L’union pas l‘ONU – Par Driss Ajbali

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Ziyech le marocain contre Gavi l’espagnol, pas l’Espagne contre l’ONU

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On dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Alors qu’elle n’avait que six, sept ans, ma fille m’avait dit, avec une fulgurance dont seuls les mômes sont capables : « Papa, tu es un Français d’origine marocaine. Moi, je suis une Marocaine d’origine française. ».

 C’est cette assertion, frappée de lucidité, qui m’est revenue la lecture de l’article du journaliste espagnol Toni Lopez Jordà. En parlant de la rencontre qui oppose, aujourd’hui, l’Espagne au Maroc, il a, sans résister à un brin de perfidie, ingénieusement qualifié la rencontre d’un titre, ô combien affriolant.  « L’Espagne joue contre l’ONU ». 

Pour appuyer son propos, ce journaliste sportif, égaré dans des questions complexes et marécageuses, a isolé 14 joueurs de l’équipe marocaine, tous nés dans six pays occidentaux et donc en dehors du Maroc. Les Lions de l'Atlas sont donc pour lui « de loin, l'équipe la plus internationale des 28 qui entretiennent une certaine dissonance entre le lieu de naissance et l'équipe représentée. Ainsi, parmi les joueurs de Walid Regragui, lui-même produit de l’immigration, figure côté Espagne le gardien Mounir Mohammadi, « natif de Melilla (et qui a joué pour Ceuta, Almería B, Melilla, Numancia et Málaga, avant de passer en Arabie Saoudite), et le très puissant l'arrière droit du PSG Achraf Hakimi, né et éduqué à Getafe – et formé au Real Madrid. Là on ressent une petite pique agrémentée de rancœur ibérique. Il cite ensuite le cas des Pays-Bas, avec quatre natifs dont Hakim Ziyech, Noussair Mazroui, Soufiane Amrabat et Zakaria Aboukhal.A la France sont « empruntés » Soufiane Boufal et Romain Ghanem Saïss. Yacine Bonou provient du Canada. Walid Cheddira est un produit italien. On frise le procès en félonie lorsqu’il s’agira des Belges Selim Amallah, Ilias Chair et Bilal El Khannous, qui « ont joué contre leur pays de naissance » et qui ont ainsi contribué à barrer la route aux Diables rouges.

Pour peu qu’on y réfléchisse, la nuance apportée par ma fille, outre sa subtilité, est de taille. Elle est même euclidienne. Elle est de l’ordre de la césure. Partant de là, et c’est un constat indubitable, on trouve aujourd’hui des Marocains d’origine hollandaise, belge, espagnole, italienne, allemande, canadienne, américaine, française…et autant de Hollandais, de Belges, d’Espagnols d’Allemands, de Canadiens d’Américains, de Français… d’origine marocaine. En moins de quarante ans, on aura ainsi assisté à l’une des mutations majeures qu’a connues ce que, depuis les années 1990, on qualifie, improprement, de « Communauté marocaine à l’étranger ».  De ce point de vue, la composition de l’équipe nationale qui scintille à Doha est l’une des plus parfaites illustrations de cette mutation. Dans l’équipe de 1986, il n’y avait que des Marocains dont certains jouaient dans quelques clubs, pour l’essentiel français, comme Besançon, le Havre ou Sion en Suisse. Avec le millésime 2022, il y a des joueurs de l’équipe nationale marocaine qui évoluent dans de grands clubs et certains, comme Ziyech ou Hakimi, figurent parmi les profils les plus recherchés au Monde.

On peut, sans risque de se tromper, noter que cette mutation a vraiment démarré autour de l’année 1986 qui constitue un tournant. Non pas parce que ce fut l’année de la Coupe du monde au Mexique avec l’épopée de l’équipe de Badou Zaki sous la férule de José Faria. C’est juste une coïncidence. L’année 1986, c’est d’abord la convention de Schengen dans une Europe où, à l’époque, se trouvaient l’essentiel des immigrés marocains. Plus l’Europe se cadenassait, plus ces immigrés, effet d’aubaine oblige, se naturalisaient. Il y a cependant un profond bouleversement, de degré et de nature, qui proviendra des naissances dans les pays d’accueil. Facteurs dynamiques, ces naissances vont rajeunir, féminiser, diplômer avant de finir par ébranler les certitudes sur des questions plus complexes qui touchent à la citoyenneté, au rapport à la nation, à l’allégeance, simple ou double, et nécessairement à l’identité elle-même. 

Il ne faut donc pas s’y méprendre. La réflexion du journaliste espagnol qui ira jusqu’à qualifier les 14 compagnons de Hakimi « d’étrangers » exprime tout haut ce que nombreux, en Europe, pensent tout bas. Sur les vingt dernières années, la question de l’immigration, la musulmane tout particulièrement, est devenue, obsessionnellement lancinante. Consciemment ou inconsciemment, ce qui est plus grave, ce débat est préempté par la logique identitaire et civilisationnelle. Demandez à Benzema, il vous en dira des vertes et pas des mûres.

Et bien non monsieur Lopez Jordà. L’Espagne n’aura pas affaire, cette après-midi à l’ONU. Elle aura affaire simplement à l’union des talents Marocains d’où qu’ils viennent, de l’extérieur ou de l’intérieur du pays, fédérés qu’ils sont une puissante énergie. Ils ne jouent ni pour l’argent ni pour la gloire puisque nombre d’entre déjà au sommet et gagnent des sommes astronomiques. Ils jouent pour un seul label, le Maroc.

N'en déplaise à Emmanuel Macron, le foot est politique. Plus que cela, il ne peut être que national. Sinon l’Europe aurait déjà une équipe qui participe au mondial, comme les USA. Ce sentiment national est transcendant. Il peut tout emporter sur son passage.

On l’a vu dans ce mondial. Tous les pronostiqueurs et autres météorologues footeux en sont pour leurs frais. On a assisté à la déroute de nations footballistiques comme l’Uruguay, la Belgique, la Pologne ou l’Allemagne. Elles ont quitté prématurément la compétition. Plus saillant, elles ont, le plus souvent, trébuché sur d’inattendus obstacles comme le Japon ou la Corée.

Alors oui, au Maroc, on se pince. On ne s’interdit plus rien. On rêvasse d’un meilleur exploit. A commencer par battre l’Espagne avant de se trouver face au Portugal. Car cette équipe unie compte sur le douzième joueur du match : un peuple enthousiaste, euphorique et en liesse.