Maroc-France : Oui, mais encore… Par Bilal Talidi

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Le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita (D) et son homologue français Stéphane Sejourne lors d'une réunion à Rabat le 26 février 2024. (Photo Fadel SENNA / AFP)

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La visite du ministre des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné, lundi à Rabat hier, reflète un développement significatif dans les relations franco-marocaines après une période de stagnation et de tension sourde entre les deux pays. Symboliquement, le ministre français, fraichement nommé à ce poste dans le gouvernement récemment formé par le président Emmanuel Macron, a choisi le Maroc comme premier pays à visiter dans la région. Il a pris soin de préparer sa mission avec des déclarations préfigurant les démarches que Paris entreprendra pour soutenir la position marocaine sur et au Sahara.

La rencontre de lundi dernier (27 février 2024) avec son homologue marocain, Nasser Bourita, qui est l’aboutissement de préparations délicates, a apporté un plus, bien qu'en réalité elle n'ait pas dissipé toute l'ambiguïté entourant la position française. 

‘’Il est temps d’avancer’’

Le lexique auquel ont recouru les deux responsables, laisse clairement transparaitre que des questions, restées en suspens, ont été léguées aux visites futures pour les résoudre, ou pas. M. Nasser Bourita a. insisté sur le changement de l'image du Maroc, devenu un acteur qui a son mot à dire et dont le rôle est de plus en plus sollicité par plusieurs acteurs internationaux. Il a aussi indiqué la nécessité pour les relations franco-marocaines d’intégrer les transformations que connaissent les deux pays, et défini un cadre conceptuel pour leur évolution, fondé sur les principes du respect mutuel. 

En revanche, le ministre des Affaires étrangères français, même s'il a considèré la question du Sahara comme une priorité pour son pays, les progrès attendus de Paris dans ce dossier semblent plus se conjuguer au passé et au futur qu'au présent. A été et sera. Il a ainsi parlé de la position de la France dans le passé, en se référant à son soutien à l'initiative d'autonomie depuis 2007, et a parlé de l'avenir en rassurant Rabat et en l'invitant à compter sur Paris dans ce dossier. Quant au présent, il s'est contenté de donner des indications sur le concept de progrès dans la position attendue par Rabat, le décrivant comme "l'approche pragmatique" que Paris doit adopter sans en préciser la nature, et l'a lié, en se dissimulant derrière le discours diplomatique du Maroc aux efforts de l’ONU. ‘’Dans la continuité logique de cet engagement, il est temps d’avancer", a-t-il affirmé. Mais alors pourquoi ne pas commencer ici et maintenant ?

Il est vrai qu'il a fourni certaines clarifications sur le sujet. Outre qu’il a aboli de son propos le qualificatif ‘’occidental’’ si cher à Alger, il a lié le concept de progrès dans la position française avec le soutien aux efforts du Maroc dans le développement des régions du Sud, et également à une série d'initiatives que Paris entreprendra, comme encourager toutes les parties concernées à participer de bonne foi à la table de dialogue sur la question du Sahara. Cependant, la France semble désireuse de s'assurer que le gain qu'elle réalisera précédera l'expression de ce progrès dans la position qu'elle ne souhaite pas aujourd'hui dévoiler dans tous ses détails, ou plutôt, elle ne veut pas la présenter sans obtenir au préalable ce qu'elle désire. Ce qui en fait un soutien très conditionné.

La France, à travers la visite du ministre des Affaires étrangères français, a fait un pas essayant par-là d'indiquer qu'elle avance progressivement dans sa position sur la question du Sahara, annonçant lors de la conférence de presse de lundi son intention d'ouvrir, en substitut à un consulat, deux écoles françaises et un centre culturel dans les villes de Laâyoune et Dakhla au Sahara marocain, une étape qui, bien que petite par rapport à ce quoi le Maroc aspire à établir en termes de représentation diplomatique française dans les régions du Sud, porte un sens politique important qui renvoie à la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.

La diplomatie du ‘’au fur et à mesure’’

Il est sans doute prématuré de faire le bilan de la visite du ministre des Affaires étrangères français au Maroc, car il ne fait aucun doute que cette visite, malgré la politique française progressive dans l'expression du changement de sa position sur la question du Sahara, est un gain politique pour Rabat. Aujourd'hui, la voie est ouverte pour transformer la région du Sahara marocain en un véritable pont pour le passage de partenariats internationaux et d'initiatives de développement, notamment l'initiative Atlantique du Roi Mohammed VI, la France ne désirant certainement pas rester en marge de ce que ce généreux projet est susceptible de générer. Elle acte également par ricochet, l'isolement d’Alger, devenu une réalité, après qu’il ait perdu le bras de fer avec Madrid, que Paris a mis un bémol à son allant pour le régime algérien, et que les pays du Sahel, dans certaines limites, ont montré leurs bonnes prédispositions pour l'initiative Atlantique.

Cependant, il faut bien lire dans les mots de M. Séjourné ce que recèle la démarche française. Paris a mis sur la table un partenariat à long terme (30 ans) de manière quelque peu incompréhensible, et a montré, c’est du moins ce qui en ressort du propos de M. Bourita, un grand intérêt, le contraire aurait été surprenant, pour l'Afrique et la région du Sahel. Elle souhaite faire du partenariat avec le Maroc et des intérêts communs entre les deux parties, un des outils pour récupérer une part importante de son influence en recul dans le continent.

Paris adopte donc une politique prudente, ou pour être plus précis, une tactique de négociation française de le en même temps et proportionnellement. Il se rend bien compte que pour rectifier sa position et garantir une participation active dans la stratégie de l'Atlantique, que Washington et Madrid ont approuvée, la France doit nécessairement passer, fut-ce à son corps défendant, par la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, et soutenir le développement dans les provinces du sud. 

Cependant, elle ne veut pas présenter cette position comme un chèque en blanc, mais s’engage dans une politique du ‘’au fur et à mesure’’. Elle commence donc par des gestes symboliques soutenant la position marocaine (comme l'ouverture de deux écoles françaises et d'un centre culturel dans les villes de Laâyoune et Dakhla au Sahara marocain) et des initiatives politiques limitées (en invitant les parties concernées - et en particulier l'Algérie - à participer aux tables rondes). A travers l'offre d'un partenariat à long terme (30 ans), elle suggère que le Maroc, afin de faire avancer la position de Paris, doit jouer un rôle plus important pour que Paris puisse obtenir des intérêts plus larges en Afrique, contribuer à retrouver son influence ébranlée dans la région du Sahel au sud du Sahara, et s'assurer d'avoir l’avantage sur sa rivale espagnole.

Rabat, pour la prochaine phase, a, certes, en main des cartes à jouer. Et bien que le déploiement progressif par Paris de sa position sur la question du Sahara puisse susciter une certaine sensibilité, il n’est pas insupportable outre mesure. Habilement utilisé, il libère Rabat de toute pression française à travers son traditionnel soutien conditionnel en demi-teinte.

Globalement, la visite du ministre des Affaires étrangères français a détendu l’atmosphère et montré des signes positifs. Mais elle laisse arrière-goût d’inachevé, si bien qu’on a envie de dire : oui, mais encore…