un communiqué du "Conseil de sécurité restreint", ce qui est de nature à laisser supposer le pire.
Mais tout comme autrefois on parlait de la révolution permanente, on assiste depuis l’arrivée du tandem Chengriha -Tebboune à une gesticulation incessante qui devrait en rester là tant la situation interne en Algérie est tendue qu’une aventure guerrière contre le Maroc s’apparenterait à de l’aventurisme.
Chengriha s’invite à African Lion
La "manœuvre" de Chengriha, fut-elle le passe-temps préféré des généraux algériens, a révélé sa motivation et clarifié ses objectifs avec les débuts, lundi 5 juin, de l’exercice Africain Lion. Cela va sans dire, mais mieux en le disant, que l’honorable général observait à la loupe, les préparatifs, autrement ce serait un manquement à ses missions, à cet exercice auquel il n’est évidemment pas convié, mais auquel il s’invite par son dernier déploiement à Oran.
African Lion, en anglais ça résonne mieux qu’en français, c’est des exercices de dimension internationale, les plus importants d’Afrique, qui engagent les représentants de plusieurs pays. Elles comportent un fond politique qui, s’ils ne le disent pas, le suggèrent.
Rien d’anormal en conséquence si elles inquiètent tant le ‘’leadership’’ algérien. Ne se déroulent-elles pas au Royaume du Maroc, le frère ennemi, voulu plus ennemi que frère ? Et certaines opérations n’ont-elles pas pour théâtre spécifiquement les territoires sahraouis marocains ? Plus important encore, African Lion est un événement important, régulier qui revient à la même période de chaque année, il en est à sa 19ème session, et jouit de l’aval du Congrès américain.
Cet aval a son importance. Il en dit long sur la confiance américaine, politique et militaire, dans le Maroc et la reconnaissance de son contrôle de l'ensemble de ses territoires, y compris les régions sahraouies récupérées de la colonisation espagnole... Sachant qu’il en faut moins, quand il s’agit du Maroc, pour déranger la quiétude des généraux algériens en compétition frénétique avec le Royaume, le commandement algérien n’arrivant pas à cerner, parce qu’il en est incapable, la préférence américaine pour les Marocains...
Dès lors on comprend mieux pourquoi le général Chengriha s'est rendu à Oran, à une encablure du pays où se déroulent les manœuvres de l'African Lion, avec l’objectif apparent de rouler des mécaniques et faire tonner ses pétards... Une réaction en forme d’affirmation de soi et une façon, chacun aura compris le message, de souhaiter la bienvenue à African Lion. Une manière aussi de soulager son sentiment d'isolement, de sortir Alger de son tête-à-tête avec soi en Afrique et de donner l’illusion de faire face à l’affaiblissement de son impact sur les décisions internationales et au manque de considération de la part des acteurs qui comptent
La charité bien ordonnée
.Un responsable algérien de seconde zone s'est vanté il y a quelques jours que "l'Algérie, avec son armée expérimentée, est capable de contribuer au déminage dans le monde entier..." Bien sûr, personne dans le monde entier ne manque d'expérience dans la gestion des mines, sauf quelques-uns, mais aucun de ces quelques-uns n'a fait appel à l'Algérie pour désamorcer ses propres mines.
C’est à croire qu’Alger n’a pas mieux à faire ; Au lieu de la laborieuse perte de temps dans le démsamorçage des champs des autres, il aurait été plus judicieux pour la direction algérienne de se préoccuper et de s’occuper du déminage des bombes à retardement qu'elle a semés à l'intérieur de son propre pays et aux alentours politiques et géographiques. La charité bien ordonnée ne commence-t-elle pas soi-même ?
L'Algérie regorge de mines antipersonnel. On les retrouve dans le fossé qui sépare le pouvoir du peuple, dans la pénurie des denrées alimentaires et des produits anesthésiants pour les dentistes, dans l’absence des libertés publiques, ou encre dans la schizophrénie qui ronge l'identité nationale.
C’est curieux, mais il y a que dans ce pays riche en gaz et en pétrole, où l’on peut rencontrer un ministre de l'Agriculture, c’était jeudi de la semaine dernière au Parlement, dire que son " secteur finalisera la cartographie de la distribution du lait subventionné en septembre prochain", précisant que "cette cartographie a été élaborée en se basant sur le nombre d'habitants des communes et des wilayas, en tenant compte de l'emplacement des laiteries publiques et privées. La carte élaborée par un comité ministériel conjoint comprend des mécanismes pour le traçage du lait afin qu'il ne soit pas détourné vers d'autres voies". On croit rêver, cependant que le peuple algérien cauchemarde.
Pourtant, c’est déminant son propre espace qu’Alger gagnera non seulement en paix et en quiétude, mais aussi privera de cette «riche matière" qu’illustre les longues files d’attentes pour un bidon d’huile, chercheurs et journalistes en mal de thèmes. Et surtout les chercheurs français qui l'exploitent sous différents angles et sous toutes les coutures pour faire les poches à l’Algérie et se faire la main sur ‘’le mal algérien"... titre d'un livre français au succès viral.
*Quid, d’après le journal londonien Al-arab News