Maroc-Algérie, dans l’attente de l’autre moitié du chemin…

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Le Roi Mohammed VI avec l’ancien président à Alger en mars 2005 à l’occasion du 17e Sommet de la Ligue arabe. Abdelaziz Bouteflika avait l’étoffe et le recul historique pour aller vers une solution. Il est resté prisonnier de ses atavismes et du carcan militaire.

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Deux jours après le rétablissement de la libre circulation par l’armée marocaine au passage d’El Guergarate, son homologue algérienne a sorti de ses archives une vidéo exhibant son chef d’état-major, Saïd Chengriha qui n’avait pas encore accroché à ses galons les étoiles de général de corps d’armée, aux cotés de missiles russes Iskander dont les commentateurs algériens se sont évertués à vanter la puissance et la précision. Et au cas où quelqu’un quelque part n’aurait pas capté le message, ils se sont aussi empressés dans une posture puérile de préciser que cette démonstration de force s’adressait au Maroc.

D’autres commentateurs y ont plutôt vu une rectification de tir. Le communiqué du ministère des Affaires étrangères algériens s’étant, selon eux, « contenté » de « déplorer vivement » l’opération marocaine, appelant « les deux partie à la retenue », l’état-major algérien ne l’aurait pas trouvé assez viril à son goût. Par la diffusion de cette vidéo, Alger ferait montre de plus de fermeté à un moment où le dossier du Sahara est entré dans une nouvelle dynamique marquée par une compréhension à l’international de l’attitude marocaine quand ce n’est pas un franc soutien notamment au niveau arabe et africain. Qu’il s’agisse du cas spécifique d’El Guargarate ou plus généralement du plan d’autonomie, on se rend bien compte que la démarche marocaine, patiente et constructive, a gagné au fil des mois et des ans en crédibilité.

La situation propre à l’Algérie où le pouvoir est en manque de légitimité, remis en question autant par le Hirak que par la très faible adhésion à la réforme constitutionnelle, n’est pas étrangère à ce roulement de mécanique. Est-il besoin de le rappeler, mais pour les militaires algériens, véritables détenteurs des rênes du pays, le Maroc a depuis toujours été à la fois l’exutoire et le pivot contre lequel se construisent l’identité et l’unité algériennes. Qu’ils soient, une fois de plus, tentés d’en user ne surprendrait personne.

Seulement, et les militaires algériens en ont certainement conscience, l’épouvantail marocain est un dérivatif qui ne fait plus recette. Scènes inimaginables il y a pas longtemps encore, on a vu des citoyens algériens monter au créneau sur les réseaux sociaux pour dire leur désapprobation de la politique de leur pays envers le Maroc et s’interroger sur la dilapidation de leurs ressources dans le soutien au Polisario. 

A un autre niveau, celui des médias, le lecteur attentif de la presse algérienne ne peut pas ne pas s’apercevoir du sentiment de solitude qui s’en dégage et qui se traduit le plus souvent par une attaque en règle contre tous ceux qui sur les cinq continents ont soutenu le Maroc ou, pour les plus réservés, exprimé leur compréhension.

Des positions patientes, mais fermes

Ces évolutions, en même temps que les positions d’Alger, Rabat, qui se refuse à l’escalade, n’y est pas insensible et les appréhende avec autant de calme et de sérénité que possible. C’est à travers cette grille qu’il faut lire l’entretien téléphonique que le Roi Mohammed VI a eu avec Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies. Le Souverain marocain y a passé un double message de fermeté et de disponibilité : 

« Le Royaume du Maroc continuera à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer l’ordre et garantir une circulation sûre et fluide des personnes et des biens, dans cette zone à la frontière entre le Royaume et la République Islamique de Mauritanie. » 

Le Maroc persévère dans son […] « attachement constant au cessez-le-feu. » En même temps et avec la même force, « le Royaume demeure fermement déterminé à réagir, avec la plus grande sévérité, et dans le cadre de la légitime défense, contre toute menace à sa sécurité et à la quiétude de ses citoyens. » 

Ceci étant, « le Maroc continuera à soutenir [les] efforts [du Secrétaire général ]dans le cadre du processus politique. Celui-ci devrait reprendre sur la base de paramètres clairs, impliquant les véritables parties à ce différend régional et permettant une solution réaliste et réalisable dans le cadre de la souveraineté du Royaume ».

La mise en perspective de ce propos précis sur les mots nécessite sa mise en relation avec la main tendue du Roi  dans son discours du 6 novembre 2018, déclarant disposition du Maroc au « dialogue direct et franc » avec l’Algérie et proposant la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation afin de dépasser les « différends conjoncturels » entravant le développement des relations bilatérales. Cette proposition s’inscrivait dans la logique de l’initiative marocaine, onze ans auparavant, pour une autonomie dans la région du Sahara. Quoi que ça lui coutait, Rabat n’avait pas alors hésité à réagir favorablement au vœu des Nations Unies et à faire la moitié du chemin en vue de la solution de compromis mutuellement acceptable de « ni vainqueur ni vaincu ».

Le mirage d’un référendum

Pour toute réponse, Alger s’est arc-bouté sur cette grande farce qu’est le référendum d’autodétermination qui a perdu tout sens le jour où devant la commission d’identification des potentiels votants à ce référendum, on a vu des fils au Polisario refuser aux pères restés marocains le même droit de vote. Bien qu’à la base, l’identification même d’un peuple du Sahara constituait une gageure impossible dans une structure tribale nomade qui ignore les frontières dans cette grand ère sableuse et rocailleuse qui s’étend de l’Algérie à la Mauritanie en passant par le Maroc et s’étend au-delà jusqu’au lointain Soudan. La présence aujourd’hui d’une population sahraouie spécifique à ces provinces, saisonnière auparavant, on la doit à la volonté de Feu Hassan II de fixer, au prix fort, les branches tribales les plus récurrentes dans la partie marocaine pour mieux les intégrer dans la dynamique nationale du Royaume.

La complexité de cette réalité « géo-ethnique », l’ONU avait fini par la saisir et en est arrivée à conclure à l’infaisabilité du référendum. C’est fort de ce constat qu’elle a invité les parties prenantes par le biais de l’américain James Backer, alors envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies, à explorer d’autres voies de solution. Seul le Maroc a donné suite, tandis que le Polisario, inspiré par son mentor, sentant s’évaporer la perspective référendaire, s’est mis à clamer s’être autodéterminé par les armes. 

L’intérêt bien compris

Depuis, que de dunes se sont déplacées dans le vaste désert. Si bien que dans la conjoncture actuelle, il n’y a plus que le pouvoir algérien pour continuer à faire semblant de croire que son soutien massif au Polisario est une action de bons samaritains, qui émane de quelque attachement au principe du droit des peuples à l’autodétermination. Et il n’y a encore que lui pour persister à réfléchir dans le monde présent en termes de puissance régionale dans une région qui dépend aussi bien pour son économie que pour sa force militaire - en grande partie pour la première et totalement pour la seconde - de sources extérieures. 

C’est la persistance de cette doxa qui a présidé aux évènements d’El Guergarat, sachant que ce qui y est en jeu va au-delà de la libre circulation des biens et des personnes. Sans rien minimiser de son importance pour les flux commerciaux entre les pays du nord-ouest africain et de l’Afrique de l’ouest, ce qui s’est passé dans cette zone engage la paix dans toute la région et met en cause la place que peut occuper le Grand Maghreb dans la gestation de la Zone de Libre-échange Continentale Africaine. Surtout que lorsqu’ on jette un regard distant sur l’état de lieux dans nos pays que la pandémie n’a fait qu’aggraver, on peut légitimement s’interroger sur l’utilité d’une confrontation qui, quelle qu’en soit l’issue, ne ferait que des perdants. D’où l’intérêt, s’il est bien compris, pour Alger de faire l’autre moitié de chemin pour qu’enfin, ensemble, on puisse se consacrer aux choses sérieuses qui réuniraient dans un ensemble d’échanges pragmatiques et mutuellement avantageux, par des voies de circulation ouvertes à tous, les deux façades du Maghreb, la méditerranéenne et l’atlantique. Il n’est pas interdit de rêver. Même si la tâche, ardue mais pas impossible, exige que dans tous les pays de la région, et d’ailleurs, les énergies positives de l’entente l’emportent sur les forces nocives de la tension. 

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