Marge de manœuvre à la fois large et étroite pour le Maroc face au retour de la Syrie à la Ligue arabe - Par Bilal TALIDI

5437685854_d630fceaff_b-

Photo archives – Vendredi 14 mars 2023, le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita a parlé, dans un entretien téléphonique avec son homologue saoudien, le Prince Faisal bin Farhan bin Abdullah, des relations bilatérales et des derniers développements sur les scènes régionale et internationale.

1
Partager :

 

Investissement, rente et concurrence - Par Bilal TALIDI

La prochaine réunion de la Ligue arabe, prévue le 5 mai, devrait acter le retour de la Syrie au sein de  l’organisation panarabe, dans le sillage des mutations marquant les positions arabes, notamment celle des Emirats arabes unis, les premiers à rétablir leurs relations diplomatiques avec Damas, et de l’Arabie saoudite qui vient de normaliser ses relations avec l’Iran, amorçant du même coup une profonde dynamique à ce sujet au sein des pays du Golfe et de l’ensemble des pays arabes.

Concrètement, il serait difficile pour la Syrie de regagner son siège au sein de la Ligue arabe sur simple obtention du quorum, soit 22 pays favorables à son retour. Son objectif dépasse cet horizon aspirant à mobiliser un soutien arabe unanime en vue de ‘’faire pression’’ sur les Etats-Unis pour lever leur embargo sur Damas.

Au plan diplomatique, le ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Al Meqdad n’a cessé de multiplier les déplacements dans la région arabe, en mettant récemment le cap sur le Maghreb avec une visite à Alger et à Tunis.  La position tunisienne étant assurée par son alignement sur Alger dans la conjoncture économique et politique difficile que traverse le pays du Jasmin, c’est à Rabat que la diplomatie syrienne essaye d’amadouer.

Il était prévisible que l’Arabie saoudite change sa position à l’égard du régime syrien après la conclusion d’un accord de normalisation des relations avec Téhéran, s’ouvrant dans la foulée sur une normalisation des relations avec Damas. De son accord avec l’Iran, Ryad compte sécuriser son flanc yéménite et se prémunir des attaques des Houthis soutenus par Téhéran, au moment où le royaume wahhabite s’emploie à cadence forcée à raffermir ses alliances contre une éventuelle pression américaine et à mobiliser dans son jeu le maximum de cartes de négociation avec la Maison Blanche.

Les hésitations jusque-là de la position égyptienne se retrouvent affaiblies par des défis ne lui permettant plus le luxe de se maintenir dans une zone de confusion. Même en utilisant sa position comme carte de pression, comme l’indique une déclaration du porte-parole égyptien des Affaires étrangères selon laquelle la diplomatie de son pays aurait informé l’Onu qu’elle soutenait l’application de la résolution onusienne exigeant une feuille de route pour l’organisation d’élections libres en Syrie, le Caire est actuellement dans une posture si difficile qu’il ne peut se permettre de se tenir à distance des pays du Golfe, et particulièrement des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie saoudite. 

Quatre pays pratiquement s’opposent au retour de la Syrie à la Ligue arabe, les plus fermes étant le Maroc et le Qatar. Le Yémen n’ayant pas droit au chapitre,  le Koweït est de son coté plus ou moins conciliant. Il exige à minima du régime syrien des garanties d’une meilleure situation politique et le départ de toutes les forces étrangères du pays, y compris l’Iran, le Hezbollah et la Russie.

La position du Qatar, telle qu’exprimée par le Chef du gouvernement Cheikh Mohamed Ben Aberrahmane Al-Thani dans une déclaration jeudi dernier à la chaîne officielle du pays, considère que les raisons ayant conduit à la mise à l’index du régime syrien sur fond de répression des manifestants en 2011, sont toujours d’actualité, et que la fin de la guerre n’a rien changé à la donne des droits de l’Homme. Doha assure dès lors qu’il ne peut cautionner un retour du régime syrien au giron arabe sans une avancée sur la voie de la solution politique à la crise syrienne.

La Syrie voudrait, elle, plus qu’un retour à la Ligue arabe, la fin d’une rupture avec ses pairs et l’ouverture d’une nouvelle page dans ses relations avec l’ensemble des pays arabes.

Par la force des choses, la concrétisation de cette ambition requiert de la diplomatie syrienne beaucoup de doigté dans ses rapports avec Rabat pris dans la tenaille de satisfaire le Maroc sans contrarier l’Algérie.

En apparence, la position marocaine ne diffère pas beaucoup de la position qatarie, les deux pays exigeant un changement réel sur le plan politique et dans le registre des droits de l’Homme, les tares majeures à l’origine de l’exclusion de la Syrie de la Ligue arabe en 2011. Mais il persiste, au fond, une nuance et pas des moindres : la position de la Syrie au sujet de l’intégrité territoriale du Royaume au vu des alliances où Damas est enferré. Il serait difficile pour la Syrie de réitérer son rejet de toute atteinte à l’intégrité territoriale des pays arabes et maintenir à la fois sa position traditionnelle au sujet de la question du Sahara et des appels au séparatisme. En même temps, elle ne saurait ni s’affranchir de la position iranienne, ni prendre une posture contraire à la volonté d’Alger, pays avec lequel elle entretient des relations solides.

Le Maroc sait pertinemment combien la Syrie a actuellement besoin d’une position favorable de Rabat à sa réadmission dans le giron arabe et qu’aucune unanimité arabe à ce sujet ne peut se faire sans lui, mais il est également conscient de la difficulté pour Damas d’exprimer une position ouvertement favorable à l’intégrité territoriale du Royaume.

Jusqu’ici, aucun diplomate syrien ne s’est exprimé sur la question du Sahara, à l’exception de certains députés du parlement syrien assurant que la position de leur pays n’a pas changé et que la Syrie reste immuablement attachée à l’intégrité territoriale des pays arabes et rejette toutes velléités séparatistes en leur sein. Mais ces déclarations, sans valeur diplomatique, s’apparentent à de ballons d’essai de part et d’autre, en direction du Maroc qui exige de la Syrie une position favorable à son intégrité territoriale, et à destination de l’Iran et de l’Algérie hostiles à Rabat, ainsi qu’à leur soutien, la Russie.

Pour Rabat, la marge de manœuvre paraît à la fois large et étroite. Large en raison de l’opposition affichée par le Koweït et le Qatar, ce qui renforce les chances du Maroc d’exercer davantage de pression pour amener Damas à renouer avec sa position équilibrée au sujet de la question du Sahara. L’ambiguïté de la position égyptienne peut aussi militer en faveur d’une coordination renforcée avec Le Caire pour exercer ensemble plus de pression sur la Syrie. Mais étroite du fait que l’intervention des Emiratis et des Saoudiens pourrait finir par obtenir la levée des réserves affichées par le Koweït et mettre un terme au flou artistique de la position égyptienne.

La question dépendra en définitive du dynamisme de la diplomatie marocaine, de son habileté et de sa capacité à jouer sur les cordes en faisant bon usage des options qui lui sont offertes pour ne pas se retrouver seule avec le Qatar, dans le camp des récalcitrants.